Contribution – candidature de Ghediri : un vent d’espoir souffle sur l’Algérie
Par Dr Arab Kennouche – L’annonce de la candidature d’Ali Ghediri à la présidentielle de 2019 juste après la convocation du corps électoral vendredi 18 janvier 2019 par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, fera date dans l’histoire de la longue magistrature du chef de l’Etat. En se portant candidat le premier, suite à de nombreux rappels à l’ordre de l’institution militaire qu’il aura servie plus de 40 ans, Ali Ghediri brise un tabou que très peu d’Algériens osèrent défier, celui de la remise en cause d’une présidence interminable et du droit de débattre librement d’un héritage économique et politique trop souvent érigé en fondement de la continuation de la doctrine bouteflikienne.
Le général Ghediri démontre ainsi par son acte de candidature que le droit à la parole, à la liberté de conscience, au droit de juger en toute liberté des réalisations d’un Président, quel qu’il soit, ne peut être soumis à une approbation finale d’une institution comme la présidence de la République, ultime détentrice de la liberté d’opinion, ou comme l’ANP, en vertu d’une obligation de réserve largement interprétée contre les droits fondamentaux du citoyen, militaire ou civil, inscrits dans la Constitution de 1996.
Car c’est cette même Constitution de 1996 qui a fondé le droit du président de la République à convoquer ultimement le corps électoral, et c’est sur le même droit à candidater que le général Ali Ghediri entre dans l’arène électorale pour se porter garant d’un véritable sursaut républicain cette-fois ci. Alors qu’il était presqu’acquis que le président de la République ne permettrait pas d’être défié en ses terres, celles du caractère indiscutable de son leadership, Ghediri prend le contre-pied de tous ceux qui, au nom d’une certaine fatalité savamment distillée dans l’opinion publique, pensèrent que les jeux étaient faits, conduisant le peuple algérien à un nouveau défaitisme ravageur. C’est peut-être la raison principale qu’il faut attribuer à cet acte ô ! combien crucial pour la suite à donner à cette élection, qui poussera les Algériennes et les Algériens à ne plus désespérer de l’avenir de leur famille, enfants ou proches.
Il fallait vraiment supporter l’innommable quand, pendant des années et depuis fort longtemps déjà, on entendit les sirènes du 5e mandat d’un homme en fin de parcours politique, usé, malade, comme des gifles humiliantes, harassantes, déconcertantes, avilissantes à l’encontre du peuple algérien forcé d’accepter l’inqualifiable. Alors que l’Algérie fut la nation phare de ce siècle qui s’éleva contre l’injustice coloniale, le mépris de ses droits les plus fondamentaux, elle redevint dans cette rengaine lancinante du 5e mandat ce corps inerte et sans vie, sans âme, abêti par 20 années de pouvoir sans concessions démocratiques. Une autre longue nuit, comme celle d’une vieille monarchie foncièrement antirépublicaine, mais qui se pare de l’apparat démocratique, comme le démontre la convocation d’un corps électoral dévitalisé pour la circonstance, espérant ainsi gagner en légitimité.
Ali Ghediri, quel que soit le résultat de l’élection à venir du 18 avril 2019, aura été le pourfendeur d’une loi de l’omerta qui n’avait que trop duré en Algérie. En emboîtant le pas à nombre de candidats et par une manière franche et déterminée, le général à la retraite ébranle la «Power Structure» (la structure de pouvoir) de 20 années de règne de Bouteflika. Structure de pouvoir essentiellement basée sur le principe d’allégeance à une alliance présidentielle malsaine car fondée dans le non-droit. En appelant à un sursaut républicain, à la fondation d’une deuxième République, Ghediri pressent les dangers au-delà de la prochaine présidentielle de 2019, d’un affaiblissement et d’une déliquescence sans fin des institutions de l’Etat algérien perpétués par un énième mandat, jusqu’à montrer du doigt la pente descendante dans laquelle nous nous trouvons déjà. Il rend espoir de ce fait à tout un peuple déboussolé par autant de luttes claniques qui naquirent d’un pouvoir sans partage et dont on a pensé trop vite qu’il se rangerait derrière l’effronterie. Bien plus, Ali Ghediri, par sa voix discordante, remet en selle le principe d’une alternative, d’une autre voie possible que celle de la violation de la souveraineté populaire, qui forcera certainement le clan présidentiel à une réaction rapide, mais sur quelles nouvelles bases ?
Tout d’abord, le grand perdant de cette déclaration de candidature semble être le chef d’état-major de l’ANP lui-même qui doit revoir sa copie sur le droit de parole. L’alliance de l’état-major et de la Présidence sera sérieusement endommagée quant à la liberté de critiquer et de s’opposer à une nouvelle candidature d’Abdelaziz Bouteflika, comme elle le laissait entendre par une loi de réserve militaire votée dans la précipitation. Sur ce sujet, il n’est guère probable que l’état-major se mette à sévir au risque de provoquer une nouvelle catastrophe morale dans la troupe et dans la société civile. Car il est aisé de comprendre dans la trame du discours de Ghediri qu’il n’en va pas de son ambition personnelle mais de l’existence de l’Etat algérien même. Surtout, Ghediri fait désormais office de concurrent sérieux, de par sa jeunesse, son éducation et son expérience militaire, à une candidature du Président dont l’état de santé hautement défavorable ne lui permet pas de concourir sérieusement contre lui. L’option d’un retrait du Président sortant fait office de meilleure solution pour l’alliance présidentielle qui est désormais obligée de s’aligner sur les critères imposés par Ghediri lui-même : la jeunesse, l’esprit républicain et démocratique et la volonté de rétablir le droit.
Autant de paramètres difficiles à repérer dans une alliance présidentielle sans aucun dénominateur commun idéologique – on y retrouve des ferments de nationalisme désuet, d’islamisme bon teint à vocation moderniste, de démocratisme de façade – autre que l’allégeance sans faille au fameux «programme du Président». L’archaïsme, la vétusté, la péremption du discours 5e mandat sont un talon d’Achille solide dans les mains des partisans d’un renouveau républicain, comme le souhaite Ali Ghediri. On se demande, en effet, comment l’actuelle Présidence pourra faire face à un discours novateur, foncièrement revivifiant, visant à tourner la page d’un Etat grabataire, voué à la chute finale.
Si Ali Ghediri arrive à fonder un véritable front pour la défense de la République en revenant vers le peuple, pour un nouveau contrat social qui mobilise toutes les tendances modernistes, légalistes, démocratiques de la société, sans renier les principes identitaires et religieux de notre nation, on se demande quelle opposition pourrait apporter le pouvoir actuel qui peine à accepter son état finissant. Que pourra Abdelaziz Bouteflika contre un raz-de-marée jeune, moderniste, républicain, déterminé à tourner la page d’une ère révolue de l’arbitraire politique, si cette page est rabattue avec un sentiment de justice et non dans un esprit vengeur?
Seule une voie de sortie honorable semble s’offrir désormais au Président en exercice.
A. K.
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