Contribution pour une sortie de crise : lucidité et légalité
Par Abdelkhalek Soufi et Ahmed Zerrouk(*) – Le peuple algérien, depuis le 22 février, s’est manifesté pour marquer massivement son opposition à un cinquième mandat du président de la République et, dans le sillage, des formations politiques ont, notamment, appelé au retrait de la candidature du président de la République, le report du processus électoral et le départ du gouvernement. Ces exigences, au demeurant partagées par une partie de l’opinion publique, ont reçu une traduction effective, mais partielle, à travers les décisions prises par le président de la République, portées à l’opinion nationale, par sa lettre du 11 mars 2019.
Les mesures annoncées ont donné lieu à un rejet global par ceux-là mêmes qui les avaient portées, prétextant l’inconstitutionnalité desdites mesures. Le propos n’est pas de jeter l’anathème sur telle ou telle partie, ni de faire douter de leur patriotisme ou de leur sincère volonté d’édifier un régime politique plus à même d’assurer une gestion transparente et efficace des affaires du pays.
L’objet de la présente initiative est d’examiner les préconisations émises par les uns et les autres, sur un plan légal et, surtout, pratique, et d’émettre des propositions concrètes, et surtout réalistes, pour une sortie de crise. En effet, faut-il souligner que le mouvement citoyen n’est pas aussi homogène qu’il n’y paraîit ; il est traversé par divers, et parfois fondamentalement opposés, courants politiques et idéologiques, de même qu’il n’est pas encadré par des organisations ou des personnes authentifiées, si ce n’est, pour partie, par des personnes et entités agissant sur les réseaux sociaux, dont certaines étrangères.
En résumé, trois principales voies de sortie de crise sont sur la table ; celle objet de la lettre du président de la République, celle issue de la réunion de concertation de partis de l’opposition, de représentants de syndicats et de personnalités nationales, et la proposition du vice-ministre de la Défense nationale.
A – La feuille de route de Monsieur le président de la République est rejetée dans la forme et dans le fond par les formations et personnalités réunies au siège du Front algérien pour le développement, la liberté et la justice (FADLJ), ainsi que par les millions de manifestants, étant précisé qu’une frange de la société, acquise a priori à cette démarche, ne s’est pas exprimée dans la rue pour des raisons évidentes. Nous pouvons en conclure, cependant, que cette feuille de route est objectivement vouée à l’échec.
B – La feuille de route issue de la réunion tenue au siège du FADLJ appelle les observations suivantes :
1- Ce regroupement, qui a fondé son rejet de la feuille de route du président de la République en faisant valoir des considérations liées à la constitutionnalité des mesures annoncées et à la légitimité de leur auteur, s’est lui-même autorisé à exprimer sa volonté d’agir loin de toute légitimité ou légalité, faisant fi de la souveraineté populaire et des dispositions constitutionnelles.
2- L’appel à l’Armée nationale populaire à cautionner leur démarche est, à tout le moins, incongru, nonobstant qu’il soit en flagrante contradiction avec les dispositions constitutionnelles. Bien plus, cet appel constitue un réel danger, aussi bien pour la cohésion de la nation tout entière que pour la stabilité des institutions et du pays, en ce qu’il constituera une opportunité rêvée pour des puissances étrangères de jeter l’anathème sur l’institution militaire, voire justifier une intervention directe ou indirecte dans les affaires internes du pays.
3- La préconisation de l’installation d’une direction collégiale composée de «personnalités nationales» et de représentants du mouvement citoyen suscite des questionnements. En effet, qu’entendent-ils par «personnalités nationales» ?
– Est-ce les citoyens ayant exercé des fonctions politiques avant avril 1999 ? Faut-il rappeler que ces mêmes parties, ainsi que le mouvement citoyen exigent le départ du «système», c’est-à-dire celui en place depuis les premières années de l’indépendance, moyennant quelques mutations opérées au gré des circonstances, autrement dit l’avènement de visages nouveaux ;
– Est-ce les citoyens connus de la place publique, au regard de leurs apparitions publiques régulières sur les plateaux de chaînes télévision ? Quels mérites particuliers peuvent-ils faire valoir par rapport à d’autres Algériens aussi compétents, probes et honnêtes, sinon davantage qui, volontairement ou involontairement, ont évolué loin des feux de la rampe.
L’Algérie appartient à tous ses enfants, de tous sexes et générations. Les ambitions de certains ne peuvent servir de faire-valoir pour hypothéquer la stabilité du pays et l’avenir des nouvelles générations.
C- En réaction à cette initiative, le vice-ministre de la Défense nationale a encore une fois marqué son opposition à toute solution qui ne s’inscrirait pas en conformité avec la Constitution et suggéré la mise en œuvre de l’article 102 de la Constitution, proposition immédiatement remise en cause par ceux-là mêmes qui ne cessaient de lui faire un appel du pied.
Face à cette situation, quasiment de blocage, qui de plus en plus menace la sécurité et la stabilité du pays et de ses institutions, la présente contribution a pour finalité de soumettre une voie alternative de sortie de crise, en prenant en compte, autant que possible, les revendications des citoyens et les considérations légales.
Monsieur le président de la République aurait à prendre, selon cette contribution, les mesures suivantes :
1- cessation de fonction du Premier ministre et du vice-Premier ministre qui n’ont pas pu réunir le consensus et désignation d’un Premier ministre et d’un gouvernement constitué exclusivement de technocrates. Aucun membre de l’actuel gouvernement ne serait maintenu.
Le choix peut s’opérer parmi les cadres supérieurs de l’Etat, des établissements et entreprises publiques, des universitaires et des membres de la société civile, connus pour leur probité et leur expertise, n’appartenant à aucun courant ou formation politique et n’ayant exercé aucune responsabilité gouvernementale, ni un mandat électif national.
2- Dissolution, sans délai, de l’Assemblée populaire nationale, dans les conditions prévues par l’article 147 de la Constitution.
3- Amendement dans les plus brefs délais, par voie d’ordonnance, des missions de la haute instance indépendante de surveillance des élections pour lui confier les missions d’organisation et de surveillance des élections, en relation avec les institutions concernées de l’Etat.
La haute instance serait constituée de magistrats élus par leurs pairs sous la supervision du Conseil supérieur de la magistrature, dans sa formation disciplinaire, et de représentants des associations et organisations nationales, agréées, activant dans le domaine des libertés et droits de l’Homme ou représentatives des avocats, des huissiers de justice, des notaires, des étudiants et des fonctionnaires et travailleurs. Le président de la haute instance sera élu par l’assemblée générale.
4- Convocation immédiate du corps électoral pour les élections présidentielle et législatives, dans les délais fixés par la loi.
Le mandat du chef de l’Etat en exercice prendra fin dès l’investiture du Président élu. Le Président élu aura toute latitude de soumettre à référendum une nouvelle Constitution consensuelle.
A. S./A. Z.
(*) Colonels à la retraite, anciens cadres au ministère de la Défense nationale.
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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