La fin d’une ère ou juste un courant d’air ?
Par Mohand Ouabdelkader – Comme toutes les choses qui, dans l’ordre de la nature, naissent et croissent trop promptement ne peuvent avoir des racines assez profondes et des adhérences assez fortes pour que le premier orage ne les renverse point.
C’est ce que Machiavel disait des principautés nouvelles qu’on acquiert par les armes d’autrui et par la fortune. Dans le cas de l’Algérie, qui n’a jamais cessé d’être gouvernée selon un modèle de pouvoir héréditaire – dans sa conception de l’Etat, ses institutions et la source de sa légitimité –, son indépendance, non seulement, elle a été confisquée, mais ils l’ont pris en otage pour l’inféoder à leur propre désir de veulerie. Ils ne sont, certes, pas de la même famille, mais partage la même infamie, avec laquelle, ils se sont succède – bousculés – sur le trône, en léguant, après chacun de leur passage, une bête, beaucoup plus immonde que celle qu’ils ont trouvée.
Et voilà que la bête a grandi, beaucoup plus promptement que ce qu’ils espéraient, vorace et insatiable. Celui qui vient de nous la léguer, en démissionnant d’un poste qu’il n’a pas occupé depuis, au moins, son AVC, au su et au vu de toute sa suite, vient nous rappeler que le bébé ne tête plus, dévore à pleines dents tous ceux qui portent atteinte à son appétit, un orgue comme on n’en a jamais vu. C’est seulement dans des républiques bananières que les hommes occupent des postes auxquels personne ne les a conviés et démissionnent de ceux dont ils n’ont jamais été les élus. Le dernier de ces illustres géniteurs, feu Bouteflika, a décidé que c’est le moment opportun de retourner aux vestiaires lugubres de la présidence pour tailler, au mètre près, le trois-quarts de costume – celui-là même que l’ex-président démissionnaire ne voulait plus –, pour un nouveau futur président prédateur.
Cela m’amène à dire qu’avec ce régime méphitique, le centre du pouvoir est partout et sa circonférence nulle part. Chez nous, on ne démissionne pas du pouvoir, on le lègue ou on le laisse en héritage à qui peut le fructifier un peu plus. Il faut lire, dans la démission de Bouteflika, le prolongement d’autres missions, moins dans les officines officielles de la présidence, que dans les couloirs bis des alliances.
Ne croyez pas aux histoires hitchcockiennes de lutte fratricide entre clans. De règlement de compte à couteau rompu, entre des nationalistes à la barbe taillée et des occidentalistes à la solde d’une France décriée, chaque fois qu’il n’y a point d’argument qui sied à leurs macabres saillies. La meute ne se mange pas entre elles. C’est une loi de la nature dont ce régime, aux mains lourdement trempées de sang, en a fait une seconde nature.
Le pays, pour la meute, n’est qu’une planque où chacun sort à tour de rôle faire le tour du butin, en prend ce qui lui revient de droit divin ou d’instinct. Une hiérarchie dans la prédation, tout naturellement établie et proportionnellement répartie entre clans, selon le poids des galons accumulés et le tour de taille qui ceint leur intimité.
Haddad arrêté, d’autres en voient de l’être, des généraux accusés, trahison pour un clan, complot pour un autre… Rien de cela n’affectera la bienséance qui régit les rapports de force entre clans. Une fumisterie qui permet au pouvoir, celui qui n’a de circonférence nulle part, d’avancer en bloc, le temps de rétablir les équilibres entre le pouvoir prédateur et sa hiérarchie.
Ce pouvoir n’a jamais abandonné qui que ce soit qui lui a été loyal. Abandonner, pour ce régime prédateur, n’est jamais le mot qui, dans sa définition sémantique, signifie le sacrifice. Non, ce régime sacrifie, mais n’abandonne pas. Khalifa est la preuve vivante de ces affairistes véreux, qui ont servi de planche à laver l’argent sale du pouvoir, Haddad et ceux qui suivront, n’échapperont point à la règle. Ce système, encore une fois, ne repose pas sur les hommes qui gouvernent, mais sur ceux qui les font. Il n’y a pas un clan qui vaille plus qu’un autre. Ils vont séparément, quand il s’agit de préserver les espaces centrifuges sirupeux de la rente et en bloc, quand il s’agit de sauver le centre du pouvoir. Les uns ont des dossiers sur les autres et les autres savent qui fait quoi avec les uns, d’ici et d’ailleurs.
Il n’a jamais plu sur le peuple autant d’éloges, de reconnaissances et de sympathies, alors que, jusqu’à la date fatidique du 22 février, nous n’étions qu’un vulgaire paillasson sur lequel ils s’essuyaient leur pied. Le «Dégagez tous !» que brandit le peuple comme un seul homme, a fini par fissurer les liens que tissaient les clans, les uns avec les autres, au point où le doute les a assaillis. Ils tergiversent entre vaut-il mieux être aimé ou craint ?
Ils ont haussé le ton, le peuple a aiguisé sa voix. Ils ont brandi la menace de la guerre civile, le peuple leur a montré sa voie. Cette voie qu’il s’égosille à faire entendre, chaque vendredi un peu plus, chaque vendredi un peu plus fort, ne peut retentir au plus profond des aspirations démocratiques du peuple que par le départ inconditionnel de tout le régime, de Gaïd-Salah aux plus petits des caïds. Nous voulons que ça soit la fin d’une ère et non juste un courant d’air.
M. O.
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