La vision policière de l’actualité

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Les Iraniens sont sortis spontanément dans la rue le 28 décembre pour crier leur ras-le-bol. D. R.

Par Mesloub Khider – Dopés aux séries policières très en vogue ces dernières décennies, les médias et leurs fidèles adeptes (lecteurs et téléspectateurs) ont tendance à dégainer, à la moindre irruption d’un événement d’actualité inexpliqué, leur fumeuse théorie du complot pour appréhender l’information à moindre frais réflexif. Mus par une paresse intellectuelle constamment en activité, ces médias à la pauvreté analytique abyssale exhibent avec promptitude leur arme favorite conspirationniste. Embusqués derrière leur écran d’ordinateur comme des espions en service commandé, ils scrutent l’actualité avec leurs lunettes aux verres déformants. Et formant une vision tronquée et truquée du monde. Chaussés de leurs lunettes à courte vue, ces médias affublés de leurs affabulations narratives habituelles nous livrent régulièrement leurs fictions en guise d’informations. Rien n’échappe à leur imagination débordante de réalisme politique. La réalité, grâce à leurs chatoyantes analyses, prend souvent des couleurs éclairantes de vérité. Eclatantes de sincérité. Ecrasantes d’honnêteté.

A leurs yeux candides, le peuple, perçu comme une masse moutonnière, ne s’éveille à la conscience politique que sous l’instigation de quelque gourou meneur de foules. Ou de quelque professionnel spécialiste de la manipulation politique œuvrant au service d’occultes puissances maléfiques.

Ainsi, dès lors que les masses populaires laborieuses investissent la rue pour revendiquer leurs droits à la vie, réclament l’amélioration de leurs conditions d’existence, œuvrent à l’instauration d’une société sociale et égalitaire, elles sont aussitôt taxées d’être à la solde de pays étrangers. D’être manipulées par des forces obscures. Etrangement, on n’accuse jamais la main invisible étrangère d’être responsable de l’habituelle résignation de ces mêmes masses. De leur longue soumission. De leur effacement de l’histoire. On applaudit même leur résignation, leur soumission. Signes de leur ferveur nationaliste. De leur fidélité au pouvoir dominant.

Tant qu’elles demeurent silencieuses, oublieuses de leurs droits, les masses laborieuses sont acclamées. Dès lors qu’elles se réveillent de leur léthargie pour se lancer dans une synergie de luttes collectives, ces masses deviennent objet de calomnies. Elles sont couvertes d’ignominies.

L’Iran vient de nous offrir le dernier exemple sur le traitement différentiel de l’actualité saisie de manière policière par certains médias. Les prolétaires iraniens sont descendus spontanément dans la rue le 28 décembre pour dénoncer la cherté de la vie. Aussitôt ils ont dû affronter la répression policière, les milices religieuses. Au cours de leurs manifestations, ils ont fustigé la corruption, le mépris du gouvernement du mollah Hassan Rohani. Comme l’insubordination a été cette fois vraiment politique, des femmes iraniennes se sont engouffrées dans la brèche pour revendiquer également la liberté d’ôter le voile religieux imposé policièrement. Ce voile qui mutile leur personnalité. Ce voile qu’elles doivent porter comme l’étoile de David imposée aux juifs au cours des siècles, pour leur signifier leur singularité humaine, leur incongruité personnelle, leur infériorité sociale.

Ces manifestations de protestation diffèrent du mouvement de 2009, limité de lui-même à la protestation contre la tricherie électorale. Et il a pu être liquidé finalement parce qu’il opposait deux factions bourgeoises : dictateurs religieux contre bourgeois libéraux. Cette fois-ci, les causes sont plus «prolétariennes». La protestation est partie surtout des villes de province, comme en Russie en 1917. On oublie que les révolutions commencent loin de la centralisation étatique ; les capitales sont en général très embourgeoisées.

En outre, il est un autre signe frappant, inquiétant pour l’ordre «mollahrchique», que la presse occidentale n’a pas manqué de relayer : tout le monde déplore l’absence de «dirigeant» ou même de «leader» dans cette masse qui s’attaque violemment aux institutions de l’Etat. Cette révolte aussi soudaine qu’inattendue inquiète toutes les chancelleries du monde capitaliste, tous les oligarques et despotes de la planète. Voilà que la misère sociale se pointe, sans craindre les balles – une vingtaine de tués déjà – ni les emprisonnements par centaines. Ce ne sont plus les étudiants, mais bien la classe ouvrière qui entre dans le combat.

Contrairement aux informations diffusées par de nombreux médias, on ne peut pas soutenir que la cause est due à la seule «corruption» du régime – laquelle est réelle – 40 000 soudards dits «Gardiens de la Révolution» (bigote et spoliatrice des travailleurs) s’engraissent sur 80 millions d’habitants. En cause, l’état de guerre permanent auquel est soumis le pays, qui inclut le long embargo américain.

Une nouvelle manipulation de la CIA comme lors des «printemps arabes» est aussi franchement exclue, à moins qu’on considère la misère comme fruit vénal d’un complot. Les mêmes mesures de répression qu’en 2009 sont de retour, mais on va s’apercevoir qu’elles jettent de l’huile sur le feu, car l’Iran est au carrefour du jeu terrible des impérialismes et de l’indignation de l’immense prolétariat de la région, avec de plus l’étiolement de Daech, qui était la créature de plusieurs Etats de la région. Aujourd’hui, les enjeux de généralisation de la lutte sont autrement plus prégnants et avec des prolétaires en première ligne qui en ont marre des religieux et n’ont plus du tout envie de se mettre à genoux.

L’Arabie Saoudite semble avoir prévu les mouvements de protestation en coupant l’herbe sous le pied des potentiels protestataires. Contrairement à leurs homologues iraniens, les dictateurs saoudiens semblent bien avoir anticipé le mouvement de fond qui gronde dans les tréfonds de ces sociétés encasernées par les vieux carcans religieux. Même avec timidité, le régime saoudien a lancé la «révolution» du permis de conduire pour les femmes, sans oublier d’autres réformes en vue.

Les jours de la «mollahrchie» chiite iranienne et des monarchies sunnites des pays du Golfe sont comptés. Rien n’est impossible. Avec l’oppression islamique qui vole en éclats et l’étiolement de Daech, les populations laborieuses réclament la fin de la disette et le début de la séparation de la religion de l’Etat. Tout est possible. En octobre 1917 en Russie, des prolétaires moins nombreux suivis par des millions de paysans analphabètes ont bien réussi à déboulonner l’aristocratie capitaliste corrompue.

Ainsi, pour minimiser l’ampleur de la révolte sociale en Iran et dénaturer sa nature de classe, on n’hésite pas, par paresse intellectuelle ou par accointances politiques avec les puissants, à confectionner des théories du complot pour discréditer ce mouvement de protestation sociale. Les uns y voient la main invisible de l’étranger. D’autres, internes à l’Iran, un complot d’une faction bourgeoise. En effet, certains affirment que les manifestations auraient été initiées en sous-main par les conservateurs qui contestent la politique libérale du président Hassan Rohani.

Quoi qu’il en soit, le peuple iranien relève la tête. Et sa frange la plus opprimée, la femme, ne va pas tarder d’ôter cet obscur voile de sa tête. Bientôt, après avoir éliminé du pouvoir ces têtes enturbannées, ces nouveaux hommes et femmes iraniens trôneront fièrement à la tête d’un pays moderne, débarrassé de tous les dictateurs, oppresseurs, exploiteurs.

M. K.

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