Pourquoi l’Algérie risque de retourner à la case départ si la crise persiste
Par Nazim Maiza – L’Algérie n’a jamais connu dans son histoire une telle période d’incertitude quant au devenir de la nation tout entière.
Les tergiversations politiques du haut commandement de l’ANP sont compréhensibles dans un climat géopolitique aux aguets, la moindre incartade de l’orthodoxie institutionnelle serait pernicieuse pour le pays, l’exemple du Soudan en est la parfaite illustration aujourd’hui.
Les écarts de la légalité, pourtant toléré sous la présidence de Bouteflika et son lot de simulacres démocratiques, ne semblent plus faire l’unanimité au sein de la communauté internationale autoproclamée gardienne des libertés des peuples, notamment en ce qui concerne les pays du Sud.
Cet état de fait est fortement amplifié par la défaillance patente de la classe politique algérienne ainsi que le vide instauré par l’ancien régime, ces deux éléments factuels constituent clairement l’agglomérat qui se trouve être le bourbier politique dans lequel nous sommes.
C’est ainsi que le plus grand pays d’Afrique est réduit à de petites «inspirations» constitutionnelles «préambulaires» pour pouvoir pallier le déficit politique flagrant.
L’esprit de la loi en matière juridique s’applique désormais à l’esprit du «préambule» en ce qui concerne la Constitution, une première dans le monde qui, probablement, fera jurisprudence. En effet, le Conseil constitutionnel n’a rien trouvé de mieux que de «donner dans le phébus» en s’appuyant sur le préambule du texte constitutionnel pour légitimer le sursis du président Bensalah. Ce ravaudage constitutionnel démontre, sans contredit, l’engourdissement de la classe politique, toutes tendances confondues, qui n’arrive pas à se hisser en force de proposition pour solutionner l’équation algérienne.
A vrai dire, le climat de suspicion ambiant imposé par le hirak ne joue pas en faveur de ceux qui voudraient, un tant soit peu, monter au créneau ; en réalité, suivre les remous de la vague contestataire sans trop s’agiter est préférable et nettement plus «politiquement correct» en ce moment. Vraisemblablement, personne n’ose sortir du lot en arborant un plan de sauvetage démocratique «à même» de mener le bateau Algérie à bon port. Un sauvetage hypothétique qui s’éloigne petit à petit au large et s’évanouit dans un brouillard politique prémisse d’un orage bien plus tumultueux dans les jours à venir.
Le scepticisme populaire est compréhensible et excusable, des décennies de frustrations sociales exacerbées par des scandales financiers de tous genres ne peuvent qu’engendrer l’ire populaire en vers tout ce qui représente le régime.
L’expédition ramadanesque du Premier ministre Bedoui à La Mecque et ses invocations pieuses ne semblent pas convaincre grand-monde, le «revers protocolaire» qu’il a essuyé n’a fait qu’accentuer son impopularité auprès des Algériens et conforte, aujourd’hui plus que jamais, le leitmotiv «yetna’haw gaâ» scandé lors des manifestations.
Il en est de même pour l’association des oulémas et l’image qu’elle véhicule. C’est à croire que chatouiller la fibre religieuse du peuple algérien ne semble pas freiner sa Reconquista démocratique. Les Algériens paraissent comprendre que la situation requière plus de tangibilité en place et lieu d’une «métaphasique politicienne».
La prolifération des oracles initiés aux secrets des dieux sur des chaînes YouTube n’arrange pas les choses. Des personnages adoubés de milliers de «followers» semblent envouter les jeunes spectateurs assidus. Tantôt fumant le cigare en évitant les Havanes, tantôt déchus de l’olympe diplomatique, ces youtubeurs, de Londres à Paris, plongent les internautes algériens dans le chaudron bouillant des théories du complot fomenté dans les grandes loges maçonniques. Des ouvriers tacherons maléfiques s’activent, selon eux, sur les hauteurs des Tagarins (siège du ministère de la Défense) et dans les profondeurs du hirak pour concrétiser l’Armageddon national.
Cela dénote clairement le vide politique actuel. Force est de constater que rien n’est venu sérieusement s’imposer comme étant une solution à la crise que traverse le pays.
Devant le «niet !» des jeunes Algériens qui sont résolus à ne pas lâcher prise, certains anciens politiciens toujours actifs malgré un âge avancé, misent sur le protectorat de l’ANP pour faire le consensus et passer outre la grogne populaire. D’autres, plus avertis, essayent bon gré mal gré de consolider leur position sur le bitume du hirak sans en faire trop.
Les ambitions présidentielles des uns et des autres font que le pays ne trouve pas de figures qui pourraient jouer un rôle efficient afin de déverrouiller le jeu politique dont les règles sont désormais dictées par le peuple. Le vivier des «bons samaritains» semble vide. Tout le monde veut sa place dans la future mais néanmoins incertaine Algérie. Des figures politiques aux énormes potentialités en matière juridique et dans gestion de l’Etat se sont, hélas, enivrées par cet élixir qu’est la possibilité manifeste de conquérir le pouvoir.
Des aspirations présidentielles qui, dans la plupart des cas, sont résolument sans avenir dans un pays qui aspire au changement. Quelle que soit la manière usitée par ces politiciens, il est peu probable de voir une candidature sérieuse s’imposer dans une majorité consensuelle, mais surtout populaire.
Rien ni personne ne pouvait prévoir la donne politique actuelle. Même au nom de la démocratie, le pays ne pourra pas accuser le coup très longtemps, c’est certain.
Dans un contexte économique qui se détériore jours après jours, les solutions s’amoindrissent et l’Algérie semble se diriger à grands pas vers une gestion du pays dans l’urgence, une gestion qui ne pourra être que radicale ; autrement dit, le retour à la case départ de tout un peuple.
N. M.
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