Inquisition
Par Akram Chorfi – Dans l’Algérie profonde, là où les populations sont restées en décalage par rapport à une certaine modernité urbaine, les actes et les comportements de la foule, parfois mue par des frustrations cumulées, telles que le chômage, la mal-vie, la misère sexuelle, etc. sont de véritables actes inquisitoriaux.
Toutes les frustrations, ainsi conjuguées à un mode de vie plat comme un trottoir et une façon de penser commune à tous les habitants de la région, produisent fatalement une hostilité violente à tout ce qui vient bouleverser cette vie sans aspérité, où la jeunesse, sédentarisée par des «universités à domicile», ne peut plus s’évader de l’oppression familiale et sociale, en allant à la découverte d’autres expériences humaines.
Avant d’être les acteurs de cette inquisition, ces jeunes en sont d’abord les premières victimes car forcés, dès leur jeune âge, à vivre, plus qu’ailleurs, sous le joug d’une société où les interdits structurent la vie quotidienne et les relations humaines.
Toute cette énergie libidinale contenue, déroutée, mal investie, incapable de se transférer – du fait de sa faible portée sociale – vers le champ du savoir ou, à tout le moins, vers le domaine artistique frappé à son tour par les fetwas qui diabolisent toute pratique créatrice et créative, est fatalement déversée, sous sa forme exaltée, dans la ferveur religieuse et le zèle moralisateur.
L’Etat et ses institutions ont souvent été complices ou complaisants vis-à-vis d’une certaine forme d’inquisition sociale, en n’essayant pas d’imposer un mode de vie républicain qui libère les individus du carcan communautaire, maintenant des villes de l’Algérie profonde sous le statut de grands villages dont les habitants se guettent, se jaugent et se jugent à chaque instant.
Dans certaines villes et wilayas, des communautés demeurent encore sous le régime tribal, réfléchissant comme un seul, votant comme un seul, vénérant les mêmes walis, reconnaissant les mêmes personnalités historiques, ruant, à l’unisson, dans les mêmes batailles, sans qu’il y ait, entre tous, un lien de rationalité qui justifie ce ralliement irréfléchi, sinon, peut-être, un gourou, par trop vénéré, qui empêche la citoyenneté d’advenir dans ces contrées et la modernité.
A. C.
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