Issad Rebrab : «Je subis les conséquences de ma liberté»

Le PDG du Groupe Cevital est revenu dans un entretien accordé au journal Le Monde dans son édition d'aujourd'hui sur l’affaire du rachat d’El-Khabaret les blocages qu’il subit depuis de longues années. Il assure avoir répondu à la demande de journalistes et d’actionnaires d’El-Khabar qui étaient en difficulté, «étant donné que certains cercles du pouvoir leur ont coupé la publicité des organismes publics». «El-Khabar, qui est un journal indépendant, nous a demandé d’entrer dans le capital du journal pour sauver ses emplois, mais aussi son indépendance. Etant donné que je suis un entrepreneur citoyen, j’ai répondu favorablement. Sauver près de 500 emplois et défendre toutes les libertés dans le sens le plus large et en particulier la liberté d’expression est, à mon sens, un devoir citoyen», a-t-il expliqué. Issad Rebrab souligne qu’en tant que personne il avait investi dans le journal Liberté dans les moments les plus difficiles des années 1990 pour «promouvoir la démocratie, la liberté d’expression et la liberté d’entreprendre». Le patron du Groupe Cevital affirme qu’il n’arrivait pas à comprendre cette situation. «Nous avons respecté scrupuleusement les lois et la réglementation algériennes concernant cette acquisition. L’acte a été approuvé, non seulement par nos juristes, mais aussi par le notaire qui a enregistré la vente : s’il y avait eu un problème juridique, il n’aurait pas pu réaliser l’acte, encore moins le publier. Du point de vue du droit, nous sommes sereins. Si la justice est réellement appliquée, nous n’avons aucun problème. Si elle est instrumentalisée, c’est une autre affaire…», a martelé Rebrab, qui considère que ces pressions visent à «limiter la liberté d’expression, la liberté de la presse, comme on a aussi limité la liberté d’entreprendre». Sur un autre volet, celui de l’investissement, Issad Rebrab a évoqué le blocage de plusieurs de ses projets. «Nous avons aussi des projets industriels que nous n’avons pu réaliser parce que nous n’avons pas eu l’autorisation du Conseil national des investissements (CNI) qui limite le seuil des investissements à 15 millions d’euros actuellement (initialement à 5 millions), alors que nous sommes dans un pays qui a besoin de créations d’emplois et qui a le potentiel pour avoir une croissance à deux chiffres», a-t-il expliqué. Selon lui, «l’Algérie a besoin de diversifier son économie pour essayer de ne plus dépendre des hydrocarbures, qui constituent 97% de nos exportations». Il souligne que dans moins de 5 ans, «il y aura 10 millions de nouveaux demandeurs d’emploi. En 2025, l’Algérie comptera 50 millions d’habitants». «Nous allons consommer de plus en plus d’électricité, près de 5% de plus par an de gaz et de carburant. Nous ne pourrons plus exporter ce que nous vendons aujourd’hui», a-t-il prévenu, estimant ainsi qu’il est temps de diversifier notre économie. Issad Rebrab affirme que l’Algérie pourra devenir un pays exportateur dans quasiment tous les domaines. «Notre Groupe en a fait la démonstration dans plusieurs secteurs, par exemple dans le verre plat, Cevital exporte 80% de ses capacités de production, le reste couvre l’intégralité des besoins nationaux. C’est aussi le cas de l’agroalimentaire, du sucre blanc, des huiles végétales, des margarines…», a-t-il indiqué. Le PDG de Cevital affirme que ses déboires avec le pouvoir n’ont rien à voir avec le quatrième mandat. «Je ne me suis jamais immiscé dans la question du quatrième mandat. Mon inquiétude, c’est surtout le développement économique de l’Algérie. Nous ne sommes pas les seuls à être ainsi freinés. Les investisseurs qui veulent investir en Algérie et qui ne sont pas proches du pouvoir en souffrent aussi. Je n’arrive pas à m’expliquer cela. Ce sont des questions que tout le monde se pose. Personne ne comprend ce freinage», a-t-il soutenu, qui s’interroge plutôt sur la raison qui a poussé le législateur à limiter l’investissement à 15 millions d’euros par projet, au-delà duquel on doit solliciter l’autorisation du CNI pour créer des emplois et de la richesse. Interrogé sur les capacités du président Bouteflika à gouverner, Issad Rebrab a affirmé qu’il lit comme tout le monde ce qu’écrit la presse, mais n’est pas dans le sérail pour l’infirmer ou le confirmer. Le PDG de Cevital relativise cependant l’aspect identitaire dans cette affaire de blocage d’investissement. Pour lui, il y a plutôt une «affaire de soumission». «Ce n’est pas tout à fait cela. D’ailleurs, le directeur de cabinet de la présidence de la République est un Kabyle. Et dans le domaine économique, il y a des Kabyles, tels que le président du Forum des chefs d’entreprises, qui sont dans le sérail. Ce n’est pas un problème de régionalisme, c’est plutôt une affaire de soumission : le pouvoir n’aime pas et ne supporte pas les hommes indépendants et libres.» Il enchaîne en soulignant qu’il est «un électron libre, un homme indépendant». «Je pense que je paye les conséquences de ma liberté», a-t-il dit.
Sonia Baker
 

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