L’Algérie d’en bas ne veut plus être gouvernée par l’Algérie d’en haut

Algériens
Manifestation du 22 février à Alger. PPAgency

Par Houria Aït Kaci – Les imposantes manifestations de la «dignité» contre le «cinquième mandat de la honte» puis contre la prolongation du quatrième mandat, par des millions d’Algériens dans tout le pays, expriment le net rejet d’un nouveau bail pour le Président sortant Abdelaziz Bouteflika et le régime en place dont il est le symbole. Elles sont le signe que l’Algérie d’en bas ne veut plus être gouvernée par l’Algérie d’en haut. Cette rupture entre les gouvernants et les gouvernés n’est-elle pas le signe précurseur d’une situation prérévolutionnaire ?

La rue, l’espace par lequel le peuple est en train de se réapproprier son droit à la légitimité et à la souveraineté, s’est de nouveau mobilisé ce vendredi 15 mars pour dire non à la prolongation du quatrième mandat ou au maintien de Bouteflika sans élections. Celles-ci ont été annulées par la Présidence et le Conseil constitutionnel qui a acquiescé à ce «coup d’Etat constitutionnel» qui met entre parenthèses la Loi fondamentale, engageant le pays dans un nouveau saut dans l’inconnu.

La nouvelle manœuvre politicienne du régime qui devait permettre à Bouteflika de ne pas briguer un cinquième mandat, tout en restant au pouvoir mais sans élections, a été rejetée sans équivoque ce 15 mars par des millions d’Algériens sortis dans la rue. «Non à la prolongation du quatrième mandat et non au report des élections à travers une offre de transition dirigée par le pouvoir !», a répondu le peuple qui exige le départ de tout le système.

Les manifestants n’ont jamais demandé ni report des élections ni transition, comme le justifie le gouvernement pour expliquer son coup d’Etat constitutionnel, mais seulement l’annulation du cinquième mandat, le départ du régime et le changement démocratique. Ce sont des partis d’opposition qui ont revendiqué un tel report et une conférence de transition pour négocier avec le pouvoir en place une «transition douce», «consensuelle».

Pouvoir et opposition ont été pris de court par le mouvement populaire qui s’exprime à travers des manifestations de rue qui rappellent beaucoup, par leur ampleur et l’espoir suscité, les manifestations de l’indépendance de l’Algérie. La dynamique ainsi créée semble ne pas vouloir s’arrêter jusqu’à la satisfaction des revendications. C’est une lame de fond, un volcan qui se réveille après la terreur de la décennie noire et les 20 ans de règne sans partage de Bouteflika. La rupture semble être désormais consommée entre la rue et le Palais qui a voulu imposer la «continuité» du règne d’une présidence par procuration.

Le peuple a dit stop à cette mascarade et au système politique qui l’a engendré, un système «périmé», obsolète, un système autoritaire qui a autorisé de telles dérives, un système construit sur le cadavre des acquis démocratiques obtenus par les luttes successives du peuple algérien et remplacés par une démocratie de façade érigée comme alibi devant l’opinion internationale et au seul bénéfice du régime en place.

Aujourd’hui, le peuple est en train de se réapproprier sa légitimité et veut déconstruire ce système pour construire une nouvelle République, démocratique, populaire, moderne et un Etat indépendant de toute tutelle et de toute ingérence étrangère. Il veut le changement du personnel politique, le même qui est en place depuis des lustres, et passer le relais à la nouvelle génération sans rejeter les conseils de la génération de Djamila Bouhired et de Larbi Ben M’hidi qui a libéré le pays de l’occupation coloniale française.

Si le quatrième mandat est passé comme une lettre à la poste, même si les Algériens ne l’approuvaient pas et se le disaient entre eux, cette fois, la crise du système économique et social basé sur la redistribution de la rente en raison de la crise pétrolière, a contribué à provoquer un séisme au palais d’El-Mouradia. La «paix sociale» devenant plus difficile à acheter, l’argument de la «stabilité» n’étant plus convaincant pour un peuple qui avait peur surtout pour le pays. Le mur de la peur est ainsi tombé.

Depuis 2014, avec la crise pétrolière, le système rentier basé sur le clientélisme, le népotisme, la corruption, commençait à battre de l’aile, profitant surtout à quelques familles d’entrepreneurs devenus des oligarques. Les forces de l’argent ont fait irruption dans les affaires politiques, en finançant les campagnes électorales de Bouteflika (voir le soutien du FCE) moyennant de juteux marchés publics. Ces oligarques exerçant une influence sur le pouvoir politique et les centres de décision, finirent par former une «oligarchie de fait» qui a voulu, à travers un cinquième mandat pour un président «absent», s’emparer totalement du pouvoir par procuration.

Cette oligarchie de quelques centaines de familles de milliardaires et de nouveaux riches d’une bourgeoisie bureaucratique, étatique, des barons de l’import-import, de compradores liés aux multinationales, a renforcé sa position sociale grâce à un régime qui leur offre de nombreux avantages, tels les crédits sans intérêts, les marchés publics de gré à gré.

Le système de corruption généralisée, intégrée dans un système de gouvernance défaillant, privé de contrôle et de contre-pouvoirs, a été mis à nu dans plusieurs affaires de justice, comme celle de la cocaïne qui a défrayé la chronique cet été, éclaboussant de hauts dignitaires du régime. Symbolisant l’intrusion de l’argent sale dans la vie politique du pays, la «chkara» a fait son intrusion dans l’achat des postes de députés, de sénateurs, de magistrats, de juges. Tout se vend et tout s’achète dans cette République factice qui s’accommode d’une présidence à vie et d’une gouvernance par procuration comme dans une monarchie !

Cette minorité régnante – combien représente-t-elle par rapport à l’ensemble des 40 millions d’Algériens ? – qui gravite autour du Palais voudrait que cela dure éternellement. Aussi, a-t-elle voulu imposer sa volonté à la majorité des Algériens pour reconduire le président Bouteflika malgré son incapacité à diriger le pays, afin de continuer à piller le pays impunément. Ce à quoi a répondu la rue : «L’Algérie est une République pas une monarchie», «Le peuple ne veut ni de Saïd ni de Bouteflika».

Le peuple veut se réapproprier sa légitimité et demande une seconde République, un changement radical de tout le système politique qui l’a dépouillé de ses droits et l’a confiné dans un rôle de figurant, de sujets, tenus par la peur et le chantage. Même les droits sociaux (logement, subventions, emploi, etc.) ont été transformés en privilèges accordés selon le degré d’allégeance et de soumission.

Le peuple manifeste de façon pacifique, ordonnée, civilisée, donnant des leçons de maturité à ces gouvernants autoritaires, dédaigneux, arrogants, méprisants, qui croyaient l’avoir réduit à un «tube digestif» quémandant quelques subsides, oubliant que les Algériens sont très attachés à la justice et à la dignité.

Les intérêts de la minorité qui gouverne et ceux des couches populaires et des couches moyennes sont aux antipodes. Le divorce entre le peuple et le pouvoir est désormais consommé. Ne dit-on pas que lorsque les gens d’en bas ne veulent plus être gouvernés par ceux d’en haut et que les gens d’en haut ne peuvent plus gouverner, cela est le signe annonciateur d’un processus révolutionnaire ?

Ce processus qui se déroule sous nos yeux vise le départ du régime corrompu. Mais une fois cet objectif atteint, comment construire cette deuxième République à laquelle il appelle ? Il faut surtout empêcher que le mouvement populaire ne soit récupéré et sa trajectoire détournée, comme cela s’est fait par le passé. Diverses propositions sont émises sur les réseaux sociaux et la presse pour se doter de représentants. Est-ce nécessaire à cette étape du mouvement qui a besoin de protéger son autonomie jusqu’à la concrétisation de ses revendications?

Le plus urgent n’est pas que ce mouvement se structure ni comment, mais d’éviter un nouveau saut dans l’inconnu avec le vide constitutionnel. N’est-t-il pas alors plus urgent d’exiger le retour au scrutin électoral avec des élections démocratiques et transparentes ? Dans un régime démocratique, le peuple tire sa légitimité des urnes. Les institutions chargées du respect de la Constitution doivent rétablir ce droit sans trop tarder. Une fois élu, le nouveau président, tirant sa légitimité du peuple, aura toutes les prérogatives pour mener les réformes voulues par le peuple souverain.

H.A.-K.

(Journaliste)

Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.

Comment (15)

    A3ZRINE
    18 mars 2019 - 7 h 59 min

    J’estime que presque tout a été dit dans cet article, sauf le traitement d’un secteur , combien important, je veux parler de LA JUSTICE. Ce sentiment d’injustice cumulé depuis 88 à nos jours, a poussé tout le peuple à sortir. C’est un e urgence et une nécessité que de s’attaquer à ce secteur, il faut que le peuple se sente en sécurité, que son droit élémentaire soit garantie par un état si non on retombera dans les mêmes erreurs et on reviendra au point de départ.
    Je dirais parler de justice avant même de parler d’économie de croissances et de revenus pétroliers.

    Nourdine
    18 mars 2019 - 4 h 09 min

    HOMMAGE ET RESPECT A MES COMPATRIOTES :

    Je suis un pauvre pion
    Sur le damier de l’existence
    Tu es le roi
    Qui raccommode son habit
    Tu es la reine
    Qui tisse son remord
    Tu es le cavalier
    Qui chevauche son oubli
    Tu es la tour
    Qui fait le tour de sa taille
    Tu es le fou
    Qui courre les allées nues
    Je suis un pauvre pion
    Qui chante Algérie Mon Amour
    Aujourd’hui et demain
    Sur le damier des hommes libres.

    Mise en garde !
    18 mars 2019 - 0 h 15 min

    Tant que ce pouvoir est en place il faut JAMAIS déposer plainte contre un responsable au risque de vous retrouver condamné a de longues années de prisons même avec des preuves, tant que Louh et Belaiz sont là le danger sur la Nation sera permanent.

      NON NON ET NON
      18 mars 2019 - 8 h 44 min

      C’EST GRACE A CETTE PEUR QU’ILS ONT JUSTEMENT RÉGNÉ !!! LA PEUR VIENT DE CHANGER DE CAMP , AUJOURDHUI ILS SONT DES HORS LA LOI ET ANTI CONSTITUTIONNELS , IL YA LE TPI QUI LES ATTEND ET QUI GÈLERA LEURS BIENS EN DEHORS DE L’ALGERIE

    Juan Carlos de La Tragenta
    17 mars 2019 - 22 h 20 min

    Toutes les opinions ou sujets sont ouvert à débats ; Houria l auteur de cet article défini bien ce système et ce pouvoir qui a perduré , pkoi le peuple algerien est dehors alors ?

    Kaci
    17 mars 2019 - 22 h 19 min

    De quel vote s’agit il. Vous votez avec un corps social malade, vous tomberez dans le même piège. Quand on ne connait pas on divague. L’histoire est là pour nous donner des exemples de méthode. Si Boudiaf (Allah yerrahmou) avait mis en place un conseil national de la transition (CNT formé d’intellectuels du pays), d’autres pays ont mis place des périodes de transition pour passer d’un système à un autre). un intellectuel algérien exilé (du nom de Madjour Mohamed) vous clame à tout venant « l’armée doit assurer une période de transition » pour voir clair et dégager les lignes directrices d’une nouvelle république. Alors si vous voulez voter le 18 avril soyez sûr que le système actuel l’emportera avec toute son armada administrative que vous ne pourrez même pas contrôler lors des fraudes massives. Et Dieu est seul Savant.

    nectar
    17 mars 2019 - 21 h 32 min

    Voilà, une bonne analyse digne d’un journaliste, respectueux de sa personne et du métier qu’il exerce. La responsabilité de la muette est entière dans le règne de Bouteflika et je pense, elle est, la seule à pouvoir le déboulonner du siège qu’il occupe par effraction. Et, de remettre le destin de ce pays à son peuple, qui décidera dans l’intérêt sacré de l’ensemble des algériens, des futurs représentant élus, sans complaisance, seulement en tenant compte de leurs compétences et de leur honnêteté…

    icialG
    17 mars 2019 - 20 h 27 min

    C EST VRAIMENT VRAIMENT GENANT QUE CES TERMES « D EN BAS ET D EN HAUT » EXISTE CHEZ NOUS ÇA SYMBOLISE LES MAITRES ET LES SOUMIS ET POUR CETTE RAISON QUE LE BOUTEF SE CASSE SANS DÉLAIS SANS CONDITION ET SANS DISCUSSIONS IL COMMENCE SÉRIEUSEMENT A ME RESSORTIR PAR LES NARINES SAT IL QUE 40 MILLIONS D ALGÉRIENS LE VOMISSENT IL NE COMPREND PAS OU IL NE VEUT PAS COMPRENDRE ?,,,,,,,,,,,,,,,LA POUSSETTE CADEAU

    GPS
    17 mars 2019 - 20 h 09 min

    Non , depuis que le monde est monde، les peuples ont toujours été commandés « d’en-haut ».
    Le problème en Algérie, et depuis 1962, vient des pseudos Algériens qui nous viennent « d’à côté ». Et ça les Algériens n’en veulent plus

    Anonyme
    17 mars 2019 - 18 h 43 min

    L Armee doit agir par pression pour faire respecter la constitution et veiller a ce que les elections se deroulent comme prevues….

      icialG
      18 mars 2019 - 9 h 54 min

      JE suis d avis qu on aucun cas l armé ne doit intervenir dans la politique ce n est pas son rôle IL y a que dans les pays soumis plus ou moins a une dictature ou l armé s infiltre,comme c est cas chez nous,,,l armé ne doit intervenir que dans conflits armer extérieur ou intérieur, comme par exemple le terrorisme
      sinon toute cette manif n aurai servie a rien quant a la constitution c est l affaire du peuple dont l armé fait parti

    Felfel Har
    17 mars 2019 - 18 h 08 min

    Maintenant que le peuple à clairement exprimé ses doléances, il appartient aux « décideurs » d’en prendre note et de lui donner satisfaction. Nul n’a intérêt à prolonger cet état quasi-insurrectionnel.
    L’armée détient l’unique solution de ce blocage. Elle devrait faire amende honorable en intimant l’ordre aux indus-occupants d’El-Mouradia qu’elle a ramenés en 1999, de se retirer dans l’intérêt suprême de la nation. Que ses officiers supérieurs méditent cette citation de Napoléon Bonaparte: « Les armées ne suffisent pas pour sauver une nation, tandis qu’une nation défendue par le peuple est INVINCIBLE! » Qu’ils se montrent à la hauteur de leur mission sacrée de sauver le pays du chaos voulu par les Bouteflika, parents et alliés!

    Chelabi
    17 mars 2019 - 17 h 54 min

    On est toujours dans le constat. Quand parlerons-nous d’avenir? Le temps presse et la montre joue en faveur du pouvoir. SVP donnez la parole aux gens de la société civile qui peuvent traduire les doléances du peuple en feuille de route. C’est la seule voie qui pourra convaincre ce pouvoir de rendre le tablier.

    Rien d'autre que les élections du 18 avril
    17 mars 2019 - 17 h 40 min

    @ H.A.-K. Journaliste auteur de l’article.
    C’est exactement ce qu’il faut faire et rien d’autre.
    Il faut rétablir les élections présidentielles le 18 avril 2019.
    Et rien d’autre.
    Tout le reste n’est que stratégie de leurs part pour qu’ils se maintiennent aux pouvoirs.
    Revenons aux votes le 18 avril.

      alger ien
      17 mars 2019 - 20 h 53 min

      selon le journal El Watan du 17 mars, on signale qu’outre les consultations pour la formation d’un nouveau gouvernement, le pouvoir a commencé son travail de sape contre le mouvement populaire en chargeant les walis de prendre contact avec des « représentants du mouvement associatif », une formule qui désigne en réalité un réseau d’opportunistes tissé à travers le pays et nourri par le système depuis des décennies. Ces premiers contacts ont soulevé une vague d’indignation sur les réseaux sociaux où toutes les personnes ayant pris langue avec les émissaires du pouvoir ont été fustigés et qualifiés de « traitres » de la cause populaire.
      dénonçons partout ces traitres s’ils acceptent de jouer le jeu des corrompus du pouvoir

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