Le Hirak s’embourbe à la croisée des chemins et menace la Révolution
Par Youcef Benzatat – Le Pacte de l’alternative démocratique (PAD), regroupant des partis politiques qui cohabitaient sournoisement avant le 22 février 2019 avec le pouvoir, une ligue des droits de l’Homme et des organisations de la société civile, essentiellement de tendance idéologique berbériste, le mouvement Rachad, une association composée d’anciens membres du parti islamiste, le FIS dissous, et une nébuleuse d’associations de la société civile assez discrète quant aux mécanismes de son avènement et sur le contenu de son orientation idéologique, se revendiquant tous comme des émanations du Hirak, veulent donner chacun pour son compte une orientation relative à la Révolution et mobiliser la population autour de leurs initiatives réciproques.
Cette fragmentation de l’expression du Hirak peut être perçue comme une atomisation de son unité, qui était revendiquée à ce jour avec force et conviction par les manifestants. Cette division de l’unité du mouvement populaire en autant de directions divergentes place d’emblée le Hirak à la croisée des chemins et peut constituer dans l’avenir un danger sur l’issue de la Révolution. Car ce qui a permis de doter le Hirak de sa force d’action et la consolidation de sa détermination dans la durée, une année après son avènement, est justement son expression horizontale qui a permis l’émergence d’un consensus implicite sur les objectifs à atteindre, en dessinant progressivement les contours d’un intérêt commun au-delà des clivages qui caractérisent la société algérienne, tels que la religion, l’identité et le régionalisme.
Un intérêt commun qui s’est vite cristallisé autour de revendications essentielles, axées en priorité sur l’Etat civil par opposition à la dictature militaire ainsi que sur l’Etat de droit par opposition à l’instrumentalisation de la justice au service de la corruption généralisée comme obstacle à l’avènement d’un régime authentiquement démocratique pouvant impulser un processus de développement salutaire pour la nation.
Cette multipolarisation de la Révolution aura aussi et surtout pour effet d’influencer et de détourner le travail au quotidien des militants de proximité, notamment sur la sensibilisation de la population sur la définition de la Révolution et ses objectifs à travers des rencontres et des ateliers locaux. C’est tout le processus d’émergence d’une citoyenneté émancipée de ces clivages et garante de l’émergence d’un vivre-ensemble où tout Algérien et toute Algérienne se sentent représentés et respectés qui est mis en péril par cette multipolarisation, au-delà de son hypothétique implosion.
La Révolution ne pourrait atteindre ses objectifs sans la conscientisation de la population sur la nécessité de l’acquisition de cette conscience citoyenne républicaine, au-delà des slogans communément partagés d’Etat civil, d’Etat de droit et de régime démocratique.
Ce travail de proximité sur les mécanismes d’acquisition de la conscience citoyenne républicaine aura aussi la vertu d’agir sur l’émergence d’un individu souverain, désaliéné des structures mentales patriarcales qui le maintiendraient dans la soumission aveugle à un zaïm de circonstance. A ce titre, les figures emblématiques du Hirak et particulièrement les détenus d’opinion devenus des icônes du mouvement populaire pourront constituer un véritable barrage à cette désaliénation des structures mentales patriarcales nécessaire pour l’émergence d’une conscience citoyenne révolutionnaire, par excès d’identification et d’exemplarité à leurs personnes. D’autant que leur propre sensibilité politique et leur orientation idéologique pourrait être confondue avec l’intérêt commun dans cette circonstance.
Dans ces conditions, le processus révolutionnaire dans lequel s’est engagé le peuple algérien depuis le 22 février 2019 ne peut avoir d’issue dans l’immédiat ou dans un avenir proche, tellement la population a de tout temps été maintenue captive dans l’aliénation des structures mentales patriarcales et l’imaginaire mythologique religieux, ainsi que dans une dérive de repli identitaire ethniciste, la confinant dans une conscience pré-politique structurelle. Car la population algérienne n’a jamais connu d’Etat civil, ni d’Etat de droit, ni un véritable régime démocratique qui aurait pu constituer un référent politique dans lequel elle aurait pu se ressourcer et puiser un précédent d’exemplarité. C’est dans le travail de conscientisation de proximité pour l’émergence d’une conscience citoyenne révolutionnaire à moyen ou long termes que se joue l’issue de la Révolution en cours. Ce n’est certainement pas en allant au plus pressé, en échafaudant des solutions provisoires et illusoires, qui ne pourront que déboucher inéluctablement sur un reflux implacable, ayant pour conséquence le retour d’un régime aussi archaïque et contre-révolutionnaire que celui que l’on croyait avoir défait, sous une forme ou une autre de ces clivages antirépublicains.
Y. B.
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