La France de Macron sur un volcan

Macron Gilets jeunes
Emmanuel Macron en voie de subir le même sort que Louis XVI ? D. R.

Par Dr Arab Kennouche – La reculade spectaculaire du président français Emmanuel Macron face aux revendications des Gilets jaunes, mouvement de contestation nationale contre la misère sociale galopante en France, fera certainement date dans l’histoire de la Ve République.

Si l’on a reproché au président en exercice une trop grande proximité avec les milieux financiers, de qui il reçut en partie l’extrême onction pour diriger l’Elysée, on a sans doute trop rapidement occulté une tendance de fond de la politique française essentiellement anti-démocratique et qui vise à penser pour le peuple au lieu de le laisser penser. Ce principe s’exécuta à la perfection lors de l’épisode du fameux Traité de Lisbonne, rejeté par les Français lors d’un référendum, mais qui fut remis en selle par les puissances de l’argent de l’époque et leurs affidés politiques, essentiellement Nicolas Sarkozy, alors unique représentant d’une droite libérale antigaulienne et antisociale.

De Sarkozy à Macron, le trait est donc tiré dans une France désormais coupée en deux, celle des riches et celles des pauvres. Dans le plus pur style du capitalisme sauvage des Américains et de leur ruée vers l’or à la fin du XIXe siècle, ou des libéraux-conservateurs britanniques épris de thatchérisme qui, dans les années 1980, dérégulèrent l’économie mondiale en vertu d’un principe fallacieux de libre-marché, la France pourtant forte d’une tradition sociale sinon socialiste, signa le pacte d’une Union européenne foncièrement libérale, remettant définitivement en cause son modèle d’équilibre.

En décembre 2018, les Français ne supportent plus la destruction programmée de leurs acquis sociaux et le font savoir par de violentes manifestations, signes d’un peuple à bout de ses souffrances.

Comment donc analyser la reculade de Macron devant le spectre d’un désordre généralisé ? Reculer pour mieux sauter ? Cette fois-ci, rien n’est acquis, car il semble que l’exécutif français a bel et bien touché un nerf sensible et que les lésions sont irrémédiables. En rognant le pouvoir d’achat des Français d’une façon constante depuis des décennies, les gouvernements successifs de gauche comme de droite ont fini par tendre une corde au peuple qui n’a désormais d’autre moyen que l’usage de la violence pour se faire entendre.

La France de Macron résulte de décennies d’incurie politique, notamment dans la question essentielle du chômage de masse et de son corolaire l’inaccessibilité au logement. Deux talons d’Achille qui, pour la plupart des Français, ne sont pas de simples concepts creux de l’économie, mais des réalités de la vie quotidienne. Alors qu’on parle d’Europe moderne, sociale, démocratique, tournée vers le XXIe siècle, la société française fait face à un phénomène de paupérisation massive, voire de tiers-mondisation de larges portions de son territoire. La République du fric en marche de Macron tourne le dos à celle sans fric qui chaque jour descend aux enfers.

Lorsque Nicolas Sarkozy s’égosillait à clamer qu’en travaillant plus, on pouvait gagner plus, afin de justifier l’implantation du libéralisme pur et dur en France, il avait réussi à faire croire aux Français de la base que, désormais, tout le monde pouvait s’enrichir, tout un chacun de par son seul labeur. La France des «sans-dents», celle de ceux qui pourraient se tailler un costard à force de travail se réveille désormais de sa longue léthargie découvrant qu’il existe bien deux classes antagonistes dans la société, les exploités et les exploitants, n’en déplaise aux antimarxistes, qui pour un volume équivalent de travail ne perçoivent pas les mêmes revenus.

La rhétorique du «yes you can!» venu tout droit de la nouvelle droite américaine néoconservatrice, était donc parvenue aux oreilles des Français dans les années folles du sarkozysme, aujourd’hui tournées en macronisme, jusqu’à ce que de simples Gilets jaunes en démontrent la supercherie. Macron se retrouve désormais seul face à un peuple usé par des années de chômage massif, de logement précarisé et désormais d’euro cher et de migrants toujours plus nombreux à vouloir s’accommoder des restes d’une nation écervelée. Les républicains antimonarchistes, ceux qui guillotinèrent le roi Louis XVI pour son mépris du peuple, se retrouvent à quelque deux siècles d’intervalle, devant le même dilemme de la disette des uns et de la grâce divine et financière des autres : jusqu’où peut-on pousser le peuple, le retrancher à une misère rationnellement acceptable pour lui-même et pour les plus nantis ?

Macron, ce nouveau monarque, commettra-t-il la même erreur que l’ancien, de mal jauger la patience et les limites de la souffrance d’une nation à bout ? Une chose est certaine, le viol de la conscience populaire depuis Maastricht et Lisbonne, contre les principes de la souveraineté populaire chère à Rousseau, vient de connaître ses premiers contrecoups par ses manifestations violentes de jeunes Français qui n’en peuvent plus. Vigueur d’un peuple longtemps rebelle mais taciturne, rien ne prédit une fin heureuse à ces événements qui chaque année s’aggravent autant que les politiques restent insensibles à la misère réelle des couches populaires. La reculade de Macron prouve à l’envi qu’ils avaient raison depuis fort longtemps de manifester leur colère mais, aussi, qu’aucun des gouvernements en place depuis une bonne trentaine d’années n’a su ou voulu inverser cette marche forcée vers la misère.

Quoi qu’il en soit, la messe semble dite quant à ceux qui croient encore à l’implantation d’un modèle d’économie ultralibérale en France sans en payer le prix fort. D’évidence, la reculade de Macron montre que la France officielle ne peut plus se permettre de titiller son peuple et que le pouvoir comprend désormais bien le sens fatidique d’une libéralisation à outrance de son économie au détriment de pans entiers de la société. Le spectre de profonds désordres sociaux est nécessairement en ligne de mire, dans une France déjà largement dépassée par une politique étrangère hasardeuse, interventionniste et génératrice de problèmes économiques au sein même de la société. Mais est-il déjà trop tard ?

Oui, d’une certaine manière. Tant d’années à tirer sur une corde pourtant bien tendue n’augure rien de bon pour l’avenir. La France est condamnée à changer de cap et même à faire marche arrière. Mais les chantiers sont si vastes et le cours du temps si réduit que sa marge de manœuvre ne plaide pas en faveur d’un rétablissement des équilibres sociaux. Macron est certainement condamné à gérer une phase de transition dans laquelle un virage à gauche devient plus que nécessaire au risque de condamner le pays à l’incurie sécuritaire. Le retour d’une gauche sociale au pouvoir, qu’elle émane des républicains ou des socialistes, serait le signe d’un rétablissement de la confiance du peuple qui ne se reconnaît plus dans le micmac idéologique concocté par des banquiers «socialistes», entre social-démocratie à l’européenne et démocratisme libéral à l’américaine.

Enfin, et c’est peut-être un point important, Macron autant que tout le camp idéologique qu’il représente, se doit désormais de choisir entre une véritable économie de partage et de redistribution ou une économie de surexploitation des travailleurs qui, elle, a conduit à la situation actuelle.

A. K.

Comment (5)

    Alfa
    9 décembre 2018 - 19 h 25 min

    On va bientôt assister à la déconfiture de la 5eme république pour entrer de plein fouet vers la 6eme RIPOUX-BLIQUE et les éclaboussures de ce mécontentement populaire, voulu par la haute sphère au pouvoir, pourrait contaminer certains pays comme le notre qui est assis sur un vieux volcan éteint à jamais.

    lhadi
    9 décembre 2018 - 13 h 48 min

    Les espoirs de changements soulevés par l’élection de ce jeune président ont laissé place chez les Français à une incompréhension croissante de la politique mise en place et à une déception de plus en plus confirmée par les sondages. Faute sans doute qu’il n’a pas su en expliquer la raison et la nécessité, la politique de rigueur est apparue comme la négation voir le reniement de ses promesses de campagne.

    Les Français attendent de leurs gouvernants des résultats immédiats, mais ils n’aiment pas être bousculés. C’est une donnée contradictoire de leur caractère national dont ce jeune président inexpérimenté n’a pas su tenir compte.

    Fraternellement lhadi
    ([email protected])

    Mon opinion a moi
    9 décembre 2018 - 8 h 37 min

    Salam! Les hommes passent mais les système durent ,les fusibles pètes et les disjoncteurs c’ est pour quand? en France ou ailleurs!!

    Anonyme
    9 décembre 2018 - 8 h 33 min

    Vivement la réactivation de la conciergerie pour réinstaurer la modération à la place de l’extrémisme sioniste qui s’est emparé du pouvoir en france et au USA.

    Anonyme
    9 décembre 2018 - 8 h 29 min

    Il n’a pas l’étoffe d’un homme d’état, personne ne lui a dit encore. Il est ridicule avec ses affects empruntés et surjoués. Il n’a pas saisi qu’on est pris entre la surprise, le doute, le rire et le dégoût devant autant de cinéma. Il a appris à jouer au théâtre, mais à force de jouer n’importe quel acteur se brûle les doigts. Il est dans son monde, complètement déconnecté. C’est peut-être une bonne chose qu’il soit président, car à force de ridiculiser son pays par ses crises d’hystérie, ses harangues et son bagout qui ne trompe personne, les autres nations comprendront que derrière l’appel d’offre du prestige hexagonal (en gros être bien vu par les autres pour faire ce qu’on veut en douce…), il y a de l’arrogance et ses innombrables dégâts. Enfin l’épreuve de modestie et d’humilité pourrait bien commencer pour le bien de toutes les populations ayant souffert de leurs intrusions criminelles. Macron ? Un président infantile.

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