Les attentats de Sousse réveillent les démons des Algériens

Cet article est la réécriture du précédent, intitulé Les Algériens se mobilisent pour sauver la révolution tunisienne,suite aux nombreuses réactions dans les réseaux sociaux, qui sont assez significatives pour ne pas laisser indifférente la réflexion. Les plus significatives se résument soit au reproche fait aux Tunisiens de n’avoir manifesté aucune solidarité active pendant les années de sang, soit que les Algériens devraient plutôt s’occuper de balayer devant leur porte, en se mobilisant contre les djihadistes encore présents sur leur propre sol, ou encore se mobiliser pour instaurer chez eux un Etat de droit et parvenir à mandater eux-mêmes leurs gouvernants et non pas qu’il leurs soient imposés comme c’est le cas. A côté de ces principales motivations, il y a les sceptiques qui qualifient cette attitude d’émotivité irrationnelle, conditionnée par l’immaturité et la témérité excessive qui caractériserait généralement les Algériens, allant jusqu’à la comparer avec l’évènement d’Oum Dorman.
Il n’est pas dans mon intention de disserter sur cette mobilisation et sur ces voix qui s’y opposent dans ce court article, encore moins prétendre apporter des réponses suffisamment argumentées, qui relèvent par certains aspects du domaine de la psycho-politique. Je me limiterai à donner mon sentiment global, dans lequel je considère que nous avons affaire à un état de frustration généralisée, aussi bien chez ceux qui se sont portés volontaires pour cette mobilisation que ceux qui s’en sont démarqués.
D’abord, une frustration liée au sentiment de solitude, d’isolement et d’indifférence de la part du monde extérieur devant leur souffrance à ne pas disposer de leur destin souverainement, qui fait dire aveuglement aux uns que les Tunisiens n’avaient pas manifesté de solidarité active pendant les années de sang. Comment le pourraient-ils, pris en étau eux-mêmes entre une mouvance islamiste larvée et une dictature qui réprime violemment toute tentative d’expression politique, fût-elle en solidarité avec un autre peuple ? En refoulant le fait que les Tunisiens étaient parmi ceux qui avaient le plus soutenu activement la guerre d’indépendance.
La frustration liée au sentiment de persécution, celle de ne pas avoir définitivement tourné la page des années de sang, par l’impunité dont bénéficient les ex-djihadistes. Ajouté à cela un désir de vengeance contre le laxisme apparent observé par le pouvoir vis-à-vis des djihadistes toujours actifs sur le sol algérien, ainsi que l’impunité des inquisiteurs qui officient publiquement sans s’inquiéter. On a l’impression que les uns veulent aller jusqu’en Tunisie pour exorciser les démons djihadistes qui les persécutent toujours, et les autres reprocher à la conscience collective de ne pas agir pour éradiquer ce fléau chez eux.
La frustration de l’échec, qui pourrait s’interpréter par le fait qu’à défaut de faire la révolution chez eux, les Algériens se mobilisent pour sauver celle des Tunisiens, comme ils manifestent leur solidarité avec le peuple palestinien à chaque fois que celui-ci est agressé par l'occupant sioniste. Une frustration qui se nourrit aussi bien de l’échec de la transition démocratique initiée après 1988 que celle de la confiscation de la souveraineté populaire au tournant de l’indépendance nationale. Par-delà la solidarité inaliénable et sans condition avec les peuples qui luttent pour leur autodétermination afin de disposer d'eux-mêmes et reconquérir leur souveraineté, héritée de notre glorieuse Révolution, dont les Algériens demeurent profondément imprégnés.
La frustration induite par la jalousie, celle exprimée par ceux qui dénient à la révolution tunisienne toute crédibilité, la qualifiant de complot impérialo-sioniste, qui seraient excessivement frustrés que les Tunisiens soient meilleurs pour avoir réussi une transition démocratique par le débat, sans violence, ni assistance. Au même titre que les nationalo-conservateurs adeptes du statu quo, qui trouvent dans la réussite de cette révolution une menace sur les privilèges qu’ils tirent de cette situation.
La frustration devant l’impuissance, celle des sceptiques, qui semble exprimer leur désolation devant la conscience pré-politique dans laquelle la grande masse de la population se trouve aliénée. Par-delà le fait d’avoir fait échouer les plans diaboliques des convoitises impérialistes, en s’obstinant à continuer à subir la dictature plutôt que de succomber à leurs complots, notamment à l’occasion des marches de la CNCD, bien que la barbarie subie durant les années de sang ait joué à plein son rôle inhibiteur.
Autant de frustrations qui ne sauraient justifier la démobilisation devant cette aide précieuse et ce soutien aussi vital à nos voisins et amis tunisiens devant la tragédie qui les a frappés, menaçant les fondations de leur Etat et de leur révolution. Comme l’ont fait beaucoup de touristes européens, pour avoir également manifesté leur sympathie et leur solidarité avec le peuple tunisien, en refusant de céder à la panique et en choisissant de ne pas quitter la Tunisie, pendant que d’autres ont refusé d’annuler leurs vacances dans ce pays, et continuent d’y affluer. D’autant que cette mobilisation bénéficiera en retour non seulement aux Algériens eux-mêmes, par l’expérience acquise dans leur participation indirecte à la révolution tunisienne, et d’éveiller un peu plus leur conscience politique, mais de permettre de maintenir la flamme du processus de transition démocratique en cours dans la région toujours allumée.
Y. B.
Ndlr :
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