Publicité Anep : ce que cachent les décisions hâtives du gouvernement
Par Karim B. – A peine Abdelaziz Bouteflika déposait-il sa démission que le gouvernement Bedoui se réunissait pour rendre publiques une série de décisions que le nouvel Exécutif aurait «prises». Parmi les annonces faites par la «nouvelle» équipe aux commandes jusqu’à la prochaine élection présidentielle, «la transparence et l’objectivité dans l’attribution de la publicité publique, sans exclusion ni discrimination aucune entre l’ensemble des médias publics et privés».
Ceux qui connaissent les rouages de l’Agence nationale d’édition et de publicité (Anep) savent que cette annonce anormalement hâtive cache des dessous irrévélés. En réalité, les nouveaux décideurs ne comptent pas lâcher cette manne au risque de perdre un instrument à la fois de pression et d’enrichissement.
Il a longtemps été dit que le choix des supports médiatiques pour la diffusion des annonces publicitaires des collectivités locales et des entreprises publiques soumises au monopole instruit par l’ancien Premier ministre, Ahmed Ouyahia, était motivé par une collusion entre le pouvoir et les journaux qui en ont profité. Or, l’objectif caché derrière cette orientation intéressée de la publicité étatique était, avant tout, d’occulter au maximum les avis d’appels d’offres en les publiant dans des journaux au tirage excessivement bas et dont l’audience est nulle.
Cette démarche permettait la conclusion de contrats douteux dont la concrétisation était rendue possible grâce à la passation de marchés dans la discrétion. Des marchés qui ont, dans de nombreux cas, profité à des entrepreneurs véreux avec la complicité de responsables ripoux de l’administration locale. D’où le nombre impressionnant de projets à l’arrêt ou réceptionnés avec des retards invraisemblables. Le système a profité à la clientèle de l’ancien régime qui se servait d’une partie de la rente ainsi engrangée pour financer la fraude et acheter les consciences.
Le ministre de la Communication a été «chargé d’examiner et de mettre en œuvre les outils et mécanismes juridiques, réglementaires et procéduraux» pour réguler les annonces qui, jusque-là, transitaient obligatoirement par l’agence publique. Cette publicité qui représente un chiffre d’affaires colossal était distribuée aux journaux suivant les directives directes de Saïd Bouteflika et – bien avant lui – de Mohamed Betchine sous Liamine Zeroual.
Il paraît évident que la rapidité avec laquelle ce dossier a été traité par l’exécutant Noureddine Bedoui répond à une injonction directe des nouveaux décideurs qui ont pris les commandes du pays au lendemain de l’abdication d’Abdelaziz Bouteflika, parti dans la précipitation pour, a-t-il laissé entendre, éviter une confrontation dommageable pour le pays avec le chef d’état-major de l’armée.
La corporation est en train de passer d’une distribution de la publicité étatique assujettie à des considérations mercantiles de la mafia qui a prospéré grâce à sa proximité avec le pouvoir, à une déviation de la trajectoire dans le sens d’une récompense en faveur de ceux qui ont aidé Ahmed Gaïd-Salah à se défaire de ses trois principaux adversaires : le frère de l’ancien président, l’actuel coordinateur des services de sécurité et l’ex-patron du DRS.
Les journalistes ont le devoir de réclamer l’ouverture d’une enquête judiciaire pour faire toute la lumière sur l’usage qui a été fait par les patrons des journaux de cette rente publicitaire publique depuis le milieu des années 1990 à ce jour, et de réclamer une participation à la prise de décision dans la répartition de cette publicité à l’avenir, à travers un syndicat réellement représentatif, pour éviter que cette aide directe à la presse soit à nouveau détournée à des fins marchandes et politiques comme par le passé, de sorte qu’elle serve avant tout à élever le niveau de la presse nationale après avoir opéré une décantation inexorable.
K. B.
Comment (24)