Grèves, marches, mesures économiques contestées : le Makhzen face au marasme social
La situation socioéconomique au Maroc se complique davantage avec l’entame d’une série d’actions de protestation quotidiennes ponctuées par des débrayages généraux, notamment dans la région de Jerada (nord), à l’heure où des mesures économiques controversées entrent en vigueur, ce qui n’est pas sans conséquences sur le pouvoir d’achat des populations.
Enclenché il y a environ quatre semaines, suite à la mort dramatique de deux frères ouvriers dans une mine de charbon, le Hirak de Jerada ne faiblit pas. Lundi, une marche y a été observée, à l’issue de laquelle les organisateurs, selon des médias marocains, ont tracé un programme d’actions de protestation quotidiennes. Celles-ci se déclinent sous diverses formes, marche silencieuse prévue mardi, une autre en direction de la cité Hassi-Belal pour mercredi, grève générale dans la ville le vendredi et une marche dans l’ensemble de la région de Jerada samedi prochain. Le jeudi, ce seront les quartiers qui prennent le relais, où sont prévus des débats.
Les habitants sont désormais déterminés à continuer leur mobilisation. Leurs attentes : trouver une alternative économique à l’exploitation des puits d’extraction de charbon dans la ville de Jerada, dont la population, estimée à 43 000 habitants, souffre du chômage à hauteur de 39%. Des revendications qui ne datent pas d’aujourd’hui, puisque déjà en 2012, le roi Mohammed VI avait lancé une série de projets structurants destinés, entre autres, à améliorer les conditions de vie des citoyens. Il est principalement question de la zone d’activités économiques qui devait créer près de 540 postes d’emploi direct. Mais selon les acteurs associatifs locaux, ce quartier industriel n’a pas eu d’impact permettant de créer une véritable dynamique économique.
Dans le même sens, lors d’une récente visite d’Aziz Rabbah, ministre des Energies et des Mines, à Jerada, un ancien médecin avait poussé un véritable cri de colère quant à l’évolution du projet qui n’a pas atteint les objectifs escomptés. Ce sont là autant d’attentes qui datent de plusieurs décennies, depuis la fermeture de la mine de la ville en 1998.
«Libéralisation du dirham», mises en garde contre un éventuel impact sur les populations
Le président du Conseil de la région Tanger-Tétouan, Elyas Elamari, qui a mis en garde contre les conséquences de la «libéralisation du dirham» (monnaie marocaine) sur le pouvoir d’achat des populations, a tenté de faire le parallèle entre l’impact de cette mesure économique contestée et les causes des «émeutes du pain» d’il y a près de 37 ans. Le 20 juin 1981, la Confédération démocratique du travail marocaine (CDT) et des partis d’opposition avaient appelé à une grève générale qui dégénère en émeutes à Oujda, Berkane et Nador, mais surtout à Casablanca. Des centaines de jeunes perdent la vie suite à une répression des forces de l’ordre.
Les marches de protestation avaient pour but la dénonciation des réductions des subventions et l’augmentation brutale des prix des denrées alimentaires de première nécessité. M. Elamari a ajouté, à ce titre, que les mouvements de protestation que connaissent actuellement de nombreuses régions du Maroc requièrent des mesures nécessaires à même de prévenir une «escalade sociale», appelant à faire en sorte de «prémunir» le pouvoir d’achat des citoyens, notamment les franges défavorisées, et surtout «d’expliquer et vulgariser» ce que cette mesure – «système de flexibilisation du dirham» – implique comme impact direct sur le citoyen marocain.
Le Maroc, qui est fortement «dépendant des importations de carburant, de produits alimentaires, de biens et d’équipement», sera contraint d’acheter plus cher en cas de dévaluation, d’après certains analystes. S’agissant des conséquences sur le pouvoir d’achat des Marocains, la chute de la valeur du dirham devrait entraîner «une perte variable du pouvoir d’achat». «La majeure partie de la population a de petits salaires, des petites retraites ou est au chômage. Et comme ces gens ne peuvent pas augmenter leurs revenus, pire, leurs revenus baissent, ils font l’impasse sur plusieurs services pourtant nécessaires : ils vont moins chez le médecin et se soignent moins bien. Cela a donc des répercussions sur leur santé», explique-t-on.
Travail de forçat des femmes-mulets, un signal fort du marasme social
Au premier jour de la «libéralisation» du dirham, le travail de forçat des femmes porteuses, appelées péjorativement femmes-mulets au Maroc, a fait deux nouvelles victimes. Deux cas de décès suite à une bousculade au passage de Tarajal, à Sebta. Hormis les communiqués des autorités de part et d’autre, aucune réaction ni mesure préventive. Depuis 2009, l’on se contente, selon des médias locaux, de faire le décompte des femmes mortes. Cette fois-ci encore, une enquête a été ouverte par les autorités compétentes sous la supervision du parquet pour connaître les causes de cet incident mortel, comme le souligne un communiqué des autorités de Mdiq-Fnidaq.
En effet, des dizaines de milliers de personnes, généralement des femmes, traversent quotidiennement le poste frontalier de Sebta dans des conditions assez dangereuses. En plus de lourdes quantités de marchandises transportées, les itinéraires empruntés sont très difficiles. Les marchandises sont destinées à faire fonctionner un commerce frontalier «juteux» dont les bénéfices reviennent à des contrebandiers locaux, selon les médias marocains. L’année dernière, cinq femmes ont trouvé la mort dans des conditions similaires. Les autorités marocaines avaient promis d’ouvrir une enquête à ce sujet, mais sans suite jusqu’à présent.
R. I.
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