Voilà pourquoi on a mis fin au DRS de Toufik

Par Youcef Benzatat – Depuis que ce système de pouvoir a pris forme, avec la consolidation du MALG de Abdelhafid Boussouf et sa récupération par le chef d’état-major Houari Boumediene, qui en a fait un instrument essentiel, les Algériens se sont divisés en deux blocs : pro et anti-système. A l’indépendance, Boumediene régnait en maître absolu, en contrôlant directement l’état-major et la sécurité militaire, née de la restructuration du MALG. Pour légitimer sa prise du pouvoir par les coups de force successifs contre le GPRA et Ben Bella, Boumediene échafauda une rhétorique populiste basée sur le devoir du redressement révolutionnaire où seuls les membres du FLN étaient admis à y jouer un rôle. Naîtra alors le mythe de la famille révolutionnaire. Etaient considérés en tant que membres tous ceux et celles qui déclaraient ouvertement leur allégeance au raïs. Tous ceux et celles qui s’y opposaient étaient pourchassés, persécutés, emprisonnés, voire assassinés. De son vivant, le système c’était le raïs, organisé sous forme pyramidale, dont il occupait le sommet en despote absolu. Après sa disparition, la pyramide s’effondra pour laisser place à un pouvoir collégial qui n’hérita du système de Boumediene que la forme de domination politique et sa légitimation, à savoir le mythe de la famille révolutionnaire et son mode de coercition, balayant tout le projet de société socialiste brodé par ses conseillers utopistes. L’ouverture de l’économie au libéralisme et de la politique à la démocratie qui s’en suivirent étaient inéluctablement vouées à l’échec, tant que le système de domination de Boumediene restait en vigueur. Face à l’absence de contre-pouvoir, le nouveau système économique déboucha sur l’esprit de prédation, ouvrant la voie à un vaste réseau de corruption qui n’épargna aucun secteur de la société et de ses institutions, alors que le système politique se mua en une démocratie de façade. La transition démocratique ne pouvait se réaliser, comme dans l’ordre naturel de toute dictature, dont le pouvoir est concentré entre l’état-major de l’armée et les services de renseignement et de sécurité, sans avoir au préalable dépolitisé la chaîne de commandement des militaires. L’état-major et le DRS, issu de la restructuration de la sécurité militaire, elle-même produit du MALG, n’avaient ni la volonté ni les motivations pour aller vers la légalité et vers un Etat civil, tant que la gestion de la fabuleuse rente demeurait entre leurs mains. Aussi, l’illusion de l’ouverture du champ politique rendait inopérante la légitimation par le mythe de la famille révolutionnaire, qui devenait de plus en plus encombrante par son érosion. La fin de la légitimation par ce mythe fut explicitement déclarée par Abdelaziz Bouteflika lors des législatives de 2012 par l’anecdotique expression «Tab j’nanena», suivie par une promesse de réformes et de révision de la Constitution, en faisant croire à l’établissement progressif de la légalité. Cette stratégie a permis au système de gagner un temps précieux et traverser les turbulences du «printemps arabe» pour le conduire aux présidentielles de 2014. Non sans y avoir laissé des plumes, car le cercle restreint de prédateurs s’est vu élargir à ceux de l’anti-système par l’achat de la paix sociale, en distribuant à tout va une partie importante de la rente aux plus récalcitrants parmi les potentiels candidats au soulèvement populaire, et la clientélisation de la société civile, des partis politiques et des médias. Allant jusqu’à la corruption des chancelleries impérialistes menaçantes par le biais de la pègre internationale des marchés mondialisés. Pour rendre encore plus crédible le mensonge de la refondation du pouvoir sur la base de la légalité et l’instauration d’un Etat civil, la fin du mythe de la famille révolutionnaire et l’élargissement du cercle de prédation ne pouvaient suffire, il fallait donc tromper les irréductibles en leur vendant l’illusion de la fin de la police politique. Pour ce faire, il fallait dissoudre le DRS et restructurer ses missions traditionnelles en les réaffectant dans différents corps armés. C’est alors que les médias relais du système se mettront à l’œuvre par l’inondation du champ médiatique d’un conflit imaginaire entre Présidence et DRS à des fins de manipulation de l’opinion. Certains médias étaient partie prenante, d’autres ont péché par duperie ou par résignation. A force de ressasser sans discontinuer ce mensonge, l’opinion a fini dans sa majorité par succomber à la supercherie, sans pour autant croire en la volonté du pouvoir d’aller vers un Etat civil, «si… vil» comme le surnomme le génie de la conscience collective. On peut considérer le début de ce gigantesque mensonge quand le pouvoir fut contraint de trouver un successeur à Bouteflika, ne pouvant plus jouer le rôle qui lui était imparti suite à son AVC. La machine de propagande s’était ébranlée dès son retour du Val-de-Grâce. Le coup de semonce final et explicite fut donné par le grotesque de l’attaque frontale du secrétaire du FLN, Amar Saïdani, contre le numéro un du DRS, le général Mohamed Mediène dit Toufik. Aux yeux de l’opinion, un tel affront ne peut que rendre crédible cette manipulation et ouvrir les portes à la théâtralisation de la scène finale par l’admission à la retraite de Toufik. En donnant l’impression d’acquiescer sans réagir, Toufik n’agit pas dans un contexte de raison d’Etat, tant s’en faut ; il s’agit plutôt de sa contribution à faire gagner du temps au système, pour sa préservation et sa perpétuation. Voilà pourquoi le DRS a été dissous. Toute hypothèse contraire n’est que manipulation, à moins qu’à court terme le pouvoir mette fin au quatrième mandat de Bouteflika, en organisant des élections pour élire une Constituante légitime, garantissant la restitution définitive de la souveraineté législatrice au peuple et dépolitisant dans la transparence la chaîne de commandement des corps armés. En attendant, la manipulation continue de plus belle, allant jusqu’à faire grand bruit de la fermeture des bureaux du DRS auprès des institutions nationales, régionales, locales et même de la fin des infiltrations des médias, des partis politiques et de la société civile, comme si la culture de la délation née de l’intéressement à la rente, qui a réduit des pans entiers de la société en défenseurs inconditionnels du système, n’était pas de rigueur.
Y. B.

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