Révolution, évolution ou simple récréation avant la réaction ?

intifadha
Le 22 février à Alger. PPAgency

Par Mesloub Khider – Chacun y va de sa complainte pour nous seriner que l’Algérie vit une sereine révolution. Une révolution imposée par les pacifiques balades balisées, canalisées, banalisées, sur fond de débonnaires ballades revendicatives inoffensives.

Ainsi, le noble vocable «révolution» est associé à toutes les déflagrations politiques, particulièrement celles qui s’apparentent à des pétards subversifs mouillés. A des désordres politiques éphémères. Rapidement étouffés par les manœuvres machiavéliques habituellement employées par les classes dominantes. Notamment par le recours aux élections, connues pour leur pouvoir dissolvant, leur puissance de fourvoiement, leurs vertus politiques soporifiques.

Dans l’histoire récente, on a eu droit à l’expression de «révolution de velours» pour désigner la transition de pouvoir entre la dictature stalinienne tchèque et la dictature capitaliste, autrement dit entre le capitalisme d’Etat et le capitalisme libéral. On a eu droit à l’expression de «révolution orange» pour désigner le mouvement politique de protestation contre le truquage des élections survenues en 2004 en Ukraine. On a eu aussi droit à la «révolution de jasmin» pour désigner la transition entre le pouvoir dictatorial libéral de Ben Ali et la dictature démocratique islamiste tunisienne.

Aujourd’hui, en Algérie, en cette période agitée par de phénoménales manifestations récurrentes, nous avons droit à l’expression de «révolution joyeuse». Pacifique. Pour désigner la transition entre l’ancienne clique du pouvoir et la même clique du pouvoir. Entre Bouteflika Abdelaziz et Abdelaziz Bouteflika. Entre les récents ministres biberonnés au sein du FLN, discrédités et les anciens apparatchiks du FLN exhumés de leur tombale retraite.

Force est de constater que les mobilisations massives de millions d’Algériens n’ont aucunement ébranlé le régime. Il faut reconnaître qu’il résiste à l’assaut du peuple algérien en révolte. C’est même un paradoxe que plusieurs journées de mobilisation drainant des millions de manifestants n’ont nullement déstabilisé le régime, toujours aussi fortement installé dans ses treillis protégeant son palais présidentiel et ses autres institutions étatiques. Serait-ce là la preuve qu’il ne s’agit absolument pas de révolution, mais d’une simple révolte citoyenne, appelée à rapidement s’essouffler ? Le scénario actuel plaide en faveur de ce dénouement dénué de toute transformation révolutionnaire. A moins d’un sursaut inattendu du peuple algérien auto-organisé, qui pourrait nous réserver d’heureuses surprises.

En tout état de cause, ceux qui usent du terme révolution nous abusent. A l’évidence, cet usage immodéré du vocable révolution vise à modérer l’usage de la révolution. A rendre usagé le recours à la vraie révolution. A travestir le sens de la révolution. A dénaturer la compréhension de la révolution. Paradoxalement, ce sont les mêmes qui fustigent les authentiques révolutions (1789, 1871, 1917), condamnées pour leur radicalité, ravalées à des coups d’État, qui encensent les transitions politiques réputées pour leur innocuité, rehaussées complaisamment au rang de révolutions.

Pour quelle raison inavouée et inavouable, depuis quelques décennies, les médias s’empressent-ils de qualifier tout remaniement gouvernemental violemment imposé par la rue de révolution ? Sinon dans le dessein de disqualifier la véritable révolution. Celle qui détruit l’Etat et ses institutions pour les remplacer par une nouvelle forme de gouvernance innovante, portée par la nouvelle classe émergente révolutionnaire, souvent à la suite d’une période marquée par une situation de double pouvoir. Celle qui détruit l’ancien mode de production pour instaurer de nouveaux rapports sociaux sur des fondements économiques radicalement différents.

Quoi qu’il en soit, dans tous les cas énumérés plus haut, il s’est agi d’un simple transfert du pouvoir au sein de la même classe dominante capitaliste. D’une révolution de palais. En effet, dans ces pays précités (particulièrement les fumeuses «révolutions arabes»), non seulement l’Etat et ses institutions administratives et répressives (armée et police) demeurent intacts entre les mains de la même classe dominante, mais surtout le même mode de production capitaliste continue à régenter l’économie, à régner dans ses pays. Le peuple (ou plus exactement les classes populaires) a été tenu à l’écart de ces bouleversements politiques factices, souvent commandités par les puissances impérialistes, ourdis par un clan du pouvoir. Qui plus est, peuple utilisé uniquement comme chair-à-manifester, chair-à-voter souvent pour les mêmes politiciens. Ou, dans le cadre d’une opération de lifting soigneusement prise en charge par les puissances occultes financières internationales, pour une nouvelle élite constituée d’intellectuels ou de personnalités bourgeoises issues de la société civile, tout aussi assoiffée de pouvoir, attirée uniquement par les prébendes offertes par les sinécures gouvernementale ou parlementaire.

Au reste, pour les peuples de ces pays précités, notamment la Tunisie et l’Egypte, leurs conditions sociales n’ont connu aucune amélioration. Bien au contraire : elles ont subi une vertigineuse dégradation.

Quoi qu’il en soit, certes, en Algérie, il s’agit de l’ouverture d’une nouvelle ère marquée par un soulèvement inédit contre le système. Contre la minorité des dirigeants du régime despotique qui contrôle le pouvoir et s’accapare les richesses. Mais, au-delà du rejet du système, on n’observe aucune volonté de transformation radicale de la société algérienne, sinon la revendication de changement de la classe politique. La tenue d’élections libres. Or les élections, surtout en période pré-révolutionnaire, ont pour rôle de désamorcer la crise, de garantir la paix sociale, donc d’imposer le maintien de l’ordre établi. Ordre dominé par le même système économique capitaliste et le même mode de représentation électorale dans le cadre de la république (laïque ou islamiste) bourgeoise. Au reste, l’histoire récente (Egypte, Tunisie, etc.) nous enseigne que, quelle que soit l’issue du suffrage, l’élection est toujours remportée par des candidats qui demeurent des politiciens au service du capital, aspirant à opprimer le peuple.

En tout état de cause, les élections, la démocratie représentative, bien qu’appuyées par l’émergence d’une nouvelle classe politique algérienne, ne pourront résoudre aucun des problèmes fondamentaux auxquels est confronté dramatiquement le peuple algérien. Car les causes profondes du soulèvement actuel, quoique étouffées par les doléances politiques du départ du régime, demeurent sociales et économiques ; elles sont insolubles dans le cadre du maintien du système capitaliste : chômage, production atone, précarité, misère, inégalités sociales, oppression, exploitation.

Actuellement, les manifestations massives en Algérie se cantonnent à la seule dimension politique réduite à sa plus expression : «Régime dégage» ; comme si, paradoxalement, les instigateurs de ce soulèvement ont délibérément évité de placer la lutte sur le terrain des revendications sociales et économiques, susceptibles d’orienter la révolte vers la confrontation de classe débouchant sur une réelle révolution. En effet, il faut souligner l’absence de la double dimension présente dans les précédents soulèvements populaires : l’exigence démocratique assortie de radicales revendications sociales subversives. Aujourd’hui, cette dernière dimension sociale est occultée par la principale requête politique limitée à la sommation de la fin du système, autrement dit le départ du régime. Toutefois, par «fin du système», il faut entendre la fin du régime politique dominant actuel. Et non la fin du système économique capitaliste prédominant en Algérie. Sur ce chapitre social et économique, il ne faut s’attendre à aucune transformation. Les conditions de vie des classes populaires ne connaîtront aucune amélioration.

De toute évidence, le régime algérien sait sonner le moment venu la fin de la récréation. Surtout si le chahut tend à se prolonger de manière démesurée et «irresponsable», à se métamorphoser en manquement aux règles imposées par l’ordre établi. Quand le bavardage se mue en désobéissance sociale. Quand le peuple se résout à ne plus se comporter en enfant docile. Résolu à prendre en main les rênes de son existence politique, économique, sociale. En un mot, à s’affranchir de toute tutelle étatique dominante et oppressive. Pour s’auto-organiser sur des formes de gouvernance horizontales, dans une économie égalitaire gérée par l’ensemble de la population laborieuse algérienne.

A l’évidence, la partie n’est pas gagnée. Le régime n’a jamais désarmé. L’impotence du pouvoir ne présume en rien de sa détermination de réaction. Comme en Egypte, au Venezuela, au Nicaragua et même dans la France «démocratique», où ces régimes aux abois ont prouvé de quelle férocité répressive ils sont capables, tout laisse présager que le régime algérien n’aura d’autre solution de sortie de crise que la répression.

Il revient au peuple algérien révolté contre le système d’éviter cette sanglante perspective au moyen de son auto-organisation politique, sociale et économique à l’échelle nationale, lui accordant ainsi une force collective de résistance inébranlable, invincible.

Quoi qu’il en soit, le peuple algérien, à l’orée de son soulèvement, sans son auto-organisation en dehors des institutions établies, dans le cadre de nouvelles structures politiques innovantes instaurées dans chaque ville et village, totalement contrôlées par ses représentants élus et révocables à tout moment, ne bénéficiant d’aucun privilège ni d’appointements excédant le salaire moyen, sur la base d’un programme économique et social égalitaire et d’une égalité des sexes, dans le respect de la liberté de conscience, devrait s’attendre à endurer l’échec de sa balbutiante révolution encore en gestation.

M. K.

Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.

Comment (8)

    Yes
    1 avril 2019 - 2 h 59 min

    Oui ‘r M.K. Je pense que vous avez raison. Une révolution a besoin de leaders,de partis politiques,de guides. Or tous les médias et commentateurs ont orienté les manifestants à rejeter tout parti ou personnalité de l’opposition qui viendrait « surfer » ou récupérer le mouvement. Cette manière d’écarter des partis opposants qui portent un projet politique économique et social laisse la rue sans voix incapable de dégager parmi elle des porte-parole ,des représentants consensus .. Vous et presque tous les chroniqueurs avez mis dans le même sac opposition et partis du pouvoir,ce faisant vous dédouanez c partis FLN RND… Et on s’aperçoit que ce sont plutôt c mêmes partis FLN RND….qui sont en train de se repositionner et récupérer le mouvement à leur profit.
    Tous ceux qui ont discrédité djil jadid de sofiane djilali,benbitour,zoubida assoul »….sont complices de cette situation . Pourtant c personnalités et c partis ont marché bien avant le 22 février non????d’autres ont marché en 2001,2011!!!!,2014 amira bouraoui ,non??

    MELLO
    31 mars 2019 - 22 h 46 min

    Octobre 88 fut un repère pour une récréation , une simple récréation qui coûta à l’Algérie la  » bagatelle  » de 500 jeunes dont la vie fut stoppée. Au jour d’aujourd’hui , la situation est différente avec un mouvement pacifique sans incident. Ce pacifisme met ce régime sur un terrain qui lui est étranger , car la violence reste son arme favorite . Tant que les pavés des rues et boulevards des villes d’Algérie vibrent et resonnent sous les pas de ce peuple, en toute confiance et en toute sérénité , le changement est inéluctable, le changement est proche sans animosité, sans haine et sans VIOLENCE. S’il vous plaît, messieurs du sommet, écoutez nous et laissez nous conduire ce pays vers un horizon meilleur.
    Votre entêtement à former un nouveau gouvernement nous renvoie au 21 février , la veille du 22 , une nouvelle bataille pacifique sera engagée.

    G.A
    31 mars 2019 - 21 h 37 min

    Mr MK, je vous dis une seule chose en guise de commentaire à votre article : le peuple algérien n’a pas encore dit son dernier mot. Bientôt, il montrera à ce pouvoir maffieux de quel bois il se chauffe.

    Muhammad
    31 mars 2019 - 21 h 06 min

    Wow C’est Marx et Lenine (Ces bons citoyens de quelle origine et quelle pays déjà ?) et leurs tristes et bien en retard disciples qui sortent de leurs tombes Wow !! qui nous expliquent la revolution qui permet toujiurs in fine de s’approprier des territoires et effacer des pays comme la palestine la lybie le Yémen la Syrie etc… . C’est ton projet Monsieur Mesloub Khider ou doit-on plus précisément dire Monsieur GuyDebord ou Monsieur Francis Cousin ?
    Cordialement, sans rancunes, meilleurs sentiments et pour l’Algérie
    Muhammad

    Les Bouteflika en prison
    31 mars 2019 - 18 h 52 min

    M.K. vous prenez le peuple algérien pour des nuls!
    Nôtre patience à des limites.
    Si les Bouteflika et la bande de Dalton ne sortent pas, Le peuple pas passera à l’étape suivante.

    Elephant Man
    31 mars 2019 - 17 h 55 min

    Merci de nous rappeler l’Égypte la Tunisie et ces printemps arabes zerma plus exactement sionistes et leurs résultats CALAMITEUX.
    Quant au Venezuela votre analyse est complètement biaisée et donc erronée : embargo sanctions et cie il s’agit d’une tentative de coup d’État pour faire tomber Maduro élu démocratiquement or noir et pas que… antisioniste propalestinien dont les relations indéfectibles avec Cuba dérangent par extension sa proximité avec la Russie la Chine l’Iran et ainsi tenter de placer Guaido le sioniste avéré.
    Quant au pays, posez-vous la question de pourquoi maintenant du timing au non au 5ème mandat et pas avant un changement de système politique managérial une opposition ca se construit sur la durée. Un nouveau système de gouvernance ne va tomber du ciel du jour au lendemain pour @Thebest.
    Un pays ne se dirige pas avec le 1er venu, novice, inexpérimenté sorti tout droit d’officines étrangères.
    « Le non au 5ème mandat » est un slogan publicitaire à la charlie hebdo de zbel « je suis charlie » (qui en hébreu est l’exact anagramme de je suis IsRatHell »).
    Nous avons tous vu les « DÉGAGE » Libye Égypte Tunisie…pour quel résultat …. CALAMITEUX et ingérence étrangère.
    Je ne pense pas qu’il faille jeter en pâture tous les politiques car des patriotes existent et ils ont oeuvré et oeuvrent pour leur pays et peuple ne vous en déplaise.
    En tout cas pour moi pas de Ghediri Nekkaz mouwatana et cie…
    Bref, pas de tartuffe à la solde de l’étranger.

    Kaci
    31 mars 2019 - 17 h 35 min

    Plutôt INVOLUTION-DEMOLITION-REACTION, quoi de plus naturel après ce cycle il faut bâtir juste, réglo, et efficacement. A bas les tyrans qui ont ruiné notre pays

    Amarni
    31 mars 2019 - 16 h 27 min

    Article très juste, tout ce bruit est simplement l’annonce de mesures de récessions économiques encore plus importantes, c’est une manière de préparer l’Algérien pour qu’il ne puisse contester demain car fatigué de manifester à nouveau pour rien.Cette transition qu’on vit est très diabolique.

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