Les indignés du Sud : motus et bouche cousue !

Par Abdelaziz Ghedia – Selon une information relayée sur les pages Facebook, les gens du Sud (algérien), de la ville de Ouargla précisément, qui sont pourtant connus pour leur pacifisme légendaire, viennent d'innover en matière de lutte politique. Leur trouvaille est simple. Les manifestations de rue, les barricades, les routes barrées par des pneus qui crament et qui dégagent de la fumée à faire suffoquer les camelins qui sont légion dans la région ne sont plus d'aucune utilité. Opposer un bras de fer, une escarmouche avec les forces de sécurité n'est pas, non plus, une méthode du combat politique des temps modernes susceptible de porter leur voix au-delà du désert et de la steppe jusqu'à aux oreilles attentives des occupants du palais d'El-Mouradia. Non, tout cela c'est du passé. Le combat politique, la lutte syndicale, la revendication des droits civiques, des libertés individuelles et collectives, en un mot un peu de démocratie, peuvent être menés d'une autre manière. Une manière pacifique et sans effusion de sang. Il n'y aura donc ni police anti-émeute, ni «azraïne»* faisant face, dans les rues de la bourgade de Ouargla, aux jeunes mécontents. Ils sont mécontents, car complètement ignorés et délaissés par les pouvoirs publics. Comme le sont, du reste, les jeunes de toute l'Algérie. Jusqu'ici, ces jeunes tenaient les murs pour meubler leur temps en attendant des temps meilleurs. Mais face à l'ennui, face au manque de perspective et à l'horizon bouché, ces jeunes se sont rendu compte que la seule façon d'attirer l'attention des responsables politiques du pays est d'entreprendre quelque chose d'original. Ces jeunes se sont inspirés donc, tenez-vous bien, d'un vieil adage populaire qui dit «si la parole est d'argent, le silence est d'or». Et de la pensée, de l'inspiration, ils sont vite passés à l'acte. C'est aussi simple que cela. Mais cela mérite une force de caractère à toute épreuve. Car l'acte consiste, ni plus ni moins, en une suture chirurgicale des lèvres. Cette automutilation (relative) pour l'autocensure est cependant volontaire. Dieu merci, elle n'est pas encore pratiquée à grande échelle. Seuls, paraît-il, quelques jeunes se sont adonnés à cette pratique qui semble émerger d'un âge primitif. En fait, elle est beaucoup plus de l'ordre du symbolique. Mais elle n'est pas dénuée de risques. Immédiats d'abord, par les douleurs et les infections qu'elle pourrait entraîner chez ses promoteurs. Et secondairement ensuite par l'apparition de troubles psychiatriques autrement plus graves chez ces jeunes-là. En effet, l'on sait que dans certaines conditions de stress, par exemple, lorsque la parole est muselée, le corps est contraint, forcé, poussé à s'exprimer d'une autre manière. J'aurai aimé que ces jeunes s'inspirassent d'autre chose, d'autres expériences qui ont fait leurs preuves ailleurs. N'ont-ils pas entendu parler de Stephane Hessel, par exemple, et de son fameux opuscule «Indignés-vous» ? Les jeunes Espagnols s'en sont inspirés en 2011. Ce qui a donné, plus tard, Podemos («nous pouvons»), un parti politique fondé en 2014 et qui, lors de son premier test électoral aux élections européennes de la même année a enregistré des résultats tout à fait encourageants.
Mais ne faisons pas trop de reproches ces jeunes-là. Les jeunes de Ouargla ou Touggourt n'ont pas forcément la même culture politique ni les mêmes préoccupations existentielles que les jeunes Basques ou Catalans. Ils ont agi en fonction de leur environnement naturel, à la manière de l'autruche qui, face à un péril, se cache la tête dans le sable.
A. Z.
«Azraïne» est le nom donné par les jeunes émeutiers au véhicule «chasse-neige» utilisé par les forces anti-émeutes pour dégager les rues de tout objet hétéroclite pouvant les obstruer.

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