Rachid Ben Othman à Algeriepatriotique : «Le peuple tunisien ne fait confiance qu’à son armée»

Algeriepatriotique : Un attentat vient de faire beaucoup de victimes dans un hôtel à Sousse. Pourquoi les terroristes ont-ils choisi ce moment précisément, selon vous ?

Algeriepatriotique : Un attentat vient de faire beaucoup de victimes dans un hôtel à Sousse. Pourquoi les terroristes ont-ils choisi ce moment précisément, selon vous ?
Rachid Ben Othman : On en est à 37 morts et plusieurs blessés, en majorité des Anglais, des Allemands et des Belges. Quelques Tunisiens figurent aussi parmi les victimes. En effet, cet acte entre dans le cadre de la destruction de l’Etat tunisien et notamment son économie à travers le tourisme, un secteur névralgique. Cet attentat ignoble n’est qu’un début. Nous avons déjà subi l’attentat du Bardo qui, lui aussi, a visé le tourisme ; les cibles sont méticuleusement choisies. Le but de ces groupes n’est un secret pour personne : c’est l’instauration du califat islamique. Ils procèdent par l’instauration de la terreur et de la peur au sein de la société, en frappant l’économie et en créant le chaos qui leur facilitera une attaque de grande envergure, à l’instar de ce qu’on a vu en Syrie et en Libye.
C’est le second attentat terroriste meurtrier après celui du musée du Bardo. Les services de sécurité tunisiens ont-ils failli ?
En effet, c’est le second attentat. La Tunisie n’a jamais connu une telle situation de toute son histoire. J’accuse tous les gouvernements qui ont pris le pouvoir depuis janvier 2011. Ce sont eux qui endossent la responsabilité de ce qui arrive, car, en raison de leur nonchalance et leur laxisme, qu’ils soient délibérés ou dus à quelque incompétence, ils n’ont fait que céder le terrain à cette horde qui a envahi tous les espaces, les institutions de l’Etat, les médias. Les lois ont été bafouées à travers l’octroi de visas pour des membres de partis et d’associations à caractère religieux, sans parler des fonds qui les financent sans qu’aucun contrôle soit effectué. J’ajoute aussi les parades des prêcheurs de la haine, ces terroristes venus des pays du Golfe qui ont fait la navette et ont répandu leur venin en poussant les jeunes à aller faire le djihad. La police a été disloquée, des services entiers ont été dissous sous prétexte qu’ils faisaient partie de la police politique du temps de Ben Ali. Mais on a vu, plus tard, que ce secteur a été infiltré par ces terroristes. J’en veux pour preuve les fuites de renseignements qui sont devenues courantes et qui ont même causé la mort d’officiers de la police et de militaires. Non, le rendement de la police n’est pas encore à la mesure du danger, même s’il y eut beaucoup de progrès ces derniers temps. Mais cela reste insuffisant. Cette police a été habituée à obtenir des renseignements sans effort, grâce aux indicateurs. Or, les choses ont changé et il n’y a pas eu d’adaptation à la nouvelle donne. Au lieu de faire la chasse aux cafés ouverts et aux non-jeûneurs, la police aurait mieux fait de concentrer ses efforts sur la traque des terroristes. L’armée nationale reste la seule institution sécuritaire en qui le peuple fait confiance.
La Tunisie est-elle en train de vivre la même expérience tragique que l’Algérie dans les années 1990 ?
Ceci a été prédit depuis l’arrivée des islamistes. Ces derniers ont été libérés des prisons et beaucoup sont rentrés d’exil. Ces mêmes personnes ont commis des attentats dans ce pays et ont été condamnées à des peines de prison. Alors, que pouvons-nous attendre d’eux, sinon le chaos et la division de la société ? Ils ont d’ailleurs réussi. Oui, nous vivons la même situation, et ce n’est que le début. Le même scénario se répète et c’est nous qui avons facilité cela. Les terroristes se préparent depuis quelques années sur notre sol, et le porte-parole du ministère de l’Intérieur sous le gouvernement islamiste nous disait que ce n’étaient que des sportifs qui s’entraînaient. Voilà où on en est aujourd’hui.
A votre avis, la simultanéité des trois attentats en Tunisie, au Koweït et en France sous-tend-elle un message ?
Une synchronisation de ces trois attentats me paraît peu plausible. On a eu l’habitude de voir les terroristes frapper les vendredis, comme pour gagner un «bonus divin». Mais cela reste possible dans le cas où une seule partie revendiquerait tous ces attentats pour passer un message au monde entier et dire que les terroristes sont capables de frapper n’importe où, n’importe quand.
Vous avez écrit sur votre compte Facebook que chaque touriste qui vient en Tunisie «joue à la roulette russe». N’est-ce pas un peu exagéré ?
Oui, j’ai bien écrit cela bien avant l’attentat du Bardo, car je pense qu’on ne peut mentir aux étrangers sur la vraie situation dans le pays et le risque qu’ils peuvent courir ; on ne peut se permettre d’inviter quelqu’un chez soi, dans sa maison remplie de vipères, sauf si on veut sa mort. Il aurait fallu d’abord nettoyer la maison et la sécuriser. Cela ne veut pas dire mettre l’armée ou la police devant chaque hôtel et contrôler chaque personne, tant absolument rien ne peut empêcher quelqu’un de commettre un attentat ou un crime. C’est un problème de fond qui se pose à notre pays infesté par cette vermine, à sa tête la secte d’Ennahdha et ses acolytes. Ce sont eux qui ont appelé à l’instauration de la sixième khilafa (califat, ndlr) ; ce sont eux qui ont appelé à tuer les mécréants et les apostats ; ce sont eux qui ont bien dit que : «Si vous avez cinquante mille policiers, nous avons cent mille kamikazes.» Ces propos ont été tenus par un ancien ministre islamiste.
L’Etat tunisien a-t-il les moyens de faire face au terrorisme islamiste ?
Seul, non ! C’est même impossible. Si la puissance de Bachar Al-Assad n’a pas pu battre ces terroristes, ce n’est pas la Tunisie qui va réussir à le faire. Nous avons près de deux millions de Libyens sur notre sol. Or, que savons-nous d’eux ? Rien ! On a tellement appelé à la fermeture des frontières – même si celles-ci sont poreuses –, mais rien n’a été fait. On a vu que des quantités énormes d’armes ont été introduites de ce pays et des milliers de Tunisiens s’entraînent à la guerre. Donc, sans l’aide des pays amis, et surtout l’Algérie qui a une grande expérience dans la lutte contre le terrorisme et qui est aussi concernée directement par ce qui se passe dans notre pays, la Tunisie sera submergée en peu de temps, et cela n’arrange ni l’Europe ni l’Algérie.
Vous n’êtes pas le seul militant tunisien à avoir mis en garde contre la situation périlleuse que vit le pays. Quelles solutions entrevoyez-vous pour éviter que la Tunisie sombre définitivement dans le chaos ?
La solution ne sera pas sans douleur. Mais il faut oser prendre les décisions qui s’imposent, sinon nous ne sortirons jamais de ce cercle vicieux. Il faut interdire tous les mouvements à caractère religieux, les partis comme les associations, et juger toutes les personnes impliquées de près ou de loin dans le terrorisme ; ce ne sont pas les dossiers et les preuves qui manquent. L’Etat doit aussi interdire le prosélytisme, reprendre le contrôle des mosquées et juger toute personne qui appelle à la haine et au djihad, chose qui n’a pas cessé jusqu’à ce jour. Toutes les institutions sont gangrénées et c’est un grand nettoyage qu’il faudra entreprendre. Or, jusqu’à aujourd’hui, personne n’a eu le courage de le faire. Même le parti Nidaa Tounes, auquel les Tunisiens ont fait confiance pour mener cette tâche, a trahi ses électeurs et a pactisé avec le diable.
Certains estiment que l’atout principal de la Tunisie est la mobilisation et la détermination de sa société civile qui a toujours joué un rôle dans les situations de crise. D’autres, par contre, pensent que la Tunisie s’achemine vers une «faillite totale de l’Etat et l’éclatement de la société». Quelle est votre analyse ?
Ceci est tout à fait vrai. La société civile a joué un grand rôle à un certain moment, mais on voit, aujourd’hui, qu’il y a une certaine démission de sa part. Je pense qu’elle a été soumise à l’usure. Il faut dire qu’il y a de quoi. La classe politique ment tout le temps et la situation ne s’est jamais arrangée. Au contraire, elle s’est dégradée : le chômage augmente, le pouvoir d’achat baisse, le dinar est dévalué, l’inflation galope, la classe moyenne a disparu, la corruption a grimpé d’une façon inimaginable, l’endettement atteint des niveaux qui dépassent les normes, les revendications salariales et sociales ne s’arrêtent pas, les grèves se multiplient sans cesse, l’impunité règne, la justice ne bouge pas et, parfois, elle fonctionne à deux vitesses… Donc, le climat n’est plus tel qu’il était les deux premières années qui ont suivi le 14 janvier 2011. On constate une lassitude de la part de cette société civile qui, elle aussi, a sa part de responsabilité dans tout ce qui se passe, car elle ne se réveille qu’après que le mal soit fait alors qu’elle devrait être capable d’anticiper les événements. La faillite est générale. Elle commence à partir de la cellule familiale, en passant par l’école, le lycée et l’université jusqu’à atteindre les institutions et le sommet de l’Etat. C’est l’échec total sur tous les plans. Il a suffi d’enlever la couche de vernis qui couvrait toutes ces lacunes pour voir cet échec. A tous ceux qui pourraient penser que c’est un tableau sombre que je dessine, je les défie de me citer un seul fait positif qui mérite d’être loué.
Entretien réalisé par Mohamed El-Ghazi

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