La réunion des 22 : un jour, une décision, un destin

Par Khalil Oudainia – Le dimanche 25 juillet 1954 au Clos-Salembier, El-Madania actuellement, eut lieu une réunion à la maison de Deriche, connaissance de Zoubir Bouadjadj. Ce dernier est le véritable point de relais des révolutionnaires. Avant et après ce rendez-vous, Si Zoubir est l’homme de confiance des Six historiques. Il les ramenait dans des maisons pour tenir leurs réunions sans qu’eux-mêmes ne connaissent le lieu. Le Groupe avec grand G, tel que les messalistes et les centralistes les appelaient, se réunissait souvent. Lahouel, Ben Kheda, Yazid d’une part, Mezrana et Merbah, les hommes de Messali d’autre part, savaient qu’une action se prépare, mais n’avaient aucun détail. D’ailleurs, ils ne prenaient pas «le groupe» au sérieux. Revenons un peu en arrière pour comprendre le processus qui a mené à cette réunion. Deux hommes sont à l’origine de cette action. Boudiaf et Didouche sont convaincus qu’il faut créer une troisième force qui mettra tout le monde devant le fait accompli. Ils vont réussir le coup qui basculera l’avenir du pays. Après s’être mis d’accord avec Ahmed Mehsas, ils rentrent en Algérie. Ils contactent les anciens de l’OS, Ben Boulaïd ne s’est pas fait prier pour accepter. Déjà, il a constitué à Batna le Hizb d’El-thoura et le Djich d’El-thoura. Ben Boulaïd s’est chargé par la suite de rencontrer Krim Belkacem et Ouamrane pour les convaincre de rejoindre la révolution qui se prépare. Par là même, il a réussi à dépasser la mauvaise impression que Didouche avait laissée lors d’une réunion antérieure. Didouche leur avait fait croire que la révolution est presque préparée, que les armes et les hommes ne manquent pas, et qu’ils ont intérêt à la rejoindre, sinon elle se fera sans eux. Il voulait les impressionner afin de les convaincre. Mauvaise appréciation. L’erreur est imputée par la suite à son jeune âge et sa volonté de bien faire. Heureusement que Ben Boulaïd, l’homme respecté venant du Grand Aurès, est là pour rattraper la situation. En juin 1954, Boudiaf et Bitat sont victimes à la basse Casbah d’une agression des pro-Messali. Ils tombent par terre. La police arriva. Ils ont failli être arrêtés. Victimes, mais toujours recherchés pour l’affaire du démantèlement de l’OS. Des membres du MTLD les ont aidés à se relever et à partir avant que la police arrive. La riposte ne va pas tarder. Le siège du MTLD, 2 place Chartres, tenu par de fidèles messalistes est attaqué le lendemain par des hommes «sûrs» de Boudiaf et Bouadjadj. Par la même occasion, des vendeurs de l’Algérie Libre de Messali et de la Nation algérienne des centralistes sont attaqués. Le CRUA fait les preuves de sa force. Krim et Ouamrane, représentants de la future Wilaya III, ne sont pas présents à cette réunion. Pourquoi ? Yves Courrière apporte la réponse. Tout simplement Krim et Ouamrane étaient au courant du processus. Les six chefs historiques et Ouamrane avaient déjà pris leur décision sur l’engagement militaire. Ils voulaient faire passer la décision comme résultat de la réunion des 22. Mais en réalité, ils ont déjà une idée presque précise de ce qu’ils ont l’intention de faire. Comme Krim et Ouamrane règnent sur des maquis en Kabylie depuis neuf ans, ils ont voulu agir au plus vite. Ils sont partis pour sonder leurs hommes et renforcer la solidité de la structure. Pour cette raison, Ben Boulaïd a tenu dès le début à faire connaître à ses collègues que Krim et Ouamrane sont au courant de l’objet de cette réunion et qu’ils le mandatent à les représenter. Cette affirmation était d’une grande nécessité. Les anciens de l’OS savent l’intérêt des maquis en Kabylie. En outre, ils étaient persuadés que la région est encore attachée au vieux leader Messali. D’ailleurs, même Krim et Ouamrane vont peiner à convaincre leurs hommes de s’engager dans la révolution sans Messali. La Kabylie lui a toujours été fidèle. Ben Boulaïd ouvre la séance en parlant de la situation désespérante des militants nationalistes. L’exemple de la victoire en Indochine est érigé en modèle. Il dit : «La guerre qui se termine là-bas… nous devons l’entreprendre ici.» Souidani Boudjamâa a joué un rôle crucial dans la prise de décision. La discussion s’éternisait. Certains se doutent du niveau de préparation. Il intervient, larmes aux yeux, et pose cette question : «Sommes-nous de vrais révolutionnaires ?» Face à cette question directe, l’émotion est forte. Personne ne pouvait exprimer une opposition. La décision fut unanime. Il faut déclencher la révolution dans les plus brefs délais sans attendre le parti. Didouche est franc : «Nous n’avons que très peu de chances de voir la révolution aboutir. Nous donnerons le départ, d’autres prendront le relais.» Effectivement, il tombera au champ d’honneur en héros en 1955. Vers midi, le propriétaire de la maison, Deriche, invita les présents à un couscous. Petite pause, puis on reprend le travail. Le temps d’un vote anonyme, contrôlé par Ben Boulaïd. Boudiaf est élu coordinateur. Ce dernier désigne les quatre. Une place est réservée à Belkacem. Les consignes sont données. Chacun ne doit recruter que quatre ou cinq personnes. Ceux-ci feront de même. Les nouveaux ne connaîtront jamais l’identité du chef. Le but est que chaque recrue ne connaisse au maximum que quatre personnes en cas d’infiltration. Par la suite, les militants de Constantine se rétractent. Habachi, Lamoudi, Mechati pensent que la décision prise à Alger lors de cette réunion est émotionnelle. Les armes et les hommes manquent. Il faut retarder le déclenchement dans le but de s’organiser mieux. Mais cette rétractation est due à un autre facteur également. Lahoual, secrétaire général du MTLD, mécontent de la rupture avec le CRUA, passe à la vitesse suprême pour entraver leurs actions. Il se déplace à Constantine et rencontre les membres constantinois. La fermeté d’un homme, Didouche, sauvera la situation. Il affirme la position de manière intransigeante. Aucune nouvelle réunion ne sera organisée. La révolution «se fera avec ou sans vous. Personne ne vous attendra». Cette fermeté payera, et la révolution se déclenchera dans le Nord-Constantinois sans ces militants réticents qui ont gelé leur participation. La fixation de la date s’est opérée le 10 octobre. Les six se sont réunis. Des dates sont proposées. Le 15, très proche, le 25, mais ce n’est pas frappant comme date. Enfin c’est le 1er novembre, c’est frappant dans l’esprit. Le 1er d’un mois. Cette date coïncide avec la fête de la Toussaint. Bien que certains ouvrages historiques prétendent que cette fête religieuse a été choisie délibérément puisque la vigilance sera moins importante. Il n’en est rien. L’affaire est une question de temps seulement. La preuve, les dates proposées au début n’ont pas été adoptées seulement à cause de raisons liées à l’organisation révolutionnaire. Le 22 octobre est choisi comme date de répétition pour tester le dispositif et la fiabilité des hommes. Trois heures seulement avant l’heure de déclenchement, le contre-ordre est donné. Un jour, une réunion, une décision et un destin. La page noire de l’histoire de l’Algérie est tournée. Une autre page, remplie d’espoir commence.
K. O.

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