Contribution du Dr Arab Kennouche – Daech à l’assaut de l’Europe souverainiste
Va-t-on vers la création d’une base permanente de Daesh, franchisée en Europe, une dawla islamiya fi bouldan al-ouroubiya ? L’inquiétante série d’attentats perpétrés sur le sol européen récemment est un phénomène de rupture majeure dans la stratégie globale de Daech vis-à-vis de l’Occident. Si elle demeure effarante par sa capacité à ordonner une cascade d’attentats, en un laps de temps réduit et quand bon lui semble, Daech semble aujourd’hui avoir passé la vitesse supérieure, qui, à bien des égards, montre sa capacité de nuisance planétaire dans un contexte politique délétère en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne. Une première question se pose sans ambages : pourquoi donc Daech a décidé de frapper aussi fréquemment que possible au cœur des grandes puissances européennes, en changeant de calibre par des actes répétitifs visant à instaurer un climat de terreur permanent jamais connu auparavant ? Plusieurs niveaux de lecture permettent de tenter des réponses à cet égard.
L’énigme trumpienne
Il faut d’abord se resituer au plan géopolitique global et considérer la nouvelle stratégie de l’Amérique trumpienne appelant à une éradication totale de la menace terroriste, contre celle de ses prédécesseurs plus enclins à insérer cette lutte dans une politique de couplage des intérêts israélo-américains. La coalition antiterroriste créée récemment lors d’un voyage initiatique en Arabie, au Vatican et dans les grandes capitales occidentales s’est voulue comme une nouvelle croisade dirigée contre le terrorisme islamiste que les Etats-Unis inscrivent désormais sur le compte de la République islamique iranienne, chinoiserie qui revêt également son importance dans le décryptage des nouveaux déterminants de la politique étrangère américaine. Les grands sponsors du terrorisme, que sont de fait l’Arabie Saoudite et d’une manière générale les monarchies du Golfe, dont le Qatar, ont été contraints de porter le feu en Iran même, créant un amalgame des plus grotesques entre le salafisme wahhabite de Daech et l’irrédentisme iranien devant la politique agressive d’Israël au Proche-Orient. Trump peut-il en ce sens afficher la meilleure des volontés en s’alliant avec la Russie de Poutine, comme il l’a manifesté, pour combattre le terrorisme de Daech en Syrie et en Irak tout en accusant l’Iran de plus grand sponsor du terrorisme ? Alors que l’Iran lui-même combat Daech ? Si Daech frappe l’Iran en plein parlement, pourquoi donc s’en prendre à l’Iran ?
Mais Trump est arrivé au pouvoir avec une nouvelle vision du terrorisme en désaccord profond avec celle du camp foncièrement atlantiste de l’axe Bush-Clinton : pour lui et pour nombre de ses adeptes plus isolationnistes, Daech n’est pas un problème américain ; ou s’il l’est, il doit être anéanti sans plus tarder, en coupant ses racines implantées aux Etats-Unis et en Europe, de sorte à ce que plus rien ne repousse sur le sol national. Néanmoins, le clan Clinton, qui a perdu les dernières élections, et les néoconservateurs comme les néo-démocrates jugent la nature du problème sur un autre plan beaucoup plus stratégique, devant inclure des intérêts géopolitiques sécuritaires propres à Israël. Eradiquer complètement Daech signifierait s’ôter les moyens de poursuivre une politique de reconquête du Proche-Orient, notamment de destruction des régimes politiques ennemis de la Syrie et du Liban (avec le Hezbollah). Combattre Daech reviendrait également à remettre en cause des intérêts convergents avec Israël, et avec une politique européenne pro-israélienne largement soutenue par les Cameron, Sarkozy, Hollande et maintenant Macron, autant de fervents supporters de l’interventionnisme en terre arabe.
Ainsi, alors que pour Trump, il s’agit d’éviter que le sang des Américains coule sur son propre territoire et que des milliers de GI perdent la vie sur divers théâtres d’opérations, revivant un syndrome du Viêt-Nam, pour une autre frange de l’Amérique institutionnelle, coalisée à Israël, il s’agit plutôt de continuer à instrumentaliser Daech en vue de la protection ou de l’expansion d’Israël, notamment en l’utilisant comme un puissant virus destructeur des régimes politiques nationalistes ne lui faisant pas allégeance : la Libye, l’Irak et la Syrie sont actuellement en état de décomposition avancée grâce au takfirisme de Daech armé et financé par des Etats arabes alliés des Etats-Unis, mais que Trump semble vouloir lâcher dans une certaine mesure.
Il est donc aisé de comprendre l’horreur d’un vide que laisserait une politique trumpienne d’éradication totale du terrorisme de Daech, surtout depuis que le président américain a montré, en accord avec Vladimir Poutine, sa détermination à anéantir la bête immonde, ce qui en soi ne relève pas de l’impossible vu les capacités militaires de ces deux puissances… Mais que deviendrait Israël si Daech venait à disparaître ? Pourrait-il contrer indirectement la menace du Hezbollah au Nord sur sa frontière libanaise ? Celle d’une Syrie revigorée avec une présence russe renforcée ? Pourrait-il s’assurer une ceinture de sécurité élargie, véritable axe de sa politique étrangère en jordanisant tous les Etats arabes qui se trouvent dans son espace vital ? Les paroles de Laurent Fabius, ancien ministre des Affaires étrangères de la France, sonnent encore comme l’aveu d’une instrumentalisation nécessaire des forces du mal pour le bien d’Israël : «Al-Nosra fait du bon boulot en Syrie.» Autant donc continuer sur cette lancée, celle des proxy-wars.
La montée du souverainisme fait mal à Daech
Le redéploiement de Daech en Europe s’inscrit en droite ligne avec une volonté atlantiste de perpétuer le mal nécessaire, mais circonscrit à des objectifs précis de défense de l’espace vital d’Israël. Ce que Trump en apparence, et une bonne partie de l’Europe des peuples, sans aucun doute, ne semblent plus vouloir. Jusqu’à ce que ces attentats ne surviennent pour rappeler à qui semblait l’oublier vers quelle direction il faut continuer de regarder. Las d’un chômage endémique, d’une désaffection profonde pour la chose politique matérialisée par des taux records d’abstention aux législatives, d’un danger migratoire assimilé à une conquête de l’Europe par des hordes islamistes, Daech semble exploiter à la perfection l’idée horrifiante qui germe dans les esprits des petites nations séduites par le souverainisme, de la création d’une branche de l’Etat islamique d’Al-Baghdadi au sein de la vieille Europe, comme ses avatars du Sahel, du Maghreb (Aqmi), du Levant, de la péninsule arabique… Inutile de dire que cette peur entretenue par une violence hyperbolique, magnifiée dans les médias, servirait à faire dévier plusieurs départs de feu : celui d’une intégration européenne en crise, d’une pression migratoire extérieure incontrôlable, d’un retour du souverainisme et du populisme d’extrême-droite qui lui ne consent pas à une alliance avec le néo-conservatisme atlantiste récemment implanté en France par Sarkozy dans le but de lutter contre le «terrorisme international»…
Sommes-nous parvenus à un temps de rupture, où l’Amérique fidèle alliée d’Israël, semble cette fois-ci tourner le dos à cette puissance du Proche-Orient ? En tout état de cause, il est évident que la température du souverainisme est élevée en ce moment en Europe et partout ailleurs dans le monde : les théoriciens du New World Order (Nouvel Ordre Mondial) savent pertinemment qu’aujourd’hui, les nations sont devenues sensibles au nouveau mal qui les ronge : une démocratie en faillite, complètement confisquée, comme l’atteste la désaffection historique pour les législatives en France. Le cas Macron est symptomatique d’une solution finalement temporaire devant la colère des peuples, jugulée pour un moment comme un pneu que l’on rechape, mais qui risque bel et bien d’éclater pour de bon un jour. Daech exploite-t-il cette colère sourde, ce vent de souverainisme pour en tirer profit, ou est-il encore un paravent pour tenter une dernière soudure anti-souverainiste à la Macron, dans l’axe Washington-Londres-Paris-Tel Aviv ?
Dr Arab Kennouche
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