Ne laissons pas l’Algérie sombrer dans l’obscurantisme religieux
Par Youcef Benzatat – Suite à ma dénonciation de la condamnation abusive d’Amira Bouraoui à trois ans de prison ferme, pour avoir critiqué le Prophète Mohamed, un déluge d’insultes, de menaces, de lynchage à mort m’a ciblé via les réseaux sociaux. Sans débat, sans recul, sans même la moindre manifestation d’une quelconque curiosité à vouloir connaître et comprendre le contenu des propos incriminés.
Il a suffi que la justice évoque une «offense au Prophète» pour que le bigotisme, l’obscurantisme, la mentalité inquisitrice et la violence barbare qui les caractérisent jaillissent violemment de l’esprit ténébreux de nos concitoyens les plus atteints par l’aliénation dans le religieux pour venir se déverser à tout va, tel un torrent de haine spontané, incontrôlé et irrationnel.
Bien que la critique de la religion par les esprits éclairés dans la société, comme pour toute autre idéologie, notamment l’idéologie identitaire, sont nécessaires pour faire avancer la société et l’émanciper des conservatismes qui alimentent le reflux vers le statu quo. L’obscurantisme ténébreux dans lequel sont plongés nos concitoyens ne leur permet pas de l’entendre de ce point de vue. Surtout lorsque le pouvoir se drape du rôle de police de la foi. Notamment par la structuration du système législatif et l’éducation nationale autour du dogme religieux, par la persécution des non-jeuneurs, des pratiquants d’autres cultes, des athées ou des esprits critiques du dogme tenus systématiquement pour des blasphémateurs.
Cette attitude des pouvoirs publics contribue gravement à cette dérive obscurantiste de la société pour en faire une proie facile. En alimentant et en aggravant son aliénation dans l’imaginaire mythologique religieux, pour la maintenir au stade de la conscience pré-politique, de sorte qu’elle soit incapable de penser ses libertés de conscience, les fondements philosophiques de la citoyenneté et des droits politiques souverains, conformément à un régime politique véritablement démocratique. Les divisions, les balbutiements et les hésitations du Hirak trouvent leur explication dans ce schéma contrerévolutionnaire, tant étatique que propre à l’obscurantisme religieux et le repli identitaire dans lesquels la société est aliénée. C’est la raison pour laquelle le pouvoir persécute systématiquement toute personne s’aventurant à critiquer les fondements du dogme religieux, tout en fermant les yeux, voire en accompagnant avec complaisance le vacarme produit par l’idéologie identitaire ethniciste.
Cette posture des esprits éclairés, par la critique du dogme religieux et de toute autre idéologie réactionnaire, est légitime et constitue une pensée d’avant-garde pour l’émancipation politique de la société. Elle est un droit et un devoir inaliénable, quels que soient la répression, les intimidations, les menaces et toute forme de lynchage, d’où qu’ils viennent. Leur combat est juste et rien, ni personne, ne pourra les détourner de l’accomplissement de leur droit et leur devoir, car ils sont convaincus que le salut de la société en dépend. Avec le temps, leur combat deviendra un référent à l’émancipation des consciences et à leur insertion dans la contemporanéité du monde.
On n’est pas dans le cas de figure des attaques gratuites, sournoises et nauséabondes, commises ailleurs contre la figure du Prophète, par sa stigmatisation caricaturale excessive et mal intentionnée, par sa médiatisation spectaculaire, humiliante et réductrice de son humanité. Ces attaques sournoises contre la figure du Prophète de l’islam sous d’autres cieux ne visent pas le dogme religieux dans l’absolu, mais exclusivement les clichés les plus abjects du dogme musulman, en évacuant toute critique caricaturale et médiatiquement spectaculaire, comme pour l’islam, du judaïsme et du christianisme et de leurs Prophètes.
Nos esprits éclairés ont d’autres objectifs, appuyés par d’autres motivations, dont le principal intérêt est d’inscrire leur combat dans un processus révolutionnaire qui a pour finalité de faire passer la société de la tradition à la modernité entendue comme un paradigme universel du vivre-ensemble et de la libération des consciences individuelles et collectives.
Les tâches qui attendent la génération présente et à venir ne peuvent être annihilées par la répression, l’intimidation, la menace et le lynchage. Les textes canoniques de la religion, le Coran et les Hadiths, ne peuvent échapper à la critique et à la reformulation à la lumière de la science historique et à l’archéologie des religions pour dissocier ce qui relève de la construction mythologique et ce qui est proprement factuel. Si les textes canoniques, le Coran et le Hadith, de l’avis de la communauté scientifique, sont le produit de la vie intellectuelle de l’époque de leur cristallisation sous forme de dogmes, nos esprits éclairés aujourd’hui sont en droit, et ont le devoir, de reprendre et de poursuivre cette vie intellectuelle pour revisiter ces dogmes à la lumière des connaissances de notre époque et apporter les critiques nécessaires au profit de l’émancipation de la société d’aujourd’hui.
Y. B.
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