Suspension par le Maroc de ses contacts avec l’UE : un nouveau coup de bluff du Makhzen ?
En perte de vitesse sur le dossier du Sahara Occidental, le Maroc annonce la suspension de ses contacts avec les institutions de l’Union européenne. Cette décision a été prise, dit-on, pour protester contre l’annulation d’un accord agricole conclu entre le Maroc et l’Union européenne par la justice européenne au motif qu’il s’applique aussi au Sahara Occidental. Le royaume chérifien dénonce donc le «caractère hautement politique» et «contraire au droit international» de l’initiative bruxelloise. Le chef du gouvernement marocain, Abdelilah Benkirane, fait savoir qu’il avait rencontré le représentant au Maroc de l’Union européenne, Rupert Joy, auquel il avait notifié sa décision. Pour les médias marocains qui ont largement relayé cette information, Rabat hausse le ton. Mais le Maroc peut-il vraiment élever la voix devant l’UE ? Les relations entre certains membres de l’UE sont telles qu’il est difficile de croire un instant que les dirigeants marocains puissent maintenir longtemps leur décision ni aller plus loin. Pour certains observateurs, il s’agit d’un nouveau coup de bluff du gouvernement marocain pour cacher à l’opinion l’échec de son lobbying à coup de milliards pour faire passer son plan d’autonomie du Sahara Occidental. Car le Maroc ne peut pas prendre le risque de perdre les forts appuis de certains membres influents de l’UE comme la France et l’Espagne. A l’économie entièrement dépendante du marché européen, le royaume chérifien ne tardera donc pas, estiment ces mêmes observateurs, à revenir à de meilleurs sentiments en déclarant, haut et fort, avoir obtenu ce qu’il voulait. Mais en réalité, il n’y aura que des précisions diplomatiques sur la décision de la justice européenne d’annuler un texte qui date de décembre 2015 relatif aux mesures de libéralisation réciproques en matière de produits de l’agriculture et de la pêche. Ce document étendait l’accord au Sahara Occidental, ce qui est contraire au droit international et aux engagements de l’UE. «Après cette annonce beaucoup plus médiatique, le Maroc va montrer patte blanche dans les coulisses de la diplomatie, en demandant à ses alliés de l’aider à traverser cette mauvaise passe», estime un fin connaisseur du royaume. Et on sent déjà le changement de ton et de tonalité chez les responsables marocains. Après l’annonce sur un ton grave de la mise en stand-by de son agenda de réunions avec les institutions de Bruxelles, le Maroc rassure qu’il ne compte pas suspendre ses relations avec l’UE. «Le Maroc ne veut pas suspendre ses relations avec l’Union européenne. Il cherche à les recadrer dans l’intérêt du pays», précisé à Jeune Afrique Mustapha El Khalfi, porte-parole du gouvernement marocain. L’UE l’a compris et a déjà annoncé qu’elle va expliquer aux autorités marocaines la décision de justice en insistant sur la séparation des pouvoirs et sur l’indépendance des juges.
Sonia Baker