Une contribution de Youcef Benzatat – Le pouvoir, les berrahate, les drabkiya et la chkara

Un pouvoir usurpé ne peut durer indéfiniment. Il est condamné incontestablement à disparaître au terme de la saturation de ses contradictions. Aujourd’hui, ce terme se révèle en toute clarté à travers les symptômes que laisse transparaître le paroxysme dans lequel est plongée la lutte des clans qui le constituent. Allant jusqu’à porter l’affrontement sur la place publique. Une lutte féroce s’est déclarée à son sommet sans aucune perspective d’apaisement possible ni équilibre potentiel, à partir du moment où l’antagonisme n’est plus circonscrit à l’intérieur de son cercle. L’un des belligérants dans ce bras de fer sans issue étant disqualifié par son éjection au-delà du consensus qui garantissait autrefois son équilibre. Ouvrant ainsi la voie des hostilités vers des issues incertaines. Il est un adage de chez nous très lourd de sens, qui tombe à point pour venir illustrer ces moments troubles où se joue une crise de pouvoir sans précédent dans l’histoire de l’Algérie depuis son accès à l’indépendance : la parole est comme un coup de fusil, une fois sortie, la balle ne revient jamais. Jusqu’à la veille de la condamnation du général Hassan, on en était encore à «pousse-toi, c’est notre tour !» Depuis, forts de leurs soutiens étrangers parmi les plus véreux à convoiter nos richesses et notre souveraineté, le clan du Président, en l’absence de ce dernier, absent de la scène politique et absent à lui-même, s'est vu pousser des ailes de carnassiers en liquidant à tout-va tous ceux qui portent en eux les stigmates de la lutte sans merci qu’ils ont menée contre les hordes de barbares des GIA, contre leurs commanditaires et les commanditaires de leurs commanditaires. C’est-à-dire ces autres hordes de prédateurs, habités sournoisement pour notre malheur par l’obsession de mettre l’Algérie à genoux, devenus aujourd’hui ces mêmes protecteurs du clan du Président. En s’autoproclamant dépositaire de la légitimité constitutionnelle en vigueur, le clan ayant pris l’initiative dans le déclenchement des hostilités, s’autorise par effronterie le transfert de sa propre violence contre la souveraineté législatrice du peuple, par le biais de laquelle il a usurpé cette légitimité, sur le clan adverse, en qualifiant son «intrusion médiatique», par la voie des canaux de ses berrahate(1), de «violence inouïe». Il ne s’agit, en fait, que d’une surenchère déguisée, par la volonté du transfert de cette violence du symbolique à l’affrontement. Car celle-ci a déjà fait l’objet de son étalement à la veille même de l’usurpation de cette légitimité et de sa confiscation au peuple. C’était au temps où les drabkiya(2) criaient sur tous les toits du monde l’avènement d’un Etat civil ! Pour n’aboutir, après coup, qu’à un Etat fantôme, aussi fantôme que l’est son propre Président et dont seule la chkara(3) est rendue visible et exhibée cyniquement à la lumière du jour. Comme le dit l’adage, une fois sortie, la balle ne revient jamais. Les hostilités sont à présent sur la place publique et le mal est déjà fait. A l’acharnement judiciaire des uns, répondent par une incrimination infondée et injuste les autres, sous forme d’une intrusion médiatique malgré leur devoir de réserve. Dans ces conditions, il n’est plus possible à présent au clan au pouvoir de renoncer aux poursuites judiciaires des auteurs du manquement à ce devoir de réserve, faute de quoi ils se décrédibiliseraient devant le personnel de l’armée, des services de sécurité, de la société civile et de l’opinion publique, dont les conséquences seront imprévisibles. Dans le cas contraire, où ils décident de les inculper, cela signifie la fin de l’opacité derrière laquelle ces parodies de justice sont orchestrées. Le déballage peut aller jusqu’à l’évocation de l’illégitimité du clan au pouvoir et sa confiscation de l’Etat et des institutions, auxquelles il faut ajouter les implications dans diverses affaires de corruption et de constitution de fortunes mal acquises, dont le DRS détient certainement toutes les preuves requises. La surenchère dans le déballage peut encore aller de part et d’autre très loin, aussi loin jusqu’à l’évocation des crimes commis contre le peuple depuis l’accès de l’Algérie à son indépendance. D’une façon ou d’une autre, le clan au pouvoir s’est fait piéger par lui-même dans ce bras de fer sans issue. Comme le dit l’adage, l’incrimination du général Hassan est comme un coup de fusil ; une fois la condamnation prononcée sous forme d’une parodie de justice, son annulation signifie une victoire du clan adverse. Ses berrahate peuvent brailler à tue-tête à qui voudrait les entendre, «le pouvoir de nuisance» de l’autre clan n’est pas si nuisible comme on voudrait le faire apparaître. Car il compte comme force de soutien au sein de l’ANP, des forces de sécurité, à l’intérieur de la société civile, au sein de l'administration, des syndicats et dans l’opinion publique autant de résonance à faire valoir jusqu’à faire craindre le pire. Pour reprendre l’image caricaturale faite par l’une des victimes de cet acharnement judiciaire, le véritable pouvoir de nuisance revient plutôt à celui qui «n’a comme appui qu’une chaise et un téléphone» et se contentant d’agir sous influence en échange de l’ivresse d’un pouvoir virtuel. A priori, aucune issue sereine et apaisée à ce bras de fer larvé ne semble possible ni envisageable. La condamnation du général Hassan s’annonce comme un potentiel prélude à la précipitation de l’implosion du pouvoir pour laisser place à une situation inédite. Une coalition peut à tout moment émerger et venir changer complètement les données et les enjeux de la course au pouvoir.
Youcef Benzatat
(1) Les crieuses.
(2) Les percussionnistes.
(3) L’argent sale.

Ndlr : Le titre est de la rédaction

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