Le Hirak, ses héros anonymes et les autres

Mouv Hirak
Le Mouvement populaire n’a pas saisi l’occasion de son interruption pour repenser sa structure. PPAgency

Par Ali Akika – Quand le Hirak battait son plein, des échanges intenses sans insultes se déroulaient entre anonymes après les marches. Il y avait là de l’énergie, de la passion et de l’espoir dans leurs propos. Les gens rentraient chez eux en ayant le sentiment de comprendre un peu plus le sens de leurs marches. Eux qu’on avait abandonnés sur le bord des chemins, ils se sentaient habités par un sentiment nouveau. L’Histoire s’écrivait sous leurs yeux dont ils étaient des acteurs sous la lumière des médias du monde. Dans le même temps, on avait assisté à un spectacle où des individus voulaient détourner cette lumière sur leur auguste personne.

Comme l’Histoire ne stocke pas dans ses granges les feux de paille allumés par la médiatisation, elle rangera nos feux de paille dans le grenier des anecdotes de la petite histoire. A l’heure actuelle, une autre catégorie de comédiens tente d’occuper le champ laissé en jachère par les médias. Ils profitent de la halte imposée par le coronavirus pour ne pas se faire oublier par les médias aspirés par l’actualité d’un virus qui a bouleversé la planète. Je pensais, j’espérais, que cette halte dans le temps allait servir à réfléchir sur le phénomène du Hirak, phénomène à la fois poétique et politique. L’association de ces deux notions n’est pas une clause de style mais l’expression de mouvements historiques (1) qui transforme le réel (politique) et l’habille de sa beauté (poésie). Ce désir de transformer la vie pour aller à la rencontre de la vraie vie, on le retrouve dans l’expression de Rimbaud «Changer la vie».

Ce désir-là, les Algériens l’ont vécu à travers le foisonnement des écrits, des chansons, de l’humour et le sourire insolent de joie des femmes et des hommes. Cette joie se voulait le point de départ de l’enterrement de la sinistrose de leur quotidien sous le règne d’un colosse qui s’avéra être aux pieds d’argile. Ainsi, pensais-je quelque peu naïvement, que cette halte allait accoucher d’un véritable festival d’idées et de propositions politiques qui vont aider le mouvement à avancer.

Hélas, cette interruption ne semble pas être l’occasion d’une réflexion débordante de fécondité. J’ai ressenti la raison ce «vide», peut-être à cause de la complexité du phénomène du Hirak et la conjoncture du coronavirus. Pour saisir cette complexité, je me suis souvenu d’un texte de l’art du roman de la grande et aristocrate écrivaine Virginie Woolf. Celle-ci affirmait qu’il lui est facile d’écrire un roman que de lire celui d’un collègue. Mon roman, dit-elle, est le fruit de mon expérience qui passe au filtre de mon imagination, tout ça sous le contrôle des mots bien à moi. Mais, ajoute-t-elle, celui d’un collègue, il est fatiguant à déchiffrer, ne connaissant rien de lui, et ses mots à lui ont une autre histoire.

Ainsi, en pensant à Virginia Woolf, me suis-je dit, le début du récit du Hirak était facile à comprendre puisque du nord au sud, de l’est à l’ouest du pays, le peuple fut uni pour se débarrasser de l’auteur de son humiliation. Mais le saut à faire pour passer à une autre étape nécessite une intelligence de l’histoire du pays et une intelligence collective. L’intelligence de l’Histoire nous renseigne que le Hirak n’est pas une lutte de libération anticoloniale mais un combat regroupant différentes catégories sociales contre un pouvoir autochtone. Faire référence à un combat de classes n’aurait pas plu à ceux qui ne jurent que par la «Oumma fraternelle et éternelle».

L’intelligence collective nous aurait évité d’entendre des sornettes du genre «les élites guidant le peuple». On se souvient de la parenthèse des «constitutionnalistes» qui nous expliquaient la meilleure façon d’appliquer une Constitution bidonnée par et pour un homme sans pour autant trahir la souveraineté du peuple. Ces gens-là étaient plus jésuites que le jésuite qui dirige à l’heure actuelle le Vatican. Quand notre parenthèse jésuite se referma s’ouvrit une autre séquence. Structuration ou non du Hirak, désobéissance civile ou pas, grève générale. Ces notions remplissent dans le monde les livres des luttes sociales qui auraient pu alimenter chez nous les réflexions politiques face aux contraintes du présent aussi mouvant que complexe. Et le premier ingrédient de la réflexion aurait dû être l’analyse concrète une situation concrète pour répondre au présent en question. Avec le Hirak, sommes-nous en période révolutionnaire, prérévolutionnaire ou bien en processus révolutionnaire ? Ne chipote-t-on pas ! En voyant tout le peuple dans toutes les rues du pays et ce, pendant plus d’une année, on peut accepter ces trois notions.

Aux historiens, avec le recul du temps, de faire joujoux avec la technique de la périodisation pour nommer les différentes étapes du Hirak. Quant à l’analyse concrète d’une situation concrète, ce n’est point l’affaire des historiens mais celle des acteurs qui se confrontent au réel du présent. Ces acteurs ont intérêt à ne point porter de lunettes embuées pour éviter de se fracasser le nez contre le mur du réel. On a vu s’exprimer dans les joutes oratoires durant le Hirak diverses écoles idéologiques. Celles-ci s’adressaient aux citoyens lambda qui se noyaient dans les opinions émises tel le rejet de toute idéologie, là de la morale comme socle de la vie et plus loin l’émotion qui mobilise mieux que la raison. Les idées ou opinions qui flirtaient avec l’histoire et la philosophie politique étaient couvertes par le brouhaha ambiant. Ce brouhaha étouffait le moteur des contradictions qui traversent le peuple. Le peuple, une catégorie non abstraite mais politique, était défini par le vocable de ghachi, de plèbe et l’islamisme serait l’expression de sa pauvreté intellectuelle.(2)

Leur mépris est tel qu’ils ont osé dire qu’ils se sont trompés de peuple. Heureusement, ce dernier avait un grand très grand avocat en la personne de Bertholt Brecht qui écrivit : «Puisque le peuple vote contre le gouvernement, il faut dissoudre le peuple.» Cette citation du grand dramaturge allemand mort en 1956 prouve que le mépris du peuple est la chose la mieux partagée par les forces conservatrices. Ainsi à ce jour, le public n’a pas eu vent d’une réflexion et de travaux sur un quelconque bilan sur la période du Hirak jusqu’au coronavirus. En revanche, l’espace médiatique a été saturé par la polémique soulevée par une publication sur des gens qui seraient «des personnages en vue» du Hirak. Selon des comptes rendus de la presse, il ne serait question que d’accointances de ces personnages avec des forums étrangers. Pour les occupants «en vue» de l’espace médiatique, le ghachi est composé de moutons de Panurge. La notion d’un peuple doté d’une conscience historique ne traverse même pas l’esprit.

Oui, n’en déplaise aux mauvais élèves qui font l’éloge de l’individu, le NOUS (collectif) existe bel et bien et réside dans les entrailles de l’histoire. Le NOUS sait où réside le JE (individu) et la raison qui le fait tomber amoureux de sa propre image. S’agissant de l’Algérie, la longueur du mauvais film de Bouteflika avec ses séquences intégrisme/concorde nationale, l’émergence ex-nihilo d’une «bourgeoisie» rapace, le sinistre et mauvais théâtre de cinq mandats, est la preuve, mesurable par les millions de manifestants, de l’existence d’une conscience historique d’un peuple qui regardait au loin un autre horizon. C’est précisément cette conscience qui fait peur, peur qui a fait ôter le masque à certains, les uns annonçant l’échec du Hirak, les autres appelant à des guides à prendre en charge le Hirak après avoir «conseillé une régression féconde» (4).

On ne sait jamais avec un peuple que l’on croyait en hibernation après 58 ans d’un pouvoir d’autocrates. Et ce peuple a d’ores et déjà donné des réponses à tous ceux qui avaient programmé sa mort ou bien voulu le livrer à un groupe sorti de leur chapeau. Tout ce beau monde reproduit un schéma connu en période de trouble révolutionnaire. L’angoisse qui les étreint les incite à rejoindre le pouvoir en place bien connu. Et c’est connu, l’inconnu fait toujours peur. Et ces gens-là le savent, avec une révolution qui triomphe, leur baratin «philosophique» sera indigeste.

A. A.

(1) On sait que les grands moments de l’histoire libèrent la parole et donnent un coup de fouet à l’imagination. Comme quoi le couple Histoire/Art accouche d’œuvres qui ont construit nos visions du monde.

(2) Déclaration de Lahouari Addi dans le site Algériecultures.com. Ce monsieur oublie que la classe féodale ayant accès à la connaissance de l’islam s’est servie de la religion pour vendre sa médiocrité intellectuelle aux populations du monde arabe pour les cadenasser. Celui qui détient le pouvoir organise la société à son image, et en Algérie nous connaissons ce poison. Marcher sur la tête n’a jamais produit une quelconque performance.

(3) Oxymore, jeu de mots pour surprendre et décrire des paradoxes de la vie par l’utilisation d’un nom suivi d’un adjectif qui signifie le contraire. Exemple au hasard «régression féconde». L’oxymore est d’un usage délicat, il fait de son auteur un poète imaginatif. Et ceux qui s’y aventurent dans un essai ou une revue dite sérieuse, ils trahissent leur pauvreté philosophique de l’Histoire. Autre exemple d’oxymore, «l’Occident est imparfait et à parfaire». L’imparfait, c’est le passé. On ne peut parfaire le passé qui s’est évaporé dans l’infinie éternité. On peut se conforter en le visitant dans des musées à travers des peintures ou bien l’admirer dans des statues. Il faut faire vite car les victimes de cet imparfait sont en colère.

 

Comment (13)

    Anonyme
    1 juillet 2020 - 11 h 53 min

    C’est vraiment la gueule de bois. Lbarah tout le monde s’était extasié devant la mariée. Echouafate n’avaient rien vu pendant elkhitabate. Et maintenant , elle louche et elle boite.

    Tout ce qui est dit ici avec de l’eau de rose avec beaucoup de tendresse d’amertume et de nostalgie , Abou Stroff , Zaatar et Karamazov l’ont dit avec du vinaigre et une grande lucidité sans remords ni regrets. nostalgie .

      Ah oui pour exclure , on est fort !!!
      1 juillet 2020 - 13 h 25 min

      @Anonyme 1 juillet 2020 – 11 h 53 min , on aurait aimé t’avoir du côté du Hirak pour nous donner tes propositions, tes lumières pour rentabiliser la révolution citoyenne et pour voir comment construire l’Algérie moderne de demain ! C’est bien beau de critiquer, d’invectiver, de dénigrer, de rejeter mais on a besoin de solutions , de perspectives qui seront bénéfiques pour tout le peuple algérien, pour l’Algérie (…) !

        Anonyme
        1 juillet 2020 - 16 h 23 min

        Et pourquoi moi ?

        (…)

        Et pourquoi voudriez-vous que tout le monde rejoigne le Hirak? Vous ne pouviez donc changer une société totalitaire que par une société plus totalitaire?

        Ai-je le droit de pensez que même si je suis contre le système le Hirak n’est pas une solution ?

          société totalitaire ????
          1 juillet 2020 - 18 h 58 min

          @Anonyme 1 juillet 2020 – 16 h 23 min , qui t’a dit que le Hirak cherche un régime ou une société totalitaire ???! Non mais certains algériens deviennent vraiment fous, çà va dans tous les sens !

    Belkacem
    1 juillet 2020 - 11 h 49 min

    Écouter chers commentateurs le seul moyen c’est de mettre de très bon gérants pour gouverné un pays dans le désarroi total arrêtez de bricoler tranchant dans le vif et changeant ce gouvernement qui en vrai n’a jamais changer alors voyaient les choses telles qu’elles sont et arrêtez de dire et de tourner autour du pot c’est clair comme de l’eau de roche vive l’algérie et vive le peuple.

    à l'attention de Ali Akika
    1 juillet 2020 - 10 h 23 min

    Monsieur Ali Akika , ok très bien vous avez fait une bonne analyse sociologique ou anthropologique ou se que vous voulez du Hirak, mais vous ne dîtes pas , vous ne proposez ne serait-ce qu’une piste, une ébauche de solution, même d’une manière abstraite ou approximative ou globale, pour nous proposer, suggérer ce qu’il faut faire pour capitaliser ce soulèvement citoyenne du 22 février ! Dorénavant, il nous faut surtout des propositions concrètes pour nous rassembler, des solutions, des issues, des perspectives, des actions, une feuille de route consensuelle etc… etc.. etc… (…)

    Que faut-il donc faire pour capitaliser ce soulèvement dans le but de construire une Algérie d’aujourd’hui où tous les archaïsmes, les régressions culturelles, les pratiques de gouvernance du type stalinien, de pays dits arabo-islamiques (dictature, autocratie, instrumentalisation du religieux, injustice, absolutisme, arbitraire, mépris du citoyen, prééminence de l’armée sur le civil ou le politique etc… etc…) seront bannis et soient enfin derrière nous ???

    Wlad França
    1 juillet 2020 - 10 h 01 min

    Voilà un autre papier inutile sur le Hirak. L’auteur réfutant tout ce qui s’est dit et écrit sur le hirak, par ses thuriféraires comme par ses contradicteurs, ne fait que revisiter des lieux communs.
    Tout ceci indique que le Hirak est un mouvement pacifique d’essence évolutionnaire qui échappe aux grilles de lectures des uns et des autres. Et c’est tant mieux!
    Tous ces brasseurs de fange ne font, en vérité, que soulever des effluves et par conséquent des haut-le-coeur.

      Wlad dzair.
      1 juillet 2020 - 15 h 33 min

      Ya sahbi l’anonyme qui change son pseudo tu parles beaucoup et pour rien.

      Belveder
      1 juillet 2020 - 16 h 08 min

      tu viens d enfoncé une porte ouverte

        Wlad França
        1 juillet 2020 - 16 h 51 min

        Tu ne te défonces pas trop pour la grammaire. Si tu mettais un R à ‘enfoncé’, ça ferait plus français.

    Karamazov
    1 juillet 2020 - 9 h 49 min

    J’aurais pu avoir le même sentiment si j’avais trouvé un peu de nostalgie et une bonne dose d’amertume pour m’inspirer. Mais comme il a dit lui à propos de Virginie Wolf: qui trouve ennuyeux tout ce qu’elle n’a pas écrit et qui pense que nous nous savons pas nous ennuyiez parceque nous ne sa vons pas écrire comme lui, je ne vais pas lui dire que moua je réécris tous ses romans avec mes propres sensations pour ne pas m’ennuyer.

    Mais la phrase qui attiré mon attention c’est :

    Et pour cause le Hirak est un mouvma irréfléchi, dû à la susceptibilité de la populace face à l’humiliation du cinquième mandat. c’est un réflexe et un reflexe n’est pas réfléchi.

    La preuve est dans ce que fustige l »auteur: les tentatives de lui donner un sens qui ne viennent pas toutes de ceux qui cherchent à se faire un nom à ses dépends. Rappelez vous le zoizio de « mon nom est personne » : souvent ce sont ceux qui vous veulent du bien qui vous mettent dans la m… »

     » L’association de ces deux notions n’est pas une clause de style mais l’expression de mouvements historiques (1) qui transforme le réel (politique) et l’habille de sa beauté (poésie). »

    Le Hirak n’est pas une révolution , la théorie en chantier, c’est une réponse inflammatoire à une provocation. Et vous savez ce que cela donne avec le Covid.

    Pourquoi donc le Hirak en marche ( c’est un pléonasme) qui na pas été le produit d’une réflexion, d’une convergence, d’un compromis politique ,comme tente de le faire le PAD n’a t-il pas généré une réflexion si tenté que celle-ci lui manquât ?

    Et pourquoi donc toutes les théologies, toute la littérature, tous les conseils qu’on lui consacrât n’ont pas pris?
    La réponse a été dit : ce mouvement est un mouvement messianique incantatoire , qui est animé Par les désirs et les fantasmes de la populace, ce dont lui a besoin c’est d’une , romance comme le fait l’auteur, ou, comme il le suggère, d’une « poésie ».

    « Hélas, cette interruption ne semble pas être l’occasion d’une réflexion débordante de fécondité.  »

    Il fallait attendre que le Hirak s’arrête pour s’apercevoir qu’il n’a rien à dire?

    La théorie, la littérature, l »histoire, c’est pour ceux qui regardent .

      Wlad França
      1 juillet 2020 - 14 h 47 min

      Tu devrais arrêter de répéter les mêmes inepties.
      Nous avons compris ton message. Le hirak est une procession incantatoire exécutée tous les vendredis, après Dhouhr, par des tubes digestifs ambulants. Soit!
      Maintenant, arrête de nous triturer les bijoux de familles. Il n’y a pas plus d’espoir d’en tirer du lait.

    Anonyme
    1 juillet 2020 - 9 h 22 min

    Merci AP d’avoir arrêté de nous vendre une diversion située au Moyen Orient qu’on appelle la Palestine merci de s’être recentré sur l’Algerie

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