Le corrupteur vieillit mais ne grandit pas

Le défunt Kaïd Ahmed, ministre et SG du FLN à l’époque, lors d’un meeting populaire animé à la fin de la décennie 1960, avait dit devant une assistance nombreuse : «L’Algérie était au bord du gouffre, mais elle a fait un bond en avant !» Les choses se passent aujourd’hui selon sa vaticination. L’Algérie, en tant que peuple, Etat, gouvernement, pouvoir, institutions, géographie, conscience… est menacée, beaucoup de facteurs et vecteurs endo et exogènes pèsent sur son sort déjà affaibli. Le principal paramètre est celui de «l'argent sale», issu d’un système de non-droit, illégitime, partial, immoral et léonin. Cet «argent sale» marmite fort dans les milieux politiques et économiques, et son origine est bien connue, à savoir la drogue, le rapt, l’escroquerie, la contrebande, la corruption, la fraude fiscale, les détournements de deniers publics, l’informel, le proxénétisme, la prostitution et bien d’autres. Une «corruption morale», c'est-à-dire là où le droit et la justice sont impuissants, sinon désarmés. Les règles républicaines, les valeurs universelles et la morale publique ne signifient pas grand-chose, de même que la production de biens et services n’est représentée ni par un concept, ni par un modèle, ni par un système, ni par une culture, ni par un esprit de création de valeurs ajoutées. Au lieu de compter l’argent billet par billet et pièce par pièce, ces gens-là pèsent les liasses de billets ! La grande partie de la «corruption morale» dans le pays provient en partie de l'introduction de «l'argent sale» en politique, qui en fait son cheval de bataille. L’argent sale est une expression de «chez nous», utilisée dans le langage courant algérien pour signifier l’impétration de la masse d’argent obtenue illégalement, illicitement et informellement. Ne dit-on pas à tous ceux dont on suspecte la provenance de leur richesse «khanez be drahem» ; une expression qui veut tout dire, c'est-à-dire que cet argent est gagné de manière malhonnête et, par conséquent, son origine est le pillage, les trafics, la drogue, l’escroquerie, la fraude fiscale, l’extorsion, la corruption, l’import-import, la surfacturation, les activités mafieuses, etc. Cet argent dont l’origine est dissimulée est blanchi. Le blanchiment d’argent est une infraction vis-à-vis de la loi. Cette infraction, les pays dits respectueux la nomment «criminalité financière». C’est une phase cruciale, car sans ce blanchiment d’argent à grande échelle, les «criminels financiers» ne pourront certainement pas de façon pesante constituer ces rentes irrégulières sans être détectés par l’autorité, si elle existe ! L’expression blanchiment d’argent prend sa source du contexte maffieux américain. Le blanchiment se faisait par l’achat de blanchisseries dans lesquelles était écoulé le produit illicite. Al Capone de Chicago (1928) et Lucky Luciano (1932) étaient les concepteurs de ce fameux blanchiment. La phase du blanchiment se faisait de la sorte : après le placement, c'est-à-dire le «prélavage», vient le «blanchisseur» qui permet d’introduire ces gains illicites dans le système financier légal par un fractionnement, de façon à ce que cela ne se remarque pas. Dans notre pays, le contrôle n’existe même pas, et les transactions se font totalement en liquide, «be ch’kara» ; ailleurs, l’argent est déposé dans un compte bancaire. L’empilement dans le compte bancaire s’appelle le «lavage», qui permet d’entreprendre une série de transactions financières afin d’éloigner les fonds de leurs sources (création d’entreprises fictives, investissement dans les mobilières ou autres activités spéculatives…) pour mieux les introduire dans le système légal. L’exemple le plus pertinent de blanchiment d’argent via l’immobilier de luxe se trouve à Londres : «A Westminster, 9,2% des propriétés sont possédées par des sociétés offshore. La proportion est de 7,3% à Kensington et Chelsea et de 4,5 % à la City. L’immobilier de luxe à Londres devient un refuge pour l’argent volé du monde entier», selon un rapport publié mercredi 4 mars par Transparency International. Si le phénomène est connu, l’association de lutte contre la corruption lève pour la première fois un coin du voile sur son ampleur. Elle révèle que 40 725 propriétés à Londres sont possédées par des sociétés enregistrées dans les paradis fiscaux, cachant l’identité réelle de leurs détenteurs. Cela représente plus de 6 km2 de la capitale britannique, selon une analyse exclusive de Land Registry (la base de données enregistrant les propriétés). Dans les quartiers les plus chers, cette pratique est désormais monnaie courante. Par conséquent, toutes les activités informelles, illicites et illégales génératrices de revenus, rentes, gains et bénéfices sont considérées comme étant de «l’argent sale». L’opération inverse du blanchiment existe aussi avec de l’argent propre. Certains le salissent ; on dit alors : le «noircissement de l’argent». Cet argent sale a bousculé le sacro-saint moral et cassé les valeurs universelles, tout en détruisant les normes de mesures de qualité et autres comme le temps, la force, l’espace et la masse… Cet argent sale est entré en force en qualité de maître incontestable à l’intérieur même de la sphère politique, économique, sociale, culturelle et même sportive. Par exemple, sur un simple constat, un candidat aux élections locales, régionales, nationales ou sénatoriales, suite au déterminisme façonné par la sournoiserie électorale, aura une grande probabilité d’accéder au poste, puisque les dés sont pipés par l’argent sale. Ce poste d’élu est devenu un passe-droit à l’intérieur même des institutions étatiques pour toute activité génératrice de rente «machkouka» (douteuse). Avec des fonctionnaires complices par le silence de leurs privilèges cyniques, le pouvoir extrême attaque par la «hogra» le citoyen sous tous les angles fondamentaux dont l’angle de la manipulation de l’information qui sait bien faire le jeu de la démocratie en flirtant avec la dictature. Les professionnels de la «boulitique», «mariés» aux professionnels de l'information et du spectacle, aux «chebs», lynchent l'esprit modeste de la démocratie dans un océan de mensonges pour abreuver «el-ghachi». Nos médias ne parlent que de crises, de détournements, d’évasion fiscale, de surfacturation, de trafic de drogue, de corruption, de terrorisme, de noircissement et blanchiment d’argent, de l’impunité, et de saleté physique, environnementale, administrative, morale et spirituelle qui n’ont pas encore leur place dans le lexique de l’Etat où le droit est devenu une «marque non déposée». L’information est ainsi faite, selon une hiérarchisation donnée ou dictée, mais sans suite, des problèmes pas toujours pertinents avec toujours la même rengaine face à un pouvoir local sourd, régional indifférent et national autiste. Pourtant, on ne voit jamais percer une réflexion globale sur le fait que tous ces sujets malfamés sont tant liés entre eux qu’ils ne conduisent en réalité qu’à un seul et même sujet qui est : la clochardisation totale de la société, la «bazardisation» générale de l’économie et la «bidonvilisation» entière du patrimoine, entraînant le pays à la déliquescence et la dévastation générales. L’Algérie est devenue ces temps-ci la principale voie de transit et de commerce d'une très grande quantité de drogue produite au Maroc via les «Zoudj Abghel», une grande passoire pour l’évasion de nos ressources en devises. Selon les chiffres publiés dans les quotidiens nationaux, la police a saisi durant l’année 2014, plus de 195 tonnes de drogue, sans jamais savoir combien elle a démantelé de bandes de trafiquants de stupéfiants au cours des onze derniers mois et pourquoi ce laxisme au niveau du contrôle des points sensibles. La lutte contre la corruption devrait, en principe, être une priorité pour relancer l'économie et le social qui sont en crise, alors que plusieurs scandales touchent les hautes sphères de l’Etat. Quand on sait le nombre des «khanzine be drahem» influents dans la vie sociale, politique, médiatique et économique qui se trouvent mêlés, de près ou de loin, dans des affaires d’argent sale et le montant colossal des sommes détournées de leur destination, on imagine aisément que cette situation ne peut que provoquer la déchéance du système, du régime et du pouvoir. On ne peut que constater que les dettes via les crédits sans aucune issue de performance ni de résultat (Ansej, agriculture, industrie, pêche…) sont en réalité le résultat d’un vol massif organisé par une minorité d’individus ; l’Etat ferme les yeux pour que le pouvoir se pérennise via l’achat de la paix sociale et prépare l’amnistie pour un blanchiment général. Qui sont ces «individus» qui n’aiment pas que leurs noms soient cités dans les médias ? Des hommes politiques, des élus, des fausses stars, des chefs d’entreprises d’import, des administrateurs, des gens du système… Avec Internet, les informations sont essaimées massivement en temps réel, tandis que le nombre «d’affaires» portant sur les choses funestes (la fraude et la corruption) ne font qu’accroître le préjudice subi par le peuple et infligé par des «khanzine be drahem» ; ils sont accusés de tous les maux à l’intérieur du «marché social». On parle déjà, en un petit laps de temps, de ces nouveaux milliers de milliardaires à l’échelle du pays ; les statistiques ne sont pas encore disponibles pour inventorier ces millionnaires que la rente alimente face à l’impunité de la règle de l’art républicain. Par conséquent : 99% de la richesse du pays vont être détenus par ces nouveaux riches et 99% de la population se consolidera dans la classe des misérables. Dans le même ordre d’idées, le chômage augmente, la richesse du pays périclite, nous consommons déjà notre capital existant et la génération qui vient n’aura plus de moyens. Le «Clearstream algérienne», une machine compensatoire de non-droit, ne sert qu’à blanchir l’argent sale : il sert aussi à noircir l’argent propre (contexte social, économique et politique favorable). Aujourd’hui, le prix du pétrole baisse, la rente diminue, l’austérité est destinée pour la plèbe seulement «chah fi koum». La corruption institutionnalisée est le fléau qui fait le plus de mal et de peur. On nous avance quelques personnalités qui sont jetées en pâture dans les médias, qui ne sont pourtant que des poissons sans intérêt pour la pêche, la partie cachée de l’iceberg étant inaccessible pour les érudits. Nous nous focalisons toujours sur les corrompus, sans guère nous soucier des corrupteurs (car il faut bien qu’il y en ait) : qui sont-ils ces «khanzine be drahem» et que cherchent-ils au fait ? La rente ! Une fois un certain seuil de puissance économique atteint, la plupart des «khanzine be drahem» se rendent compte de l’inutilité, de la futilité de cette gigantesque fortune amassée, leur unique charge étant le gaspillage par des dépenses ostentatoires où l’investissement ne représente aucune notion tant que le «t’bizniss» (spéculation via l’import) est roi par la force de la loi. Leur nouvelle passion, alors, c’est le pouvoir. Ils épousent une nouvelle idéologie rentière et mettent leur fortune au service de cette idéologie. Aussi, aujourd’hui, petit à petit, des alliances contre nature se forment et les masques tombent. La dictature est dans l’antichambre du pouvoir présent, mais le système rentier va bientôt imploser. Les érudits ont prévenu, le peuple cherche le ciment pour mettre en action le détonateur, la plèbe croit plus au ballon rond par «one, two, three, viva le ballon» ; il est trop gonflé, il va péter ! Il n’y a qu’une solution pour s’en sortir, si on le désire, par une nouvelle vraie révolution pacifique : c’est la refondation de nos institutions. Par de véritables institutions qui empêcheraient la corruption, le trabendo, le terrorisme, l’évasion fiscale et tout ce qui a été dit avant… Il faut emprunter ce chemin légaliste, formel, licite, moral, légitime pour remettre à plat le fonctionnement de nos gouvernements. La loi, le droit, l’équité et la justice chasseront pour de bon l’ignorance, la pauvreté et l’injustice. Cela devient urgent si vraiment on aime ce pays de 1 500 000 chouhada, Allah yarhamhoum, goulou amine. A force de persévérance et de courage, la petite fourmi finit par arriver au sommet de la montagne et la vérité est là !
Mohamed Benallal
 

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