11 décembre 1960 : le tournant de la guerre de Libération

Par Abdelkader Benbrik – 11 décembre 1960-11 décembre 2015, 55 années sont passées depuis la révolte pacifique des Algériens, qui sont sortis dans la rue pour revendiquer l’indépendance de leur pays. L’étincelle a pris feu à Aïn Témouchent, un village paisible à cette époque, garni par les colons. De Gaulle qui avait décidé d’effectuer une visite en Algérie, le 9 décembre 1960, et a atterri à l’aérodrome de Tlemcen, pour faire une virée à Aïn Témouchent. Son choix de cette ville était pour la stratégie politico-militaire française très important, vu que le territoire de l’Ouest était sous contrôle et commandement de la Wilaya V, une wilaya stratégique qui regroupait un effectif très fortifié de l’ALN en hommes et en matériel de guerre. D’autant plus, l’Oranie avait abrité des révolutionnaires tels Hadj Benalla, Larbi Ben M’hidi, Messaoud Zeggar alias Rachid Casa, Metahri Sid-Ahmed, Mohamed Ben Ahmed alias commandant Moussa, Benhaddou Bouhadjar (le colonel Othmane) le colonel Lotfi, les commandants Abbès et El-Mestghanemi alias Si Rachid, le coordinateur Bakhti Nemmich, l’organisateur Mohamed Fendi et d’autres combattants. De Gaulle voulait rassurer les colons, les fonctionnaires français et les collaborateurs que l’Algérie est française. Sans toutefois prendre en considération la réaction et la température populaire de la population algérienne. «Erreur de stratégie !», nous dira Massu en 1980, rencontré à la salle de l’Inesco. L’état-major supervisé directement par le général de Gaulle a omis de prendre en considération le rôle charnière et décisif joué par cette année de 1960 dans l’évolution de la guerre et qui devait obligatoirement aboutir, avec force et fracas et tumultes, y compris interne, sur l’indépendance de l’Algérie, proclamée une année et demie après. Dès son arrivée à Aïn Témouchent, la population algérienne était sur le qui-vive, un mécontentement et un ras-le-bol de la hogra des colons avaient mobilisé la population algérienne à manifester contre l’occupation, surtout après les cris des colons «Algérie français», nul ne pouvait maîtriser ses nerfs. Il y a eu aussi un petit détail, lors de son petit trajet effectué à pied sur la grande avenue du village, le général perdra ses paires de lunettes, soutirées de sa poche par un ado algérien, qui s’est infiltré parmi la délégation et arrivé à côtoyer le général sans que les gardes du corps et les membres du 2e Bureau s’aperçoivent, juste après avoir parlé aux colons, les rassurant une nouvelle fois que «l’Algérie c’est la France». Les Algériens qui étaient à cette époque bien politisés ont vite compris pourquoi de Gaulle a entamé sa visite en Algérie à la fin de l’année 1960. D’abord, le GPRA avait dès le début de l’année mobilisé ses ministres, dotés d’une stratégie qui agit à l’échelle de tous les continents. Le 30 avril 1960, une délégation du GPRA conduite par Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Ahmed Francis a entamé une visite en Chine populaire ; elle reçoit à son arrivée à Pékin un accueil très chaleureux, pendant qu’aux Etats-Unis, John Kennedy, non encore candidat à la présidence de son pays, fait une déclaration fracassante : «Il est hors de question que les démocrates approuvent la France contre l’Afrique dans la question algérienne.» Le 22 août 1960 s’est tenue dans la ville égyptienne Chtaura, une rencontre des ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe. Le GPRA obtient de cette réunion une large solidarité et un soutien inconditionnellement aux Nations unies. Un soutien financier est aussi accordé à l’Algérie combattante. La délégation du GPRA n’hésitera pas à réclamer, le 22 août, un référendum sur l’avenir de l’Algérie qui sera sous contrôle de l’ONU. Il entamera ensuite le 7 octobre de la même année une visite à Moscou pour Moscou ; le quotidien La Pravda, organe officiel de l’URSS à cette époque, publia dans sa Une un article sous le titre «Il faut mettre un terme à la guerre d’Algérie». Alors que précédemment le mois d’avril, s’est tenue à Accra la conférence internationale pour la paix et la sécurité en Afrique, suivie le mois de juin, à Addis-Abeba en présence de l’empereur Haïlé Sélassié une réunion de l’OUA, dont la question algérienne est débattue. De Gaulle voyant sa politique colonialiste contrecarrée dans le monde a tenté le mois de décembre de réconforter les ultras de l’Algérie française. A la veille du voyage de De Gaulle en Algérie, Aissa Messaoudi, le chroniqueur de Sawt el Jazair el Horra fait observer que la seule politique du général de Gaulle en Algérie, c’est d’abord la poursuite de la guerre en vue de la destruction et de l’extermination de l’ALN et du peuple algérien. Ajoutant que le principal instrument de sa politique n’est rien d’autre que les combats menés sous les ordres du général Challe, lequel a pour mission de casser ce qui reste encore de l’ALN à l’intérieur de l’Algérie. Début 1960, de Gaulle changea de tactique colonialiste, il prononcera un nouveau discours où il évoquera que l’unique issue du conflit résidait dans la création d’un Etat algérien à sa façon, sans le Sahara, et très étroitement lié à la France. Les colons constatant dans ce discours qu’il n’y aurait plus d’Algérie française, sur laquelle de Gaulle avait rassuré en 1958, décidèrent d’entrer en action par la diffusion le 23 novembre 1960 d’un communiqué appelant tous les pieds-noirs et colons à manifester contre la venue de De Gaulle en Algérie, des marches et des grèves ont été organisées jusqu’au 9 décembre, où la population algérienne du village d’Aïn Témouchent répondra aux pieds-noirs et à De Gaulle par une manifestation spontanée ayant pour mot d’ordre «Nous voulons l’indépendance». Ce n’est que le lendemain 10 décembre, dans l’après-midi à Belcourt (Alger), précisément à la rue de Lyon, devant le siège de la banque Crédit Lyonnais, qu’un groupe d’Algériens tous âges confondus ont crié leur colère contre l’occupation, et cela suite à l’agression d’un Algérien par deux pieds-noirs, dont l’un portait une arme de poing et menaçait les Algériens. C’est à partir de cet instant que tous les Algériens dans les environs ont manifesté leur colère contre l’occupation. Les deux agresseurs ont été sauvés par des policiers venus en renfort et le lendemain, c’est tout Alger qui s’embrase. Ainsi, l’étincelle de cette grande manif a été allumée dans la matinée du 9 décembre 1960 à Aïn Témouchent, premier jour du voyage présidentiel. De Gaulle, informé de la situation, dira sans hésiter,avec sa manière habituelle : «La doctrine française est, on le sait, que le peuple algérien, une fois libéré de l’emprise du FLN, reviendra à la France qui aura entre-temps démontré sa force.» Le peuple algérien surprendra le monde et fera entendre sa voix, c’était le grand tournant de la guerre de l’Indépendance. Les Algériens, hommes, femmes, vieillards et enfants sont sortis ce 11 décembre 1960. Les colonnes de manifestants tous pacifiques, portant des drapeaux vert et blanc avec le croissant et l’étoile rouge, cousus à la hâte, apparaissent pour la première fois, à Alger. Les paras de Massu et Bigeard tirent sur les .manifestants, qui par milliers sont sortis à Alger montrer au monde et à l’ONU qu’ils soutenaient le GPRA, leur gouvernement légitime. A La Casbah, des fedayin rejoignent les manifestants pour les protéger des pieds-noirs ralliés au mouvement de l’Algérie française. Les manifestants se sont alignés pour former une immense oriflamme humaine, scandant tous un seul mot : «Tahia El Jazair». Les services français donnaient un chiffre de 150 manifestants tués et des dizaines de blessés. Côté algérien, on parle d’un millier de morts ! Dix mois après la manifestation historique du 11 décembre 1960, Paris est ébranlée par une nouvelle manifestation qui dénonçait le couvre-feu imposé arbitrairement aux Algériens ; le 17 octobre 1961 a été une journée sanglante, où la police du sinistre préfet Papon n’a ménagé aucun effort pour assassiner les Algériens.
A. B.

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