Yacef Saâdi raconte la Bataille d’Alger – La «Bataille d’Alger» : une création de l’armée française (IV)

En 1957, une année très dure pour nous, car malgré toutes les actions entreprises par la Zone autonome et ses groupes armés, l'organisation du FLN dans Alger se trouvait fortement éprouvée par les offensives répétées des troupes du général Massu à qui le chef du gouvernement Guy Mollet avait donné les pleins pouvoirs civils et militaires, lors d'une réunion à Matignon le 4 janvier de la même année. Ainsi, le 7 janvier 1957, 8 000 hommes de la «10e division parachutiste» de retour d'Egypte, après la campagne de Suez, aux côtés des Britanniques, entraient dans Alger avec pour mission de «pacifier la ville en proie aux attentats terroristes». C'était leur alibi pour «soumettre» ce qu'ils appelaient la rébellion, mais en réalité pour s'imposer davantage dans un pays où sa juste lutte commençait à avoir des échos favorables chez les peuples épris de paix et de liberté et que son «problème» allait être posé officiellement au niveau de la plus grande tribune du monde, l'Organisation des Nations unies. Pour ce faire, la France coloniale, dirigée par un gouvernement socialiste, nous a gratifiés d'une redoutable force militaire, sous le commandement du général Massu, assisté des colonels Marcel Bigeard, Roger Trinquier, Fossey-François, Yves Godard et Paul-Alain Léger, et qui régnait non seulement sur sa division, la 10e DP (composée de quatre régiments), mais aussi sur d'importants services de police urbaine et judiciaire, de police de renseignements et d'exploitation. A ceux-là s'ajoutaient des hommes de choc, des zouaves implantés dans La Casbah, des cavaliers du 5e régiment de chasseurs d'Afrique, le 25e régiment de dragons, des soldats de deux détachements d'intervention et de reconnaissance, 1 100 policiers, 1 000 gendarmes et CRS, et quelque 1 500 hommes des «unités territoriales» (UT), composées pour l'essentiel de pieds-noirs ultras qui étaient dirigées par le colonel Jean-Robert Thomazo. C'était le début de la «Bataille d'Alger» qui nous a été imposée par l'armée dite de pacification. En effet, cette bataille a été la création de l'armée française qui ne voulait pas en démordre, en comprenant que l'Algérie appartient à ses enfants, aux Algériens qui voulaient, à partir d'une juste révolution, faire entendre leur voix pour se libérer du joug colonialiste. Ainsi, l'expression a été lâchée, à partir de janvier 1957. Mais en réalité, la «Bataille d'Alger» était là, depuis longtemps, depuis le début de la révolution où le FLN faisait d'Alger le bastion de toutes les grandes opérations qui démontraient l'engagement et la détermination du peuple algérien à se battre pour son indépendance. Pour cela, nos militants et nos «fidayine» se sont investis courageusement dans cette «bataille», en s'intégrant et en s'identifiant au combat avec un parfait esprit de sacrifice, rappelant l'adage arabe : «la magie s'est retournée contre le magicien», d'où l'expression française : «l'arroseur arrosé». C'est alors qu'à l'arrivée de ces troupes dotées d'un impressionnant arsenal, nous avons répliqué par une vague d'attentats meurtriers, notamment le 26 janvier où des bombes ont explosé dans trois cafés du centre-ville, faisant des morts et des blessés. Ensuite, nous avons lancé, en application des orientations du FLN, le mot d'ordre de grève générale pour le 28 janvier, «la grève des 8 jours» qui a été massivement suivie grâce à la mobilisation du peuple qui avait compris le message. Les parachutistes, eux, s'étaient donnés à cœur joie pour briser la grève, en ouvrant les magasins de force, en allant chercher à domicile avec des camions les travailleurs et les fonctionnaires absents au travail, en menaçant et appréhendant les soi-disant meneurs de ce mouvement dont l'ampleur faisait peur dans le camp des Français. Cette inquiétude était réelle et montre les pratiques coercitives, aliénantes, qui ont été «offertes» aux Algérois, plus particulièrement, ainsi qu'à tous les Algériens, en guise de «pacification» – quel euphémisme colonial ! –, cette pacification qui a autorisé l'unité du sinistre colonel Aussaresses, dénommée «escadron de la mort», à arrêter, selon ses propres dires, 24 000 personnes pendant les quelques mois de la «Bataille d'Alger», dont 3 000 ont disparu.
Yacef Saâdi
Demain : La grève des 8 jours

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