Interview – Norman Solomon : «Les médias et les réseaux sociaux nous incitent à accepter la guerre»

Algeriepatriotique : Des attentats terroristes ont frappé la capitale française le 13 novembre dernier, faisant 130 morts et près de 400 blessés(*). Quelle lecture faites-vous de cette attaque terroriste sans précédent en France ?

Algeriepatriotique : Des attentats terroristes ont frappé la capitale française le 13 novembre dernier, faisant 130 morts et près de 400 blessés(*). Quelle lecture faites-vous de cette attaque terroriste sans précédent en France ?
Norman Solomon :
Cette attaque a été perpétrée par des personnes programmées mentalement pour ce faire. Leurs actions criminelles ont été particulièrement meurtrières. Ils ont commis des atrocités. Malheureusement, pour beaucoup de gens, ces atrocités servent d’excuses à d’autres personnes pour en commettre d’autres, à leur tour. Nous ne pouvons pas accepter cela – que ces actions soient commises par le prétendu groupe Etat Islamique ou toute autre entité, gouvernementale ou pas.
Pourquoi maintenant ?
Cette violence meurtrière a augmenté dans de nombreux pays au cours de ces dernières années, avec des cycles de violence qui s’alimentent les uns les autres. Il y a, bien sûr, de nombreux facteurs derrière cela, mais qui n’excusent en rien cette montée de violence meurtrière. Faire la guerre pour mettre fin à une autre guerre s’est avéré être un échec lamentable. Il ne sert à rien de tuer des ennemis pour en créer d’autres encore plus nombreux.
La guerre en Syrie en est-elle la seule raison ?
La guerre en Syrie, bien qu’horrible, fait partie d’un tout. Il y a toujours eu des forces – des acteurs gouvernementaux et non étatiques – qui ont utilisé la violence pour faire avancer des agendas sociopolitiques. Dans la région du Moyen-Orient, ce processus a dégénéré énormément après l’invasion américaine de l’Irak en 2003. C’était criminel, barbare et contraire au droit international. Cette invasion a eu pour conséquence des actes criminels et sauvages en cascade, dans la région et au-delà. Chagrin, amertume et rage ont donné lieu à plus de douleur, d’amertume et de rage. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’espérer un avenir meilleur.
Vous analysez, dans votre dernier livre La guerre rendue facile,les guerres déclenchées et dirigées par les Etats-Unis. Quelle est la trame de cet ouvrage ?
La propagande de guerre est trop facile à imposer et à exploiter pour ceux qui ont le pouvoir. La guerre apporte d’énormes souffrances, mais pour ceux qui sont au pouvoir, elle peut leur apporter, du moins, l’illusion d’une plus grande puissance. Et la guerre est très rentable pour le secteur industriel ; après tout, près de la moitié des armes dans le monde entier sont vendues par les Etats-Unis. En tant que personnes de bonne volonté – quelles que soient notre nationalité, ethnie ou religion –, nous pouvons et nous devons reconnaître que les appels à la guerre sont pernicieux et destructeurs. Il faut que nous soyons conscients qu’à travers cette propagande, des médias de l’information (y compris les médias sociaux) nous encouragent à accepter, voire participer à la guerre. Les sirènes de la guerre peuvent être séduisantes. Il convient de leur résister, en faisant preuve de solidarité et d’engagement pour créer un avenir meilleur pour les générations futures.
Pourquoi l’Europe occidentale s’amarre-t-elle systématiquement à la politique belliciste de Washington ? Qu’est-ce qui l’y pousse ou l’y oblige ?
Les gouvernements d’Europe occidentale sont devenus les complices des crimes de guerre commis par les Etats-Unis, sous des pressions économiques, géopolitiques et diplomatiques. Chemin faisant, l’Otan – au Kosovo en 1999 et en Afghanistan depuis 2001 – est passée d’une simple alliance défensive à une alliance agressive, qui soutient l’escalade guerrière au lieu de l’apaiser.
Pourquoi les capitales occidentales se sont-elles opposées à l’intervention militaire russe en Syrie contre le groupe terroriste autoproclamé «Etat Islamique» ?
Malheureusement, la guerre horrible qui sévit en Syrie est devenue en partie une guerre par procuration entre des puissances intérieures et extérieures à la région. A Washington, en particulier, lutter contre l’influence géopolitique de la Russie occupe les esprits de beaucoup de décideurs politiques.
Pourquoi ces mêmes capitales font-elles un virage à 180° depuis les attentats de Paris ? Pourquoi veulent-elles collaborer avec Moscou maintenant ?
Nous verrons l’étendue de cette coopération. La perception d’un ennemi commun en Daech peut réduire les divergences entre Washington et Moscou, par exemple. Dans quelle mesure, cela reste flou.
Vous parlez dans votre livre de «tireurs de ficelles» globalistes. Qui sont-ils ?
Il y a beaucoup de «tireurs de ficelles», dans le sens où nous vivons dans un environnement multipolaire, ou, pourrait-on dire, un monde «multi-tireurs de ficelles». Pourtant, il est clair que ce sont les gouvernements qui disposent de grandes forces militaires et d’une grande influence économique qui tirent les plus grandes ficelles. Nous devons réaliser que les plus grandes menaces pour l’humanité à travers le monde incluent ce que Martin Luther King Jr. avait appelé «la folie du militarisme» – avec le fléau de la pauvreté et le manque d’une démocratie authentique. Nous devons, aussi, combattre le racisme, l’oppression des femmes, l’homophobie et d’autres préjugés cruels qui mettent à mal humanité dans une très large mesure. Il y a aussi la nécessité de prendre des mesures drastiques contre les changements climatiques causés par l’Homme.
Les médias dominants travestissent la vérité dans les dossiers irakien, libyen, syrien, ukrainien, etc. Comment différencier le journalisme objectif et scrupuleux du journalisme de propagande ?
Il importe d’admettre que les grands médias ont forgé une vision faussée, estropiée. Le journalisme décent implique l’indépendance, l’honnêteté, l’équité et la volonté d’énoncer les vérités difficiles.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
(*) Interview réalisée avant l’attentat de Tunis

Lire l’interview en anglais

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