Une contribution de Youcef Benzatat – La retraite du général Toufik ou la théâtralisation du mensonge

Que signifie le départ à la retraite du numéro un des services de renseignement lorsque celui-ci devient un événement national, vers lequel tous les regards de la société sont braqués, rendu possible grâce à des médias relais, en le travestissant en une scène de théâtre où se joue un dénouement d’une lutte féroce entre deux énigmes : le départ à la retraite de Toufik entouré d’un tas de mystères et l’opacité absolue des manœuvres de coulisse de Bouteflika ? Une issue à cette lutte, nous dit-on à l’unanimité, qui devrait déboucher inéluctablement sur «une ère nouvelle», en se gardant d’en préciser les contours. Une forme de mise en scène qui a pour conséquence l’accentuation de l’aspect énigmatique et dramatique du dénouement lui-même. Mais à y regarder de près, l’énigme en soi n’est pas si énigmatique que cela, du fait qu’elle est mise en scène sous le registre de l’ambivalence, où cette lutte est présentée sous le signe du bien contre le mal et où l’un et l’autre des acteurs se voient endosser réciproquement et inversement l’un et l’autre rôles impartis. Car tantôt est attribuée à Bouteflika l’hypothèse du promoteur d’un Etat civil, pour restituer à ce peuple sa dignité et son espoir confisqué et Toufik présenté comme l’architecte et le continuateur de l’Etat policier né du putsch de l’été 1962. Et tantôt, Bouteflika est présenté dans l’habit du diable, incarnant le mal à la perfection, par la promotion du système de prédation et le vaste réseau de corruption qui le caractérise, ainsi que le fossoyeur de l’étincelle démocratique née d’octobre 1988 et Toufik serait l’avant-garde de la souveraineté nationale face aux convoitises et aux menaces extérieures et le surmoi garde-fou qui surplombe la dérive prédatrice. Or, cette ambivalence binaire s’avère être l’effort désespéré d’une tentative de théâtralisation du mensonge pour légitimer le pouvoir usurpé, en cumulant diversion sur diversion dans le seul but de gagner du temps et de reporter indéfiniment le dénouement de la véritable lutte du peuple contre la tyrannie. Trahie par la focalisation sur une lutte imaginaire et fantasmée entre les deux protagonistes qui en sont parmi les principaux artificiers. Une théâtralisation qui se prend les pieds au final dans le vertige d’une spirale en abîme ou le fond ultime, qui reste inaccessible au courage politique de la myriade des analystes qui se sont essayés à en dire quelque chose, et qui est perçue par le commun de la grande masse du peuple par quelque chose qu’ils nomment hogra, traduit en terme politique chez un peuple n’ayant pas subi de dépolitisation de masse par «dictature». Car la hogra se traduit par l’abus du pouvoir et le piétinement de la loi, caractéristiques de tout Etat de non-droit où le hagar n’est autre que le dictateur. Le fond ultime de cette spirale en abîme serait donc le siège privilégié où vient échouer l’écho des complaintes des sans-voix pour couvrir le néant qui menace d’engloutir bourreaux et victimes. Ainsi, le dos à dos du peuple à la dictature ne présageant rien de nouveau à l’horizon de cette spirale en abîme, la mise à la retraite de Toufik ne changeant rien à la nature du système de pouvoir, celle-ci sera d’emblée un non-événement. Quoi de plus normal qu’un vieux lassé d’un pouvoir usurpé s’en aille à la retraite, s’agissant de l’un ou de l’autre protagoniste de la tragédie qui est en train d’anéantir la nation algérienne ? Le départ à la retraite d’un, de deux, voire de trois vieux parmi tant d’autres ayant mis sous séquestre l’espoir de tout un peuple au tournant de l’émancipation de l’emprise coloniale, pour le réserver exclusivement à leur propre ego, à ceux de leur famille, de leurs proches et de tout un sérail de prédateurs sans scrupules à leur service, n’aura aucun impact significatif sur la hogra en tant que mode de gouvernance et la perpétuation de la théâtralisation du mensonge comme mode de légitimation.
Y. B.

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