Université : entrave à l’exercice du droit syndical

Par Mahammed Nasr-Eddine Koriche (*) – Les évènements dramatiques qui ont eu pour théâtre la Faculté des sciences politiques et des relations internationales de l’Université Alger 3 montrent une fois de plus les difficultés que rencontrent les citoyens (travailleurs salariés ou agents de l’Etat) pour le libre exercice du droit syndical au sein de toute organisation syndicale qui ne serait pas l’UGTA. On peut déplorer en particulier que l’exercice d’un droit citoyen à valeur constitutionnelle soit entravé dans le secteur de l’administration publique, soit un secteur où le comportement des représentants des pouvoirs publics à tous les niveaux devrait avoir valeur d’exemple lorsqu’il s’agit du respect des lois de la République, nécessaire à la réalisation de l’Etat de droit.

Les évènements en question ont soulevé deux questions de droit d’inégale importance en rapport avec l’exercice du droit syndical. L’administration de l’université «explique» ces évènements par le fait que les enseignants membres de l’organisation syndicale Cnes ont tenu au sein de leur faculté une réunion «non autorisée». Celle-ci avait pour objet de désigner des délégués syndicaux. En réalité, ce qui est à l’origine du désordre qui s’en est suivi, c’est l’intervention de responsables de l’université pour entraver l’exercice d’une prérogative syndicale soit par ignorance de la loi soit pour des raisons obscures.

En effet, à s’en tenir strictement à la loi (loi n°90-14 du 2 juin 1990 relative aux modalités d’exercice du droit syndical), il peut être relevé que :

1- les prescriptions des articles 40 et 41 (modifiés) autorisent toute organisation syndicale représentative à créer une structure syndicale dans tout lieu de travail pour assurer la représentation des intérêts matériels et moraux de ses membres. Cette structure syndicale désigne en son sein les délégués syndicaux chargés de la représenter auprès de l’employeur. L’ensemble de ces dispositions légales s’appliquent conformément aux statuts de l’organisation syndicale. Aucune autorisation de quelque autorité administrative ou employeur n’est requise pour l’application de ce que la loi a clairement prescrit et autorisé. Ainsi, le motif évoqué par l’administration-employeur pour justifier son opposition à cette réunion syndicale n’a aucun fondement légal ;

2- en toute circonstance, selon les termes de l’article 38 (complété), une organisation syndicale représentative a comme prérogative de réunir ses membres sur les lieux de travail sans autorisation préalable (sauf si cette réunion doit avoir lieu pendant les heures de travail).

Dans ces conditions, les manœuvres, pressions et actions menées par l’administration de l’université pour empêcher les membres d’une organisation syndicale représentative régulièrement déclarée et enregistrée depuis 1992 auprès des services du ministère chargé du travail, sont manifestement des entraves au libre exercice du droit syndical. Ces entraves constituent une infraction susceptible de sanctions pénales, selon les prescriptions des articles 58 et suivants de la loi précitée. De plus, par ces manœuvres, les responsables de cette administration ont été à l’origine d’un trouble manifeste à l’ordre public.

Le fait le plus troublant dans cette affaire n’est cependant pas celui par lequel les responsables d’une institution publique ont tenté d’empêcher par tout moyen la réalisation de ce que la loi autorise et garantit, mais bien celui de l’intervention d’une décision par laquelle le ministère chargé de l’enseignement supérieur prétend «geler» les activités de l’organisation syndicale Cnes. Cette décision aurait pour motif un conflit portant sur la direction de cette organisation. On ne peut en effet que s’étonner que le ministère prenne l’initiative de violer aussi délibérément à la fois le droit national et supranational. Sur le plan de la forme, ladite décision n’a pas un statut juridique établi constitutionnellement ou légalement qui lui donne autorité et lui permet de produire des effets de droit. Par ailleurs, le terme «geler» (تجميد) n’appartient pas à la terminologie juridique retenue par le législateur; il n’a donc pas de sens en droit (du travail) et ne saurait donc produire des effets de droit. L’administration (en particulier celle de l’enseignement supérieur) devrait être attentive à la différence entre le langage courant et celui contenu dans des prescriptions juridiques. Ces observations à elles seules suffiraient à disqualifier cette décision.

Sur le fond, nous ne sommes pas sans ignorer, en dépit de la maladresse du rédacteur de cette décision, qu’il s’agit plutôt d’une «suspension» (توقيف). C’est ce terme seul qui est utilisé par la loi n°90-14 précitée.

Si «geler» doit être compris comme signifiant «suspendre», on ne pourra alors qu’observer que le ministère a pris une décision (sans la forme et la terminologie requise) pour laquelle non seulement la loi ne lui donne pas compétence, mais écarte expressément sa compétence. En effet, aucun ministre dans aucun secteur, fusse-t-il le ministre chargé du travail lui-même, ne peut décider de suspendre une organisation syndicale pour quelque motif que ce soit, y compris pour le motif évoqué dans ladite décision. Selon les prescriptions de l’article 27 de la loi n°90-14 précitée, la compétence légale de l’autorité publique (ici le ministère de l’Enseignement supérieur) se limite à saisir les juridictions compétentes, seules habilitées par la loi à prononcer, le cas échéant, la suspension de toute activité syndicale qui contrevient aux lois en vigueur ou ne se conforme pas aux activités prévues dans ses statuts. Le recours au juge pour obtenir que soit prononcée, si les conditions sont réunies, la suspension de l’activité d’une organisation syndicale est un élément essentiel du dispositif légal de protection de la liberté syndicale. Un dispositif qui a pour fondement la convention n°087 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical ratifiée par l’Algérie. Les prescriptions de son article 4, auxquelles se conforme la loi algérienne, énoncent que «les organisations de travailleurs et d’employeurs ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative».

Ainsi, sans contestation aucune, la décision qui prétend «geler» (suspendre) l’activité du syndicat Cnes n’est légalement fondée ni au regard des procédures auxquelles la loi algérienne oblige à se conformer en vue d’obtenir la suspension de l’activité syndicale, ni au regard du motif unique (activité syndicale contrevenant aux lois et aux statuts de l’organisation syndicale) pour lequel cette suspension pourrait être requise. Il y a donc bien dans ce cas voie de fait par manque de droit, dès lors que l’administration a pris une décision ne se rattachant pas à un pouvoir que la loi lui attribue.

Mahammed Nasr-Eddine Koriche

Commentaires

    Abou Stroff
    14 mars 2017 - 12 h 11 min

    l’argumentation de l’auteur
    l’argumentation de l’auteur est imparable en plan du droit mais il y a un mais! l’Algérie est elle un Etat de droit pour que l’argumentation de l’auteur ait un sens? la réponse semble évidente puisque il y a souvent le fait du prince et le fait du prince est une caractéristique remarquable de l’administration algérienne en particulier et de la marabunta qui nous gouverne, en général.

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