Malentendus conscients

Etats-Unis guerre commerce
Donald Trump. D. R.

Par Mustapha Baba-Ahmed – Le feuilleton américano-nord-coréen fait concurrence médiatique à la guerre commerciale que Trump a lancée contre les amis et contre les ennemis. La volonté manifeste ici et là est de faire exhibition de la puissance de l’Amérique, qui a mis l’Europe au défi de se soustraire (avec ses entreprises) à l’extraterritorialité qu’elle subit jusqu’ici. Le cas iranien risque de passer par pertes et profits dans le festival d’agressivité orchestré par le pays de l’Oncle Sam. A travers l’Iran, Trump s’attaque au monde musulman que ne représente pas la monarchie qui gère les lieux saints de l’islam et qui se soumet gracieusement.

Le dossier des puissances nucléaire et balistique dont s’est dotée la Corée du Nord connaîtra probablement des suites orageuses dans les prochaines étapes. Trump ne se trompe-t-il pas de calculs en considérant pour acquis que le pays de Kim Jong-un renoncera sans coup férir à la raison d’être de la dynastie Kim au pouvoir depuis 1945 ? Le Président actuel comptera avec la décision de Trump de déchirer l’accord signé en 2015 par l’Iran avec les «cinq». Il ne se défera à aucun prix de la garantie que procure l’arsenal nucléaire : il serait à découvert et risquerait, alors, de connaître le sort fatal d’autres Présidents.

Trump n’a pas bien géré le timing. Ses velléités butteront sur la détermination de la Chine et de la Russie, qui ont des frontières avec la Corée du Nord. La Russie est moins préoccupée que la Chine par les problèmes économiques dans son rapport de forces avec l’Amérique.

Celle-ci joue son va-tout sur le plan des échanges commerciaux : l’Europe sera fortement incitée à contribuer à la dédollarisation, activée par la Chine et la Russie. Non seulement, la zone euro réduira ses échanges avec l’Amérique, mais elle fera commerce avec sa monnaie et d’autres devises que le dollar. La réduction autoritaire des importations ne permettra pas toujours de stimuler l’emploi local : des entreprises étrangères risquent de délocaliser leurs activités en cas de guerre commerciale et pour échapper à l’arme de l’extraterritorialité.

Le déséquilibre de la balance commerciale américaine des biens ne date pas de la venue de Trump, mais de 1976 : le total des déficits de 1969 à 2016 atteint 14 354 milliards de dollars, dont 10 406 milliards depuis 2010 ! Cela veut dire qu’il s’est accéléré depuis la dernière crise.

Les déficits américains du commerce de biens sont le résultat du déclassement du capital industriel, qui a fait la grandeur de l’Amérique, par le capitalisme financier : le néomonétarisme, qui a reçu l’onction de Roland Reagan et de Margaret Thatcher, se fonde sur la maximisation des profits du capital ; pour cela, il faut délocaliser les activités manufacturières vers les pays aux coûts de main d’œuvre les plus bas. La Chine s’engouffre dans la brèche et devient l’usine du monde. Trump semble oublier que le processus était parrainé par deux grands économistes américains : Milton Friedman et Paul Samuelson (avec sa théorie de destruction créatrice). On ne peut avoir le beurre et son argent. L’Amérique a, alors, opté pour la dérégulation et la financiarisation de l’économie ; l’appétit des acteurs a dévoyé même la théorie de Friedman.

L’isolationnisme de Trump détournera tous les partenaires importants du commerce avec l’Amérique. Or, paradoxalement, le déficit des échanges américains avec le reste du monde alimente la puissance du dollar : les dollars acquis par les exportateurs de produits et services aux USA (déduction faite des revenus nets de facteurs) sont recyclés, entre autres, en bons du Trésor américain. L’activisme de Trump tarira la source au moment où le déficit budgétaire de l’Etat fédéral explose, par la réforme fiscale introduite. L’Amérique connaîtra des difficultés pour le financement de sa dette. La Réserve fédérale pourra-t-elle, alors, réduire le niveau de l’assouplissement quantitatif de sa politique monétaire comme elle l’a annoncé ?

Les difficultés qui s’amoncellent semblent pousser le gouvernement américain à exacerber les tensions tous azimuts en soufflant sur la braise. La guerre serait-elle envisagée comme moyen de remettre le puzzle en ordre au profit du pays de l’Oncle Sam ?

M. B.-A.

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