Une contribution de l’Anaaf – Le Front national normalisé, dédiabolisé et légitimé

Retour sur une déclaration, passée presque inaperçue dans la presse et sans aucune émotion politique, reprise il y a à peine deux ans dans Boulevard Voltaire : «Une fois le Coran interdit en France, que ferons-nous des musulmans ? Tirer dans le tas si nécessaire !» (Christine Tasin, professeure agrégée de lettres classiques, soutien affiché de Marine Le Pen, présidente du Front national.)

Retour sur une déclaration, passée presque inaperçue dans la presse et sans aucune émotion politique, reprise il y a à peine deux ans dans Boulevard Voltaire : «Une fois le Coran interdit en France, que ferons-nous des musulmans ? Tirer dans le tas si nécessaire !» (Christine Tasin, professeure agrégée de lettres classiques, soutien affiché de Marine Le Pen, présidente du Front national.)
La dualité gauche-droite comme expression du clivage politique en France est aujourd'hui totalement dépassée. Le gouvernement actuel, dirigé par Manuel Valls, applique une politique libérale de droite. Le vote de la loi Macron, inspirée des recommandations néo-libérales de la commission européenne, en est la parfaite illustration et confirme que les orientations économiques et politiques doivent désormais se conformer aux différents traités européens. Ainsi, la politique nationale française ne relève plus de la seule souveraineté du peuple, mais obéit à des commanditaires qui organisent et gèrent les pièces du théâtre politique qui se joue au palais de l'Elysée, dans les deux chambres du Parlement ou dans les salles de rédaction des mass medias, notamment audiovisuels. Cela précisé, on comprend mieux pourquoi l'affrontement qui oppose le père et la fille Le Pen au sein du front national est massivement médiatisé. Il relève d'une véritable mise en scène et d'une stratégie mûrement réfléchie, à l'abri des regards des citoyens les plus conscients politiquement. L'habillage de la communication autour du concept de la «dédiabolisation» de ce parti d'extrême droite masque en réalité sa reconnaissance comme force politique «normalisée» par les tenants du système oligarchique dominant, appuyé par des forces et soutiens intérieurs et extérieurs dans la mesure où ses dirigeants actuels, avides de pouvoir, se sont ralliés à l'Union européenne, l'Otan, le libre-échange mondial et des réformes sociétales. Ainsi, le Front national n'apparaîtra plus comme seule alternative politique, menaçant les équilibres et les intérêts du système, mais comme composante de ce système dominant, présenté aux électeurs comme réformé et élargi. Pour la réussite de ce plan, dans la perspective des élections présidentielles de 2017, Manuel Valls avait affirmé, il y a quelques mois, que lors des prochaines élections législatives, il y aura, conformément à la promesse du candidat François Hollande, durant sa campagne en 2012, l'introduction, à côté du classique scrutin majoritaire à deux tours, d'une dose de proportionnelle. Refusant d'augmenter le nombre de députés (577 actuellement), le gouvernement n'a pas d'autre choix que de procéder à un redécoupage des circonscriptions dont les enjeux pourraient être considérables. Cette stratégie électorale vise à satisfaire les écologistes pour les ramener au bercail de la gauche et les neutraliser pour qu'ils soutiennent, le moment venu, en 2017, le candidat potentiel du Parti socialiste sauf accident : François Hollande. Par ailleurs, le Front national qui n'a aujourd'hui que deux élus à l'Assemblée nationale aura l'occasion, de revivre, avec Marine Le Pen comme «chef suprême docile, normalisé, dédiabolisé et légitimé», l'expérience de 1986, où François Mitterrand offrit à son père, Jean-Marie Le Pen, l'occasion de diriger un groupe parlementaire de 35 députés, élus comme représentants de la nation au palais Bourbon. Ces objectifs, s'ils étaient poursuivis et atteints, provoqueraient un choc politique violent, car il permettront au Front national de ne plus être un simple épouvantail, exploité par la gauche ou la droite en fonction de leurs intérêts politiques du moment, mais de devenir un «parti d'action et de projet», légitimé par le système dominant, capable de former, grâce au jeu des alliances, le noyau d'un rassemblement majoritaire à l'Assemblée nationale. Une telle dynamique ouvrirait, à sa présidente Marine Le Pen un boulevard pour s'offrir un jour les charmes du palais de l'Elysée.En effet, une fois maîtresse des centres de décision et du pouvoir, rien n'interdirait à Marine Le Pen et à son parti d'appliquer leur programme politique :
1- remise en cause de la libre circulation des personnes et des biens, protectionnisme ;
2- dénonciation des traités de Maastricht et de Lisbonne ;
3- utilisation du référendum sociétal à propos de l'immigration ;
4- promotion de l'identité française et stigmatisation de l'islam et des musulmans.
Un tel scénario entraînerait la France dans une turbulence politique dangereuse aux convulsions difficilement maîtrisables, voire une grande fracture de la société. Pour mémoire, la convention de l'Unesco précise que les gouvernements des Etats qui en sont parties, au nom de leurs peuples, déclarent que «les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix». Les déclarations de Christine Tasin – professeur agrégé de lettres classiques –, publiées il y a à peine deux ans par le site Boulevard Voltaire et aux yeux de qui Marine Le Pen représente le dernier recours pour sauver la France, n'ont fait l'objet d'aucune condamnation officielle, politique, morale de tous ceux qui sont si prompts à condamner tout acte antisémite ou de poursuites judiciaires, aux motifs d'apologie de la haine raciale et religieuse, autrement plus sérieuses que la condamnation à trois mois de prison avec sursis et une amende quasi symbolique de 3 000 euros, prononcée contre leur auteur. Méprisant l'esprit de la convention de l'Unesco, citée plus haut, Christine Tasin déclare, sans la moindre retenue, qu’«une fois le Coran interdit en France, les musulmans, qu'ils soient français ou pas, auront donc le choix. S'ils veulent rester en France, ils seront dans un pays où disparaîtra toute visibilité de l'islam, le voile, le kamis, l'abattage rituel, les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées… Les nés musulmans pourront alors librement abdiquer l'islam et devenir apostats ou pratiquer leur culte de façon totalement privée, chez eux, sans en faire état. Si cela ne leur convenait pas, ils auraient le droit de gagner un des 57 pays musulmans de la planète où règne la charia. A cela s'ajoutera un moratoire sur l'immigration s'accompagnant de mesures de préférence nationale pour les prestations sociales, afin de supprimer l'appel d'air permanent qu'elles suscitent. Bien sûr, il faudra ou sortir de l'Union européenne ou la faire exploser puisqu'elle voudra nous empêcher de faire la loi chez nous, et reconstituer une Europe des nations. Bien sûr, il y aura contestations, émeutes et même des menaces terroristes. Le pouvoir y mettra fin grâce à sa détermination sans faille, et, s'il faut sacrifier les musulmans pour redonner à 65 millions d'habitants paix et protection, il faudra faire savoir que l'armée, dépêchée à chaque menace, n'hésitera pas à tirer dans le tas». Trop tard. Comme dans «Le rat et l'huître» de Jean de la Fontaine, «tel est pris qui croyait prendre». Dans cette hypothèse politique qui n'a rien d'une fiction dénuée de sens, Marine Le Pen se révélerait plus rusée que le système qui a entrepris de «domestiquer» le Front national. Bien sûr, nous pourrions imaginer un discours appelant à la mobilisation de l'ensemble de la classe politique, mais également et surtout des milieux économiques pour qui la victoire de Marine Le Pen serait synonyme de syncope économique assurée. En tant que citoyens d'origine algérienne et de confession musulmane, nous serons les premières victimes de ce programme d'exclusion et d'épuration de la France que nous préparent les soutiens du Front national. Toujours dans Boulevard Voltaire, Christine Tasin avoue sa haine de l'Algérie et des Algériens. En passant sous silence les crimes, les atrocités et les séquelles de la colonisation dont a souffert le peuple algérien, toujours en stand-by d'une réparation morale, matérielle ou financière, elle précise, avec une outrance inqualifiable, en guise de conclusion de sa déclaration : «Bien sûr, enfin, on nous dira qu'il y a trop de citoyens concernés par notre programme. Et qu'on ne peut expulser des gens présents depuis si longtemps en France, avec la nationalité du pays. A ceux-là, nous répondrons qu'en 1962, on a fait partir d'Algérie plus de 10% de sa population, dont la plus grande partie n'avait plus aucun contact avec la France depuis plusieurs générations. A notre connaissance, c'est loin d'être le cas de nombreux musulmans qui vont en vacances, tous les ans, "au pays".» Nous devons donc, aujourd'hui plus que jamais, prendre ces menaces au sérieux, surtout après l'affaire récente du Thalys et l'incendie criminel de la mosquée d'Auch près de Perpignan ; nous devons nous mobiliser et créer, avec toutes les organisations de la diaspora algérienne en France et tous les véritables démocrates et républicains, un véritable réseau d'alerte et de vigilance, souple et informel, mais fortement structuré, par le biais d'internet et des réseaux sociaux. Ce réseau devra être capable de déboucher sur une mobilisation réelle et significative de notre diaspora pour la rassembler et lui permettre de parler d'une même voix le moment venu. Après la création, selon certains articles de presse, de milices par les «identitaires» pour scalper du musulman, la menace de «ratonades» se fait de plus en plus sentir. Malheur donc à l'homme seul ! Pour ce qui nous concerne au sein de l'Anaaf, nous continuerons donc à chercher des forces individuelles ou collectives de notre diaspora qui partagent une partie de nos points de vue et avec lesquels nous pourrions échanger des informations et monter des actions associatives pacifiques coordonnées. A ce propos, nous rappelons que nous organisons un congrès national en mars 2017.
Cela dit, le plus important, c'est oser dire non aux agressions de toutes natures et à la stigmatisation éhontée dont nous sommes victimes en tant que citoyens d'origine algérienne et de confession musulmane. C'est également oser affirmer nos convictions et de nous comporter comme des citoyens, viscéralement attachés aux valeurs démocratiques et républicaines. Les adversaires de notre présence en France utilisent tous les procédés mis au point par les experts de la manipulation et de la conquête des foules pour nous intimider, et nous désigner comme les boucs émissaires de tous les maux de la France, avec la propagande du matraquage permanent de la «cinquième colonne». Derrière la fumée de la référence aux valeurs de la laïcité, de la République, de la démocratie et de la liberté d'expression, à géométrie variable, nous subissons l'accusation de «tous coupables», et peut-être bientôt de «tous responsables» des actes terroristes et barbares commis sur le sol français, au prétexte que nous serions citoyens de confession musulmane. Cette accusation gratuite dont nous n'ignorons pas les objectifs politiques, nous la refusons et la repousserons démocratiquement avec force. Nous devons nous rassembler et nous organiser pour parler d'une même voix au nom de la diaspora algérienne de France. C'est une nécessité et un devoir pour chacun d'entre nous, si nous voulons dissuader les adversaires de notre présence en France, car il nous faut, à la fois, leur faire comprendre que nous connaissons leurs projets funestes et que nous avons les moyens d'empêcher démocratiquement leur tentative de banaliser l'islamophobie pour mieux réhabiliter le fascisme et ses méthodes barbares contre les minorités les plus exposées.
Alliance nationale des associations des Algériens de France

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