La presse algérienne ou la rédaction écolière

Par Abdelkader Benbrik – Chaque 3 mai, la presse algérienne fête, à l'instar du monde, la Journée de la liberté de la presse, censée être une journée qui symbolise le combat pour la liberté d'expression. Mais comment déterminer que la presse algérienne souffre vraiment de l'absence de liberté d'expression ? Les critères des sciences sociales ne sont d'aucune utilité pour tenter une approche sérieuse de nos médias, surtout la presse écrite. Les thèses des «sciences» de l'information et de la communication ne sont pas valables. Ce qui est possible, par contre, c'est d’élaborer une théorie de la pratique quotidienne pour tenter une synthèse. Et c'est cette synthèse de l'ensemble de la presse algérienne (TV, radio, journaux en arabe et en français) qui pourrait dire si notre presse correspond à notre réalité, je veux dire la réalité de la société algérienne, la réalité de la majorité des Algériens. Cette synthèse peut fournir au lecteur les éléments de réponse valables à la question qui porte sur l'indépendance de la presse algérienne vis-à-vis des autorités supérieures et des commanditaires français qui déterminent son discours. Il faut rappeler au lecteur qu'en général, c'est-à-dire dans le monde entier, il suffit de faire une analyse du système (ou du journal), de ses structures pour savoir si un journal est «indépendant» ou non, dans les limites des contraintes qui lui sont imposées à la fois par le pouvoir en place, l'Etat, les sources de l'information, l'opinion publique, la publicité et, bien sûr, le propriétaire du journal. Il faut identifier ces différents pouvoirs, évaluer leur poids sur la ligne éditoriale et voir dans quelle mesure la publication analysée parvient à s'accommoder de ces contraintes qui assurent la régulation du journal et lui fournissent un certain équilibre entre l'Etat algérien qui peut décider l'interdiction de publier et ceux qui gèrent les intérêts de la France en Algérie. Il faut à la fois ménager l'Etat algérien pour obtenir la publicité et obéir aux «amis» français pour accomplir sa mission. Le tout est enrobé d'un amour fou pour l'Algérie et d'un patriotisme ostentatoire. Il y a aussi les journaux «commerciaux» qui sont très nombreux, ceux qui ne cherchent que la publicité, et qui engagent aussi des responsables qui ne sont pas sortis des écoles du journalisme ni avoir au préalable une expérience dans le système de l'information en général, ou qui n'ont jamais été des journalistes professionnels ; ce sont eux qui gèrent la rédaction et qui étouffent le journaliste. Ces responsables ménagent les entreprises étrangères, les grandes sociétés, même quand ces sociétés versent dans l'irrégularité, aucune publication n'est tolérée, parce que ces sociétés sont les sources de la pub ! Un vrai directeur de publication ou un vrai rédacteur en chef n'acceptent jamais cette complicité, car le journal dépend du ministère de la Communication et non celui du Commerce ! Voilà un des facteurs de l'étouffement de la liberté de la presse en Algérie. L'indépendance d'un journal est une fiction, un idéal, un projet, tout aussi flou que la «démocratie», le «socialisme», le «bonheur» ou la «justice». L'ensemble de la presse écrite en français n'influe que sur une minorité. La presse écrite en arabe de son côté est tout aussi minoritaire sur le triple plan du volume (nombre de titres + tirage) de l'influence sur l'opinion publique et des capacités de développement. La presse en arabe est piégée parce que ses journalistes n'ont ni une bonne expérience de leur métier ni une maîtrise suffisante des idéologies qui s'affrontent. Ils n'ont pas des batteries de psychologues, d'économistes, d'historiens, de cinéastes, de sociologues et de romanciers à utiliser pour faire prévaloir leurs thèses. Ses journalistes, bien au contraire, parce qu'ils sous-estiment leurs concurrents à la prise du pouvoir (parce qu’à notre avis, le pouvoir est bel et bien l'opinion publique algérienne), facilitent la tâche à ces derniers, leur fournissent des munitions. Les journalistes algériens qui écrivent en arabe ont oublié la puissance des rapports tissés par la révolution algérienne entre le politique, le religieux et le territoire. On constate que la presse algérienne dans son ensemble a tout raté depuis le début, depuis. Elle n'a pas reflété les terribles soubresauts de la courte période qui a confirmé la naissance de l'Etat algérien indépendant et souverain. Elle n'a pas critiqué les solutions à l'emporte-pièce qui ont suivi ni le coup d'Etat qui a renversé Ben Bella. Elle s'est couchée de tout son long de 1965 à 1989. Rien sur les maquis kabyles, rien sur les excès, rien sur les dérives du système dans son ensemble. Avec le président Chadli Bendjedid, il y a eu deux périodes : la première a été caractérisée par la même discipline, la même soumission au régime. Ensuite, une course effrénée au profit. Ce n'est que lorsque les journalistes se sont repus d'avantages matériels qu'ils ont compris que le régime exigeait autre chose d'eux : leur complicité dans l'opération de dépossession de l'Algérie de sa souveraineté. Cette opération consistait à faire ce qui a été dit plus haut : ruiner l'économie nationale, détruire l'identité nationale construite autour de larges consensus sur la langue, la religion, les valeurs…
Tout cela paraît complexe parce que l'essentiel n'est pas encore dit. L'objectif de tout cela est l'intégration de l'Algérie à l'économie française. Il faut lire le «Plan bleu». Chaque journaliste algérien en langues française et arabe doit par devoir lire la synthèse de ce document qui a été publiée dans sa version publique par les éditions Economisa, il y trouvera le fil conducteur de ce qui est arrivé à notre pays, le dénominateur commun de tous les événements et de toutes les thèses qui se sont déployées dans notre presse, essayons de les résumer : ramener l'Algérie à son ancien statut français. Appliquer les accords d'Evian stricto sensu. On a assisté aussi aux concerts de raï, au premier festival à Oran qui est venu bannir le rendez-vous annuel appelé maoussem Sidi Houari, comme les conférences «scientifiques» organisées à l'université pour discourir sur les traditions de la psychologie, l'art, la littérature, l'histoire et la démocratie. Tout cela pour servir ce discours : le passé des Algériens est sans intérêt et ne mérite que les oubliettes, leur langue est sans avenir puisqu'elle n'assimile pas la science moderne, et les traditions des Algériens sont ridicules. Ce nouveau déploiement opéré dans les secteurs universitaire et culturel fait pendant aux discours essentiellement économiques : partenariat, ouverture du marché, sociétés mixtes, tourisme, etc. La presse a applaudi sans broncher, pendant que des milliers d'Algériens perdraient leurs postes de travail. Enfin, le «Plan bleu» ne concerne pas seulement l'Algérie, c'est tout le pourtour méditerranéen qui délimite son champ d'action, mais, curieusement, il n'y avait à cette époque que l'Algérie qui en reçoive une application directe. Et bien sûr, il a entraîné le 5 octobre 1988. Douze années plus tard, les autres pays sont touchés progressivement : la Tunisie, l'Egypte, la Libye, le Maroc, la Syrie, le Liban, la Grèce… La presse est entrée tête avant dans tous ces événements de protestation, de rébellion armée , alors que la chaîne qatarie Al-Jazeera s'est transformée en «état-major militaire» avec présence dans le studio des généraux ratés qui ont fini leur carrière, rappelés pour le besoin de faire avaler des couleuvres aux millions de téléspectateurs qui suivent cette chaîne manipulée à distance par l'Oncle Sam. Il faut d'abord avoir une presse capable de dénoncer la vermine là où il faut la dénoncer bien fort.
A. B.

Ndlr : Les idées et opinions exprimées dans cet espace n’engagent que leurs auteurs et n’expriment pas forcément la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
 

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