Interview – Rachid Ben Othmane : «Des castes et des sectes ont pris le peuple tunisien en otage»

Algeriepatriotique : L’Etat tunisien vient de décréter le couvre-feu à travers tout le pays suite à des manifestations violentes qui ont commencé à Kasserine et se sont propagées à d’autres villes. Pouvez-vous nous décrire la situation actuelle en Tunisie ?

Algeriepatriotique : L’Etat tunisien vient de décréter le couvre-feu à travers tout le pays suite à des manifestations violentes qui ont commencé à Kasserine et se sont propagées à d’autres villes. Pouvez-vous nous décrire la situation actuelle en Tunisie ?
Rachid Ben Othmane :
La situation est trop triste, en même temps grave et dangereuse, l’explosion était prévisible vu que tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 n’ont fait qu’envenimer l’atmosphère. Je dirai des incompétents, des vendus, des mafieux, des castes et des sectes qui ont pris en otage tout un peuple, et ce qu’il s’est passé ces derniers jours n’était que la goutte qui a fait déborder le vase. Tout a commencé par des manifestations pacifiques des diplômés chômeurs qui se sont rassemblés devant le gouvernorat de Kasserine, réclamant des emplois et la justice, car ils ont vu qu’il y avait du népotisme dans les attributions des postes. Cela a fini par le décès de l’un des manifestants qui a cherché à se suicider et a chuté d’un poteau électrique. Mais le mouvement a pris une autre tournure, devenant de plus en plus violent pour se transformer en scène de pillage systématique, de vols, de vandalisme, qui se sont répandus dans plusieurs régions du pays et continuent. Tristesse, colère, inquiétudes, désolation, c’est un désastre qui n’a pas de nom. La situation maintenant est sous contrôle, la police a fait preuve de beaucoup de professionnalisme et de sang-froid malgré les pertes qu’elle a subies. Les revendications étaient légitimes et les manifestations étaient pacifiques, mais on voit clairement qu’il y a d’autres mains qui ont voulu semer le chaos dans le pays, car ce qu’il s’est passé n’a rien à voir avec des contestations sociales et des revendications de jeunes désœuvrés, le complot est manifeste.
Y a-t-il un risque pour que cette contestation populaire soit récupérée encore une fois par les partis islamistes comme l’a été la contestation citoyenne de 2011 ?
Tout à fait, j’ai souvent dit que le chaos ne sert que les islamistes qui ne croient ni aux libertés, ni à la république, ni à l’Etat, seul leur projet d’instauration du califat islamique compte, peu importe les moyens et le temps que ça prendra. J’ai toujours averti contre un mouvement de masse en Tunisie qui ne sert, en effet, que les terroristes. On n’est plus en 2011. La situation a beaucoup changé après la libération de ce courant islamiste dévastateur. Une révolte de grande envergure serait une aubaine pour eux et c’est ce qu’ils attendent. Ils font tout pour arriver à leurs fins. Ce sera la porte grande ouverte au terrorisme et à l’implantation de Daech qui est à nos portes et même sur place sous forme de cellule dormante. Ce mouvement a déjà tenté de pénétrer en Tunisie à partir de la Libye, mais il a été repoussé par notre armée. Il n’y a pas que les islamistes qui ont cherché à récupérer ces mouvements, on trouve les partis de l’extrême gauche et aussi les mafieux de la contrebande ainsi que les vendus et les mercenaires qui servent des pays étrangers qui, eux aussi, cherchent à foutre le chaos en Tunisie et avorter tout projet de démocratique, profitant de la pauvreté et de la misère des gens. La situation demeure dangereuse et la vigilance reste de vigueur.
D’Ennahda à Nidaa Tounes, les principaux partis politiques qui gouvernent la Tunisie se sont finalement révélés incapables d’assurer la paix sociale…
La situation politique tunisienne est dans un état aussi chaotique que la situation sociale et économique, tout a été bâti sur des décombres, des magouilles et des mensonges, tout est faux, rien n’est vrai, aucun programme réel n’a vu le jour sauf la volonté de changer la société tunisienne et l’assujettir aux dogmes religieux, alors qu’on s’attend à des progrès et à des réalisations pour sortir ce peuple de sa misère et de son inquiétude sur son avenir et l’avenir des générations futures à qui on leur a laissé l’héritage fait de dettes et de problèmes à la hauteur de l’Himalaya. Les Tunisiens ont beaucoup espéré, mais, hélas !, le cauchemar dure encore. Je voudrai seulement dire que nous somme pris en otage par deux forces, une secte religieuse dangereuse et une caste aussi dangereuse constituée par des opportunistes et des mercenaires de tous bords, usurpant l’identité des progressistes et toutes deux œuvrent pour l’instauration d’un système théocratique voulu par les architectes du «printemps arabe». Le résultat est bien là aujourd’hui et les révoltes qui ont éclaté ces derniers jours en sont la preuve, les solutions apportées par le gouvernement ne sont que des palliatifs, les tensions sociales vont demeurer et le risque d’embrasement reste grand, ce qui laisse le chemin ouvert aux charognards de tous bords qui ne savent que pêcher en eaux troubles.
A cause du terrorisme qui a compromis considérablement l’espoir pour la Tunisie de renouer avec le tourisme et à cause de l’instabilité politique persistante, comment voyez-vous la situation générale dans les jours et mois à venir ?
Le terrorisme a certes contribué à cette agonie et cette dégénérescence, mais il n’est pas la cause principale, le problème est plus compliqué que ça. La chute du secteur touristique a commencé depuis l’apparition des islamistes dans le pays avec leurs fanfares qui durent encore, on a vu émerger des hôtels «halal», les libertés individuelles ont été bafouées, etc. On a même vu des islamistes à Nabeul faire du prosélytisme auprès des touristes, cherchant à les convertir à l’islam, des femmes avec leur niqab ou voilées dans les piscines, etc., tout cela a beaucoup influé sur la désertion des touristes, je dirai même que c’est la cause principale. Quoi que fassent les politiques ou les professionnels du tourisme pour ramener les touristes, c’est peine perdue tant que cette situation perdure. Je vois mal comment sortir de cette conjoncture vu que l’islamisation du pays va bon train, la preuve, c’est qu’avant 2011, on ne comptait qu’à peine 2% de femmes voilées, aujourd’hui, on est à plus de 52%. Tant que les islamistes et leurs acolytes, les mafieux et les castes seront là, il n’y aura aucun progrès. Ce n’est pas seulement le tourisme qui a souffert, mais tous les secteurs vitaux ont été touchés. Et ce n’est pas demain que cela va s’arranger, à moins d’un réveil collectif et d’une nouvelle classe politique qui prenne les commandes, et qui soit capable d’un vrai changement en prenant des décisions même douloureuses, car il n’y a plus d’autre choix.
Vous dites que le peuple tunisien ne fait plus confiance à la classe politique et que la société civile, qui a joué un rôle important à un certain moment, a été soumise à l’usure. Que reste-t-il pour que la Tunisie ne sombre pas définitivement dans le chaos ?
Il est vrai que la société civile a été soumise à l’usure, mais l’espoir est toujours là et la volonté, même si elle n’est plus grande chez beaucoup ; je pense qu’elle se régénérera, l’amour pour la Tunisie restant plus fort que tout. Il est vrai que la situation en Tunisie est triste au vrai sens du mot, la décadence a primé, l’égoïsme habite dans la majorité des esprits, la prétention, l’ego et le «moi» sont la devise, nos forces sont éparpillées, donnant l’avantage à ces islamistes qui continuent à prendre le dessus, une aubaine pour eux. Il nous faut bannir l’individualisme et laisser de côté notre ego et nos prétentions pour penser uniquement à sauver la Tunisie. Un gouvernement compétent et fort doit être constitué qui sera capable d’entamer des réformes sur tous les plans et venir à bout de la corruption qui a atteint son paroxysme. Il devra travailler pour attirer les investissements et créer des richesses selon un programme bien clair, et tout ceci n’est réalisable qu’à condition d’en finir avec l’islam politique et les islamistes qui polluent la scène, c’est le premier handicap, en finir aussi avec les mafieux de la contrebande et du commerce parallèle qui ont gangrené notre économie, arrêter la fuite des capitaux et entamer une vraie réforme du système fiscal. Ce sont les premiers pas à faire, mais pas avec les partis qui sont actuellement au pouvoir, ils n’ont plus rien à apporter, on ne guérit pas une maladie par une maladie. La Tunisie regorge de compétences il suffit qu’elle émerge et qu’elle prenne ses responsabilités face à ce qui se passe, car l’histoire ne le leur pardonnera jamais un tel laxisme. J’ajoute qu’il faut impérativement fermer la frontière avec la Libye (l’émirat de Daech), source d’approvisionnement en armes et lieu de camps d’entraînement des djihadistes.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi

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