Contribution du Dr Arab Kennouche – Les services secrets algériens à l’épreuve du bouteflikisme

L’annonce du démantèlement du DRS par la présidence de la République est la suite logique à donner au renvoi du général Mediene qui en tenait les rênes depuis plus de 25 ans. Il existe ainsi un fil directeur de cette entreprise plus proche de la déstructuration politique que de la reconstruction et de l’adaptation aux nouvelles menaces géopolitiques. Car on ne peut pas comprendre un tel acte politique sans le replacer dans son contexte initial, celui de la lutte antiterroriste et de son approche idéologique, l’éradication ou le dialogue. Si l’on reprend deux affaires importantes qui collent à la peau des services secrets, les moines de Tibhirine et l’attaque du complexe gazier de Tiguentourine, on s’aperçoit du jeu pervers des Occidentaux qui n’ont jamais manqué de rappeler à l’Algérie le besoin d’un traitement souple et flexible de la menace terroriste en privilégiant la voie de négociations et pourparlers avec les auteurs d’actes terroristes. D’un point de vue formel, la présidence de la République s’est trouvée en porte-à-faux avec des années d’expérience de lutte contre le terrorisme que le DRS s’était forgée en dehors des salons feutrés de Paris, Alger, Londres ou Washington. L’expérience algérienne née du terrain de la lutte faisait même envie aux autres centrales de l’information lorsque Bouteflika commença son travail de sape des directions opérationnelles jusqu’à l’éviction des grands spécialistes de la lutte antiterroriste, opération qui précéda largement les derniers soubresauts de la déconstruction. L’expérience-terrain algérienne est un capital incommensurable qui remonte aux maquis de Bouyali des années 80, en passant par l’infiltration des afghans algériens partis combattre les troupes de l’Armée rouge, sans oublier les maquis algériens de l’AIS et des GIA, qui essaimaient dans tout le nord du pays, et, entre autres, la fameuse bataille, sous Zeroual, d’Aïn Defla de 1997. Presque quarante années de haute lutte dont les services secrets algériens ont tiré un savoir précieux que nombre de pays essayent de monnayer à l’heure actuelle. Alors, on ne peut que s’étonner de la célérité avec laquelle le président Bouteflika s’est attelé à détruire une organisation qui a largement fait ses preuves sous le général Mediene, et dont la renommée et l’efficacité dépassent largement les frontières du pays : doit-on liquider le capital-terrain d’une lutte antiterroriste simplement pour des raisons organisationnelles ? Quelles sont les véritables raisons de ce démantèlement ?
Un capital expérience-terrain inestimable
Les années DRS représentent un trésor inestimable pour les spécialistes de la lutte antiterroriste. Que ce combat ait échu aux Algériens n’est guère reluisant en soi, mais il faut le reconnaître, l’ANP et tous ses services de sécurité ont acquis un savoir-faire unique en son genre dans ce domaine qui se révèle indispensable dans le contexte de l’émergence d’un terrorisme global dont celui de Daech. Le terrorisme islamique est une guerre de subversion asymétrique qui engage directement les moyens militaires de l’Etat attaqué. Mais la riposte militaire ne convient pas à elle seule. Le phénomène mêle du civil et du militaire, donc a fortioridu policier, du politique et bien entendu de la force coercitive militaire. Subversif à outrance, le terrorisme islamiste confond les domaines civil et militaire en jouant sur les deux tableaux pour une déstabilisation globale de l’Etat. Le DRS algérien est passé maître dans la riposte et la prévention de telles attaques grâce à un travail de renseignement multidimensionnel visant à détruire les cellules terroristes très densément soutenues qui possèdent, il ne faut pas en douter, des moyens militaires. Circonscrire un tel combat au déploiement d'une police politique, c'est faire tort à de nombreux aspects militaires que le DRS, sous tutelle du ministère de la Défense nationale, devait affronter sur le terrain. C'est aussi faire le faux procès d'une structure de renseignement à cheval sur deux terrains minés, le civil miné par l'idéologie salafiste et le militaire où les djihadistes se sont aguerris aux techniques de combat avec des unités de l'armée régulière. Le DRS a réussi sa mission en se déployant dans les deux systèmes simultanément et sur la base de l'imbrication du militaire et du civil : en terrorisme, toute activité militaire peut se transformer en activité civile, elle peut se «civiliser». Ne l'eût-elle fait que l'Algérie eût été happée par la déferlante takfiriste. Or, il se trouve aujourd'hui toute une littérature qui vise à démilitariser la lutte antiterroriste du DRS en lui ôtant toute prérogative opérationnelle engageant des moyens militaires, ce qui conduirait à terme à l'émergence d'un Etat civil. On ne sait en effet toujours pas si ce fameux Etat civil marquerait la fin de la lutte antiterroriste, s'il signerait l'avènement d'une paix des braves ou bien s'il signifierait l'emploi exclusif de moyens dits civils pour combattre le terrorisme résiduel. La formule équivoque, mais critique, de l'Etat civil ne correspond pas à ces années de lutte du DRS dont le bilan aujourd'hui transparaît dans la paix générale en Algérie au-delà de la loi de réconciliation nationale. Le DRS a démontré qu'une lutte efficace appelle l'emploi simultané des différents secteurs de la défense nationale, mais aussi un maillage, au niveau du renseignement, resserré des zones à risques. C'est la combinaison de toutes les forces de sécurité alliées à un signalement civil profond, engageant les autorités locales, sociales, mais aussi les liens d'allégeance familiale, tribale et régionale qui permettent le succès à terme d'une lutte réputée difficile. On ne doit pas cependant retirer à ce travail de renseignement le rôle de l'ANP, de la gendarmerie ou de la police. C'est l'imbrication du social, du tribal, du militaire et du civil qui a fabriqué ce capital expérience dont le DRS et ses futures dépendances ne pourront se départir avant longtemps. En effet, les hommes de Mediene ont entre leurs mains un savoir pratique qui ne se transmet pas, sauf à les côtoyer ou à tenter d'en rédiger un nouveau traité. Mais il est des praxis qui ne s'acquièrent que par transmission interne et sur la base de longues années d'expérience-terrain. La présidence Bouteflika se trouve à des années-lumière de ce savoir-faire dont on ne devrait pas s'enorgueillir, mais qui reste entre les mains du DRS et qu'aucune structure ou organe ne saurait couvrir ou tenter de s'approprier. En proclamant l'Etat civil, Bouteflika frappe dans une fourmilière sans fourmis… car sans les fourmis, la fourmilière s'écroulera par l'absence de ses véritables artisans. Il n'y a que les hommes du DRS et ses troupes réparties sur le territoire national qui sachent ce qu'est lutter contre le terrorisme en Algérie. Des dizaines d'années ne peuvent disparaître d'un coup de baguette magique et marcher sur la tête du DRS revient à attiser le feu des hordes islamistes que la police civile de Saïdani ne pourra jamais affronter sans repasser les commandes aux anciens du DRS. Alors que la nature même du phénomène terroriste appelle une grande implication des moyens sophistiqués des militaires, dans le cadre de la guerre électronique, Bouteflika vise à réduire justement le versant militaire du DRS pour mieux le contrôler dans ses missions politiques. Mais le contexte des années 90, d'un terrorisme non encore pleinement connecté, très peu doté en moyens électroniques fait place à une cybercriminalité qui ne le remplace pas, mais s'y superpose. Le réseau Daech est sans aucun doute tentaculaire, mais de là à lui ôter tout ancrage militaire dans la réalité est un pas qu'il ne faut pas faire en Algérie. Encore une fois, l'expérience-terrain du DRS est irremplaçable dans l'appréhension de la menace terroriste en Algérie, et outrepasse largement les capacités organisationnelles de la présidence de la République. Faire intervenir la Présidence là où elle semblerait a prioriapporter de la confusion plus qu'autre chose, c'est méconnaître le problème et le déplacer sur un terrain idéologique qu'il nous faut maintenant tenter d'analyser.
La politisation d’une mission de sécurité d’Etat
Le DRS, par ses nombreuses années de lutte, a démontré l'intrication des domaines civils, militaires, sociaux, économiques et anthropologiques dans la résorption du mal djihadiste sans jamais perdre de vue la réalité du terrain. La menace étant plus complexe actuellement, avec l'intervention de l'espace géolocalisé par satellite, l'emploi de drones de surveillance et d'attaque, elle rend la politique bouteflikienne de l'Etat civil encore plus funeste, pour ne pas dire complètement insensée. C'est à un moment où il faut élargir le plus les prérogatives militaires de guerre sophistiquée du DRS qu'on s'entend entonner cet air de démocratisation des services secrets comme un vieux leitmotiv aux visées politiciennes. S'agissant d'un travail de renseignement très porté sur l'humain et en amont, le DRS a acquis une expertise certaine dans l'appréhension dans candidats potentiels au terrorisme islamiste tout en identifiant les différentes sources d'armement. Le versant militaire, c'est dire que l'usage de moyens sophistiqués de détection a été prépondérant dans cette lutte, pourquoi donc vouloir le réduire ou le supprimer par des moyens de diversion comme ceux que la Présidence s'apprête à créer pour son nouveau DSS ? Faudra-t-il désormais attendre un blanc-seing de la Présidence avant de conduire une opération de lutte antiterroriste tout à fait banale comme celle montée par le général Hassan ? Il serait inutile d'épiloguer sur la question. Bouteflika reste tout de même cohérent avec lui-même : son désir de gracier de nombreux ex-terroristes ou de leur accorder une certaine forme d'impunité se concrétise dans son nouvel appareil sécuritaire désormais sous contrôle total. Il pourra ainsi lever le pied comme bon lui semble dans ce domaine sensible où les injonctions internationales de lutte sans merci ne correspondent pas forcément à des impératifs géostratégiques bien compris par les puissances occidentales. En tout état de cause, cette dissolution du DRS fait comme un appel d'air aux nombreuses organisations terroristes, dont Daech, déjà installées aux portes de l'Algérie. Ce pain bénit fourni par Bouteflika à la nébuleuse islamiste qui manie drones et satellites comme auparavant le FIS utilisait ses mahchouchas (fusil artisanal) soulève la question des véritables intentions de la Présidence et plus particulièrement de la politique française de l'Algérie. Il est évident que l'émergence du DSS, comme un mirage sorti du désert, n'a aucune valeur organisationnelle ou de planification prospective puisqu'elle se fait au moment où les Français et les Américains se préparent à une intervention armée contre Daech en Libye voisine. Que le président Bouteflika trouve son inspiration dans ces bruits de bottes, soit, mais qu'il justifie le démantèlement du DRS par des préoccupations structurelles à un moment qui ne se plie pas à de telles enjambées nous conduit à penser à d'autres raisons, purement hégémoniques et d'accaparement total de la puissance d'exercice du pouvoir. La désignation du futur vrai successeur de Mediene nous éclairera davantage.
Dr Arab Kennouche

Pas de commentaires! Soyez le premier.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.