Les dessous du marché des métaux précieux ou l’anarchie «organisée» par les gros bonnets

Contrairement aux déclarations de notre ministre du Commerce, faites le 9 juin dernier dans une interview accordée à un journal en ligne, le gouvernement algérien interdit bel et bien les importations de métaux précieux ouvrés ou non ouvrés (or, argent, platine, soit tout le chapitre 71 de la nomenclature douanière), et ce depuis le 12 novembre 2013. Retour sur une mesure gouvernementale illégale, préjudiciable à notre économie et à tous les Algériens qui ne peuvent se payer des vacances à l'étranger. Ci-dessous le contexte. Notre gouvernement détenait le monopole sur le commerce extérieur de métaux précieux qu'il gérait via l'entreprise étatique Agenor, créée depuis le mois d'avril 1975. L'entreprise a changé de statut depuis, mais elle est toujours en activité. Le monopole a pris fin grâce au décret exécutif n° 04-190 du 10 juillet 2004 fixant les modalités d'agrément et de souscription au cahier des charges pour l'exercice de l'activité d'importation d'or et d'argent ouvrés ou non ouvrés et l'activité de récupération et de recyclage des métaux précieux. Ainsi, depuis l'année 2005, des agréments ont été accordés par le ministère du Commerce à certains importateurs, souvent les plus «introduits» ou les plus «généreux», afin d'exercer le métier d'importateurs de métaux précieux sous condition de souscrire à un cahier des charges. Durant les premières années qui ont suivi l'ouverture du marché, les importations se faisaient d'une manière «peu visible» et caractérisées surtout par une lutte acharnée entre les contrebandiers qui ne payaient ni droits de douane ni TVA d'un côté, et les importateurs agréés, dont Agenor, de l'autre côté. Plusieurs phénomènes sont apparus ou se sont tout simplement accentués depuis l'ouverture du marché en 2005. Ce qui est dû au fait que l'Etat n'a rien fait pour préparer l'ouverture. Nos concitoyens n'ont pas été sensibilisés à l'enjeu du faux titre ; le contrôle est absent et quand il est fait, c'est avec des moyens archaïques. Certains fonctionnaires sont associés à des importateurs pour s'enrichir sur le dos des personnes qu'ils sont censés protéger. Quelques exemples de phénomènes : – l'importation de bijoux à bas titre, du 14 carats, voire 9 carats, et revendus comme du 18 carats. Pour les non-initiés, cela veut dire qu'à chaque fois que vous achetez 24 grammes de bijoux, le vendeur vous vole 4 grammes d'or fin, voire 8 grammes d'or fin. Au cours actuel de la Bourse, il vous vole 15 000 DA, voire 30 000 DA. – Les poinçons de la garantie ont été contrefaits et des quantités énormes de bijoux importés frauduleusement ont été poinçonnés avec de faux poinçons.- Il faut ajouter à cela l'importation de produits comme le zirconium avec une facturation correspondant au diamant pour des raisons de surfacturation, et l'inverse pour des raisons de sous-facturation.- Les droits de douanes sur la matière première sont beaucoup plus élevés que ceux sur les bijoux finis. Une situation due au fait que les décideurs dans le secteur n'ont pas les mêmes intérêts que ceux de l'Algérie ou des autres Algériens. Car il serait absurde de penser que c'est dû à une quelconque ignorance. Taxer l'or fin importé plus que le bijou terminé reviendrait à tuer les artisans algériens tout simplement. D'autres phénomènes autrement plus graves se sont accentués depuis les «révolutions arabes». – Une grande fuite de capitaux vers l'étranger a été organisée afin de mettre dans des pays et banques «sûrs» l'argent des riches Algériens qui ont eu peur de voir le peuple se soulever. Ce phénomène a été rendu possible en utilisant des surfacturations et des importations de métaux communs, surtout du cuivre et autres alliages de cuivre, avec la facturation de métaux précieux. Des produits à base de cuivre doré importés avec la valeur de l'or. Le cuivre vaut en moyenne 500 DA le kilogramme alors que l'or, lui, tourne autour de 3 500 000 DA. Soit près de 7 000 fois la valeur. Avec ce procédé, des factures ont été surévaluées 7 000 fois. Soit 1 000 euros pour transférer 7 millions d'euros. Des lingots de tungstène importés à la place de l'or. Ce métal, qui a presque la même masse volumique que l'or, est plaqué d'une couche de quelques microns d'or et le tour est joué. Mais le plus grave est ci-dessous. Si les phénomènes ci-dessus ont eu comme objectifs, surtout, la sortie de devises vers l'étranger, le financement des achats de produits interdits, le blanchiment d'argent et les victimes étaient les Algériens qui achètent – et continuent d'acheter – du cuivre à la place de l'or, les artisans qui ont mis les clés sous le paillasson et le Trésor public qui a été privé de ressources, le phénomène le plus préjudiciable est celui lié aux opérations de «hold-up» organisées contre le Trésor public d'une manière directe. Ainsi, dès le début des «révolutions arabes», les riches aux fortunes mal acquises et tous ceux qui ont quelque chose à se reprocher concernant leurs fortunes se sont jetés sur ce créneau des métaux précieux pour mettre à l'abri leurs pactoles. Ceci en l'envoyant vers des paradis fiscaux via des pays comme Dubaï, l’Italie, la Turquie, Hong-Kong… Ci-dessous quelques illustrations. – Déjà, lors du début de la fin de règne de Kadhafi en 2011, une partie du stock d'or libyen s'est retrouvée en Algérie sous forme de barres internationales (12 kg), lingots de 1 kg et pièces de monnaie portant l'effigie du «guide» en uniforme de capitaine. Des quantités énormes de ce «trésor» ont été achetées par des «fortunes» algériennes pour ensuite les fondre et les envoyer à l'étranger… Des bruits couraient, à l'époque, pour dire que les services de sécurité avaient «fermé les yeux», car le gros des opérations se faisait sous forme de troc : des camions de denrées alimentaires et autres équipements quittaient l'Algérie vers le pays voisin qui était sous embargo, surtout lors de la fermeture de son ciel, en contrepartie de l'or en question. Mais comme le métal est entré en Algérie illégalement, il s'est retrouvé entre les mains de ceux qui paniquaient et qui avaient intérêt à l'acheter en contrepartie de dinars «sales» et envoyer ensuite le métal vers des pays comme Dubaï. – Comme la seule politique économique qui régnait dans notre cher pays depuis 2011 est le sauve-qui-peut, de gros bonnets ont décidé de frapper encore plus fort. Ils ont décidé d'exploiter la différence entre la valeur «administrée» du dinar et celle du marché dit «noir» (Port-Saïd à Alger, Oran, Constantine…). Le créneau est juteux. Des jeunes, souvent au chômage, ont été recrutés par des «gros bonnets» pour leur faire un registre de commerce d'importateurs de métaux précieux, leur obtenir un agrément du ministère des Finances et les utiliser ensuite comme des «mules» pour faire ce qui suit : importer des «bijoux» dits en or 18 carats, mais souvent à très bas titre, en utilisant le crédit documentaire – donc le taux de change officiel –, mais une fois les bijoux importés en Algérie, on les renvoie au pays d'importation – souvent Dubaï – pour récupérer leur valeur en devises. Ensuite, la somme en devises récupérée est soit placée dans une banque locale, soit renvoyée en Algérie pour être revendue au noir et donc avec une valeur 45 à 55% plus élevée que celle à laquelle l'achat a été fait. En une semaine et avec une seule opération, le «gros bonnet» réalise non seulement le transfert de l’argent vers l'étranger, mais aussi des plus-values de 45 à 55% sur le dos du peuple, occupé à supporter son équipe nationale de football. L'opération est souvent renouvelée avec des complicités à tous les niveaux (services des Douanes, services de la garantie, services du commerce). Des signaux d'alarme ont été donnés depuis au moins fin 2012. Rien n'a été fait. Les «enquêtes» ont-elles été délibérément ralenties ? Le gouvernement a réagi au mois d'août 2013 pour mettre les métaux précieux et tout le chapitre 71 de la nomenclature douanière sur la liste «noire» des produits concernés par la Grande Zone arabe de libre-échange (Gzale). Ceci, car comme il n'y avait ni droits de douane ni TVA sur les bijoux importés de Dubaï, cette oasis de tous les fléaux était la principale source du trafic en question. A tel point que des entreprises italiennes et turques ont carrément créé des antennes à Dubaï pour obtenir des certificats d'origine «Dubaï» à leurs produits faits dans leurs pays respectifs. Cela valait la peine, car des centaines de millions d'euros étaient mis en jeux. Des «bailleurs de fonds» libyens, libanais, saoudiens, émiratis, syriens… ont tout simplement été invités par des compatriotes à prendre leur part du «gâteau Algérie» avant que le pays plonge dans le chaos. Depuis l'intervention de notre gouvernement et l'entrée en vigueur de sa décision, le 1er octobre 2013 – car évidemment il fallait laisser un peu de temps (deux mois) aux «épaulés» à qui des «franchises» ont été livrées en grande quantité et même revendues –, quelques-uns des «bailleurs de fonds» étrangers ayant engagé des intérêts avec nos «voyous» locaux auraient réagi à leur tour pour sauver leurs intérêts. A Dubaï, on a commencé à se plaindre des Algériens qui auraient trafiqué des «certificats d'origine» de leur oasis. Des procès pour falsification de documents officiels pointaient leur nez. Notre gouvernement intervient alors, le 12 novembre 2013, en violation de sa propre loi promulguée en 2004, pour interdire les importations des produits entrant dans le chapitre 71. Cette interdiction a été faite illégalement et en violation de la loi. Il a fallu donc éviter des écrits. Des notes internes ont été envoyées aux banques, aux services des douanes, aux directions du commerce… pour interdire toute domiciliation de facture liée aux métaux précieux et tout dédouanement de métaux précieux. Cette interdiction a été «blanchie» et donc rendue officielle depuis la promulgation de la loi des finances 2014. En effet, à l'occasion de la LF 2014, un texte, qui n'a ni tête ni queue, et qui aurait renvoyé Kafka à l'école, a été inséré, mais il n'a jamais été appliqué, tout simplement parce que rien n'a été fait pour son application. Aucun décret d'application ni cahier des charges. Donc, les produits concernés sont bel et bien interdits d'importation depuis novembre 2013. Le comble, c'est qu'aucune information officielle n'a été donnée depuis. Je résume la situation : des enquêtes approfondies ont été lancées et seraient toujours en cours et toucheraient tous les importateurs agréés (environ 120) ; des dossiers seraient entre les mains de la justice ; des réclamations ont été formulées par les autorités italiennes qui se préoccupent de l'avenir de leurs artisans qui n'exportent plus vers l'Algérie. Elles auraient même fait passer le message à notre Premier ministre lors de son dernier déplacement en Italie ; notre presse véhicule des rumeurs sur l'ouverture du marché ; des importateurs légaux, comme Agenor avec plus de 110 salariés, étouffent, car il n'y a pas de matière première en Algérie, surtout depuis l'éclatement du scandale Enor, une autre longue histoire. A qui profite de ce capharnaüm ? Réponse : comme la roue magique a été lancée à une très grande vitesse durant les mois précédant l'arrêt des importations, de gros bonnets avaient fait entrer au pays des tonnes de bijoux sans avoir eu le temps de les ressortir. Ils freinent donc l'application de la loi afin d'avoir le temps nécessaire pour vendre les bijoux dans un marché fermé et où les artisans locaux ont été «tués» par ceux qui importaient tout au noir, surtout de Turquie.
E. A.

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