Haftar aux Italiens : «Rendez-moi mes footballeurs je libère vos pêcheurs !»

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Les deux otages italiens libérés, Nicola Chiacchio et Pier Luigi Maccalli. D. R.

De Rome, Mourad Rouighi – L’annonce de la libération de deux otages italiens au Mali, hier soir, aurait dû combler de joie tout un peuple, or elle a été très vite reléguée au second plan. La presse italienne, proche de l’opposition de droite, préférant au lieu de s’en féliciter, tirer à boulets rouges sur la gestion de la part du gouvernement italien de l’autre affaire, celle des 18 membres d’équipage des bateaux à moteur Antarctica et  Medinea de Mazara del Vallo, arrêtés par les hommes de Khalifa Haftar et depuis plus d’un mois tenus prisonniers dans le port libyen de Benghazi.

Leur sort symboliserait, selon certains éditorialistes et de manière frappante, la perte d’influence et de dissuasion dont peut se valoir aujourd’hui Rome dans son «arrière-cour» de la Méditerranée.

Et Di Maio, le jeune chef de la diplomatie italienne, a beau se montrer rassurant, en affirmant que pour la libération des 18 pêcheurs, tout sera fait, en actionnant, si nécessaire, tous les canaux internationaux, le verre pour une partie de l’opinion publique apparaît décidément à moitié vide !

Certes, personne n’ose mettre en doute que le ministère des Affaires étrangères et les renseignements italiens tentent, par tous les moyens, de ramener ces pêcheurs chez eux, mais souligne une partie de l’opposition, un tel enlèvement finit par entamer le poids de l’Italie sur la scène internationale.

Après tout, il est très probable que Khalifa Haftar, qui n’en est pas à son premier geste inamical vis-à-vis de l’Italie, vise précisément à humilier le gouvernement de Giuseppe Conte, le punissant pour ses «égarements» dans la gestion de la crise libyenne.

C’est que la saisie des deux bateaux de pêche a eu lieu quelques heures après que le ministre des Affaires étrangères, Luigi Di Maio, se soit rendu à Tripoli puis à Tobrouk pour rencontrer les dirigeants des «deux Libye».

De même, en Cyrénaïque, les officiels italiens ont jusqu’ici tenu à rencontrer Khalifa Haftar, mais lors de son dernier voyage le chef de la diplomatie italienne est allé s’entretenir avec le président du Parlement de Tobrouk, Aguila Saleh, considéré comme le «nouvel homme incontournable» de l’est du pays et l’interlocuteur à soutenir, après l’échec cuisant de l’assaut militaire de Tripoli des troupes de Khalifa Haftar.

Ce dernier aurait donc décidé de faire payer cette entorse aux us protocolaires, en ordonnant l’arrestation de 18 marins. Rome, pris au dépourvu, s’est tourné vers les meilleurs alliés de Benghazi : la Russie, l’Egypte, les Emirats arabes unis et la France, mais sans succès.

En attendant, il est difficile d’avancer la moindre esquisse de prévision, même si un diplomate italien au fait du dossier nous dit que la prise de risque de Khalifa Haftar s’inscrit dans un cadre plus large, ayant pour objectif d’humilier personnellement le ministre des Affaires étrangères, Luigi Di Maio, ce qui n’est pas pour déplaire à certains Etats qui ont une influence en Libye, qui observent la perte de la crédibilité et de prestige d’une nation concurrente, avec une certaine satisfaction non dissimulée.

Sur le terrain des tractations, Haftar exige la libération de «4 footballeurs libyens», effectivement en garde à vue en Italie, mais pour des condamnations pour trafic d’êtres humains et de tortures.

Pour l’obtenir, les hommes de Haftar ont communiqué qu’ils avaient trouvé de la drogue à bord des bateaux des pêcheurs italiens, une trouvaille visant peut-être à augmenter la peine qui pourrait être infligée à ces otages, facilitant ainsi l’échange, au moment défini, ce qui, nous dit-on, est totalement inacceptable pour Rome.

Face à ces provocations, le gouvernement italien semble avoir renoncé à mettre en place «toutes les options», expression qui sous-tend le recours à des actions militaires pour libérer les otages et punir les auteurs de l’enlèvement par de dures représailles.

De fait, l’opposition reproche ouvertement à Di Maio d’adopter une attitude jugée trop passive vis-à-vis du chantage – le mot est lancé – exercé par Haftar à l’endroit de l’Italie et rappelle que les forces spéciales, qui sont parmi les meilleures au monde, sont certainement capables de mener un blitz visant à libérer les otages (probablement divisés en trois sites différents pour réduire les risques), oubliant au passage de souligner qu’aucun gouvernement italien n’a jamais exercé cette option.

Des voix ici et là arrivent même à suggérer aux forces aériennes et navales un survol à basse altitude du quartier général de Haftar et l’envoi d’un renfort naval à proximité des eaux territoriales devant Benghazi pour inciter ce dernier à faire preuve de plus de respect pour les Italiens.

Un durcissement de ton qui, de toute évidence, finit par desservir l’action des services italiens, plus que jamais à la recherche de médiateurs fiables et, surtout, efficaces.

L’un d’entre eux, sous couvert d’anonymat, a confié au Fatto Quotidiano qu’en d’autres temps deux coups de fil auraient suffi pour débloquer la situation.

M. R.

Commentaires

    -DZ
    10 octobre 2020 - 14 h 26 min

    Il n’ ya que les percheurs égyptiens qui ont le permis et le privilège de Haftar.

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