Archéologie, management de l’histoire et effacement de l’autre au service de la domination postcoloniale (II)

Architecture République
Sarkozy, Hollande et Macron. D. R.

Par S. Bensmaïl – Aujourd’hui, dans une Ve République finissante sous un effondrement du champ politique (et une absence de projet national fédérateur) et son extension (substitution ?) via ses projets néocoloniaux (militaires, diplomatiques et économiques) en Afrique et ailleurs, cette mythologie a été réactualisée depuis N. Sarkozy. Elle s’appuie à nouveau sur le même diptyque à l’œuvre depuis plus de deux siècles. Consécration des «droits de l’Homme» (et son pendant, le «devoir d’ingérence») et nouveau dogme religieux ayant remplacé Dieu par une conception révolutionnaire (et utopique) de l’homme – appuyé sur une science préparant au post-humanisme –, celui-ci constitue toujours l’un des moteurs des rapports qu’entretient la France à l’égard des autres nations, en particulier dans sa zone d’influence.

Des efforts commencent, cependant, à se faire collectivement au sujet de l’influence des mythologies et des idéologies – pas seulement fascistes, comme il est coutume de le voir – dans la construction du savoir scientifique, en particulier archéologique. Dans la conscience d’un danger menaçant, à la fois sur le sort des culturelles matérielles historiques et la prise de contrôle des sociétés par des systèmes oligarchiques, voire à terme néo-totalitaires, des journées d’études consacrées directement à «l’instrumentalisation de l’archéologie et (au) pillage», par exemple, ont également lieu ces dernières années. Comme le précise Jean-Pierre Payot dans La guerre des ruines. Archéologie et géopolitique : «Instrumentaliser cette discipline afin d’affirmer une domination ou un contrôle sur un territoire, tel a été, reste, et sans doute, sera encore l’objectif de bien des dictateurs ou groupes dépourvus d’arguments d’autres natures pour arriver à des fins similaires. L’instrumentalisation peut, d’ailleurs, prendre plusieurs formes. Il n’est pas rare que la science archéologique soit elle-même directement manipulée dans un sens conforme aux intérêts géopolitiques de ceux qui en tirent les ficelles.»

Dans ces va-et-vient occultés entre la science – pas uniquement archéologique – mise en scène et l’idéologie en représentation, afin de retrouver ou non d’éventuelles contaminations idéologiques, il serait donc intéressant de ré-interroger l’archéologie française – comme institution nationale et pratique d’Etat ; ou tout au moins, d’analyser, à l’aune de cette problématique souvent écartée du champ académique, son savoir disciplinaire et ses discours contemporains à l’œuvre, notamment à l’international.

Dans une visée avant tout éthique et critique, à l’heure où des mouvements d’ampleur tellurique – et potentiellement catastrophiques – sont en cours sur le plan géopolitique et où la science, la technique et le passé sont régulièrement (et de plus en plus) mobilisés comme outils d’action et de légitimation de chacune des puissances mondiales ou régionales, il est, en effet, opportun d’interroger les archéologies nationales – et avec elles les constructions du savoir historique.

Dans ce vaste désenchantement du monde dont nous parle encore Slobodan Despot, obéissant à la double injonction scientifique et idéologique et étant d’origine occidentale, la science archéologique apparaît aujourd’hui piégée dans l’une des plus grandes contradictions induites par cette vision managériale et démiurgique qui s’étend. En effet, dans l’accélération de «l’Empire du management», «le cœur du projet occidental (…) est la reprise en mains de la destinée de l’homme et de sa planète par une élite humaine et l’élimination de tout paramètre transcendant, ou aléatoire, dans ce qui fait notre existence et notre avenir», soit la «passion du nivellement et de l’annihilation des particularismes au profit d’une vision scientifique et standardisée de l’être humain».

Comment dès lors, avec cette vision occidentale du monde, l’archéologie peut-elle résister au grand effort – porté par le capitalisme aujourd’hui sous la forme de l’ultralibéralisme et d’autres – d’élimination du divers et de l’autre ? «L’Occident est partout où la conscience devient majeure», note Raymond Abellio, et il précise que l’Occident, ce n’est pas une notion géographique, mais plutôt un état de maturation ou de surmaturation intellectuelle et spirituelle. L’Occident est le lieu de la conscience absolue, auprès de laquelle les croyances, les coutumes, les mythes, les fées et l’ensemble des jeux d’ombres et de mystères qui constituent l’enchantement du monde ne pèsent plus rien. Il est la négation, d’une certaine manière, de tout l’héritage humain, l’effacement de son propre terreau.»

C’est précisément, nous rappelle l’écrivain serbe, pour faire face à cette chute de l’Homme – cette rationalisation du mythe, du magique et du sacré – que Leontiev défendit les Ottomans contre la Russie, ayant compris qu’après la destruction des derniers anciens empires réunissant un assemblage d’histoires et de récits sous un système de pensée essentiellement symbolique, arrivera l’ère du supra ou du post-humain : «(…) Tout en étant un traditionaliste russe orthodoxe, (il) défendait au XIXe siècle l’Empire ottoman contre les idées de son propre pays, parce que cet empire représentait encore une réelle diversité, une réelle altérité dans un monde de plus en plus unifié. Il incarnait encore la pensée hiératique contre la pensée utilitaire et une idée de continuité historique face au transformisme permanent.»

Contribution à la revitalisation salutaire du terreau humain, lié à ses mystères et à sa transcendance, ou contrôle jusqu’à la stérilisation de ce terreau ? Dans ce contexte de péril sur l’humanité et ces savoirs, immenses et multiples, de conflit existentiel déjà amorcé entre deux visions du monde radicalement opposées, l’archéologie contemporaine devra choisir – en France et en Algérie, mais aussi hors de ce couple plus qu’historique.

Ce choix ne peut se faire sans une réflexion critique sur l’archéologie coloniale et l’étude précise de ses moteurs – visibles et non visibles – idéologiques et épistémologiques. Perception homogène ou plurielle du passé autre ? Articulation ou décalage entre archéologie et ethnologie (avec l’appui d’autres disciplines naissantes, telle la géographie coloniale) ? Usage ou remise en cause postcoloniale du savoir archéologique colonial ? Statut de ruine et du vestige ? Elaboration de mythes de fondation et réception/appropriation ou non de cette mythologie par la société autochtone ? Construction de modèles normatifs de connaissance liés au projet de domination colonial ou distorsions ? Elimination de données jugées inacceptables ou credo de la preuve et de la qualité de la démarche scientifique ? Objectivité, transparence et accessibilité ou mise en conformité et auto-référencement ?

Ces interrogations sont quelques-unes des pistes qui pourront servir à réévaluer cette discipline coloniale, afin de mieux réfléchir sur l’archéologie contemporaine, ses pièges d’instrumentalisation et son enjeu vital qui touche à l’identité nationale – comme noyau résistant à cette «désorganisation délibérée des peuples» qui a cours toujours sous l’égide de l’humanitaire et du bien, et de la nouvelle religion du progrès et de la démocratie.

S. B.
(Suite et fin)

Commentaires

    Anonyme
    6 février 2018 - 16 h 54 min

    Alors je veux embrouiller personne, moi je ne suis rien et je n’ai rien et c’est bien mais là je viens sur algeriepatriotique et je tombe sur dette photo et là je me dis tiens la communauté….mais c’est pas celle de l’anneau nan eux c’est plutôt le côté obscur de la force.

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