Une contribution Jean-Claude Bainville – D’Hervé Gourdel à Eric Zemmour

Des partis politiques et des personnalités jouissant d’une audience médiatique importante, indifférents au mal qu’ils font à la cohésion de la société française, font dans l’amalgame en prenant prétexte des crimes de Daech. S’en prendre collectivement à nos concitoyens musulmans conforte les replis sur soi communautaires et aiguise les ressentiments. On s’indigne du petit nombre venu crier son indignation après la mort d’Hervé Gourdel. On somme les représentants du culte musulman de condamner la barbarie intégriste et on donne de l’olifant contre ceux qui osent dire que Daech n’est pas l’Islam.

L’immense majorité des musulmans de France n’a rien de commun avec les assassins d’Hervé Gourdel ou avec leurs émules qui se rendent au Moyen-Orient pour faire le «djihad». Mais qu’importe, l’opinion publique a besoin de responsables identifiés. Le crime n’est pas imputé à l’individu, mais à l’espèce. Hervé Gourdel n’a pas été tué par Daech et ses clones, mais par les musulmans. Rien dans leur façon de vivre, leur spiritualité, ni dans leur démarche quotidienne de citoyens français respectueux des valeurs de la république ne légitime les anathèmes jetés sur ces hommes et femmes qui pratiquent leur religion dans le respect de celle des autres.

Après avoir aperçu quelques drapeaux blanc et vert sous l’Arc de triomphe – un soir d’euphorie footballistique -, Eric Zemmour déchaîne ses colères télévisuelles sur le thème des racines chrétiennes de la France en danger d’islamisation. L’essayiste réinvente alors des croisades anachroniques, inutiles et irresponsables, s’adressant à tous les pauvres gens qui cherchent à donner une forme, un visage et un nom à leurs difficultés quotidiennes.

Ils ont fière allure ces nouveaux missionnaires en côte de maille bleu marine, brandissant la masse d’arme de Charles Martel exhumée des tranchées de Poitiers. « Derrière chaque musulman se cache un Mohamed Merah », affirment-ils avec les nouvelles générations du Front national et l’essayiste cathodique, le grand généraliste de l’angoisse. Regardons bien ! De Le Pen à Zemmour, en passant par Ménard, une encre commune dégouline de leurs mots. La doctrine Le Pen – père et fille -, les petites diatribes quotidiennes de Zemmour, les frustrations de Ménard et la xénophobie de Buisson proviennent du même cocon originel. La xénophobie a rompu les anciennes cloisons. Qu’importe si Zemmour n’est ni blond, ni beau et que son nom signifie « olive » en berbère algérien. Qu’importe si, pour Le Pen, la shoah est un « détail de l’histoire » et que Durafour rime avec crématoire, qu’importe si Buisson théorise la haine de l’autre, oui qu’importe ! La xénophobie est une maladie, pis, une religion. Elle a son être suprême et ses repères historiques : lisons Zemmour.

1830, l’an neuf du gui chez les Barbaresques, est définitivement passée de mode. On réinvente autrement la canonnière. Ce ne sont pas les bonnes causes qui manquent. L’index rigide de Zemmour sabre dans les recoins des cités, crochète les portes palières, montre sous l’échappée de l’escalier l’immigration embusquée, pêle-mêle, les noirs, les beurs qui crachent dans la soupe, les jaunes en clonage perpétuel, les pas tout à fait ceci et les presque cela. Le spectre est sans limite. Tiens, voilà là-bas l’ennemi public numéro un, le Français de souche algérienne, qui a arraché le petit pain au chocolat de la bouche du petit Jean François Copée, au temps de ses culottes courtes…

Ce n’est pas fini, voyons grand : la Turquie ! De nouveau Soliman est aux portes de Vienne. Il va passer la Save et le Danube. Les serres crochues du croissant se referment sur Saint Denis. Lampedusa, tête de pont, pointe acérée du compas, pue la chiasse émigrée en un immense arc de cercle. La Turquie ! Zemmour en perd le sifflet. Il rage ! Il fulmine ! Il vitupère ! Cent millions de Turcs dans l’Union européenne, comme cela, d’un seul trait de plume, sans préservatif référendaire et voilà la France, voilà l’Europe engrossées de cent millions d’islamistes l’arme au pied. Il n’y aurait qu’un seul Islam – celui qui a décapité Hervé Gourdel – la preuve par la Turquie -, affirme Zemmour, Cassandre de la dépression française, physicien du trou noir qui aspire ce qui reste de latin et de chrétien. Haro sur la lave impensable vomie par les volcans arabes et africains. Il faut réinstaller Vauban sur les décombres de Schengen !

Le coup de balai auquel invite Zemmour épargne, curieusement, le vrai danger, les vrais tueurs : les salafo-djihadistes présents chez nous, qui prêchent contre la République, qui appellent au meurtre des Chrétiens, recrutant pour la Syrie et l’Irak et… pour la France. Zemmour ne cible jamais le dangereux réseau caché, dopé par l’argent du Qatar et de l’Arabie saoudite qui les recrute, les endoctrine et les envoie au front. Le front : une école juive, la sortie d’une caserne, une station de métro, un restaurant…

Le prophète du suicide français, l’envolée ravageuse, vend mieux son bréviaire xénophobe, le lendemain des crimes intégristes, en providentielle concomitance. Chaque horreur est une aubaine pour le polémiste de l’extrême, un pavé dans la mare étale de l’angoisse, un tourbillon qui aspire ce qui reste de lucidité française. Pas brillant !

Jean-Claude Bainville

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