La harkité est plus pernicieuse que le harkisme
Une contribution de Khider Mesloub – Si les harkis ont l’excuse des dramatiques circonstances de l’histoire, la harkité ne peut se prévaloir d’aucune circonstance historique pour atténuer sa culpabilité morale. Si l’histoire passée des harkis mérite d’être dépassée, en revanche la harkité contemporaine, fondée sur l’apologie du narratif historique de l’Algérie française et, corrélativement, des crimes de guerre perpétrés par la France coloniale, doit soulever toujours notre indignation et galvaniser notre colère pour combattre cette infâme entité qui vit sur la haine mémorielle pour soutirer aux autorités françaises des prébendes. S’octroyer des sinécures. Pérenniser les ressentiments nationaux. Réactiver les rancœurs entre le peuple algérien, animé depuis plusieurs décennies de mansuétude, et le peuple français contemporain innocent.
Tout se passe comme si la harkité œuvre délibérément à l’exacerbation des tensions entre les deux peuples pour torpiller toute réconciliation. La harkité est cette épine «envenimeuse» plantée dans le corps des institutions françaises pour gangrener leurs relations avec l’Algérie, dans le cœur des Français pour altérer leurs bons sentiments à l’égard des Algériens. Il n’est pas dans l’intérêt de la harkité que la France se réconcilie avec l’Algérie. Qu’elle reconnaisse ses crimes. Cela impliquerait la fin de tout récit apologétique de cette sanguinaire guerre livrée au peuple algérien. Donc la fin des hommages rendus à ces criminels supplétifs de l’armée coloniale française. La fin des dédommagements financiers. Des pensions de la honte. En un mot, la fin de la harkité.
La harkité, c’est ce masque idéologique hideux que les descendants de harkis ont revêtu sur leur figure bicéphale pour se composer un rôle victimaire afin d’apitoyer la naïve population française, amadouer les pouvoirs publics en vue de leur extorquer des libéralités, des prérogatives, des préséances. La harkité (la mouvance lobbyiste fondée par la descendance des harkis) est plus pernicieuse que le harkisme (le mouvement de harkis constitué durant la guerre).
Si le harkisme peut s’expliquer historiquement, la harkité ne peut nullement se justifier rationnellement. En effet, comme l’a souligné l’historien Mohammed Harbi, «l’idée selon laquelle les harkis auraient été des traîtres ou des collabos devrait être dépassée car les affrontements de la Guerre d’Algérie et ceux qui ont opposé la résistance française aux collaborateurs ne peuvent pas être assimilés».
Jusqu’à nos jours, en matière de griefs relatifs à ce chapitre sanguinaire de l’histoire de l’Algérie, comme je l’avait déjà écrit, il est communément admis que les ressentiments nourris par les Algériens à l’encontre des harkis sont inversement proportionnels à ceux qu’ils réservent à l’ancienne puissance colonialiste. Comme si la main qui a trahi est plus condamnable que le corps armé qui l’a mobilisée, que le cerveau gouvernemental colonial qui l’a dirigée. Paradoxalement, le génocidaire français bénéficie, depuis l’indépendance, de la clémence, de la bienveillance, de l’indulgence (preuve de la mansuétude du peuple algérien), tandis qu’on réserve aux harkis une démentielle haine inexpiable, inextinguible, intarissable. Les supplétifs de l’armée coloniale sont toujours voués aux gémonies, tandis que la France coloniale est accueillie en Algérie avec cérémonies. Le harki est toujours accablé pour sa collaboration circonstancielle, tandis que le pays colonisateur a été absout de ses crimes – contre l’humanité… algérienne. Le harki, pourtant lui aussi victime d’embrigadement contraint par l’armée coloniale, est devenu l’exutoire de ressentiments accumulés pendant presque un siècle et demi d’occupation coloniale.
Selon mon hypothèse, l’Algérien contemporain est davantage révolté contre la harkité, toujours opérationnelle et nuisible, que contre le harkisme, en vérité disparu de l’histoire avec la mort de la majorité des protagonistes harkis.
En effet, dans cette «problématique harkie», pour nombre d’Algériens contemporains, le plus dérangeant moralement, selon moi, ce n’est pas tant l’inexcusable comportement politique d’Algériens fourvoyés dans la Collaboration, majoritairement décédés, mais l’abominable entité apologétique et lobbyiste bâtie par les descendants des harkis : la harkité. Jamais dans l’histoire, on avait vu les enfants de collaborateurs ou de traîtres s’ériger en association pour défendre la mémoire criminelle de leurs aïeux. Vivre de la haine mémorielle.
Comme si des enfants d’assassins notoires, des tueurs en série, condamnés lourdement par la justice, décidaient de créer une association pour rendre hommage à leurs pères respectifs meurtriers. Adhéraient fièrement au narratif criminel de leurs pères. Cautionnaient orgueilleusement leurs agissements criminels. Œuvraient à la popularisation de leur scélérate «cause». Et, en raison de l’incarcération de leur père, responsable, selon eux, de leur échec social et détresse psychologique, décident de réclamer des compensations financières à l’Etat, un traitement de faveur en matière d’attribution de travail et de logement, d’accès à l’université et des grandes écoles. Comment réagirait la société civile devant une telle entreprise ? Elle considérerait une telle démarche initiée par ces énergumènes dénués de moralité, sinon comme relevant d’une pathologie psychiatrique, au moins d’une ignoble provocation. Moralement, c’est inconcevable. Inimaginable. D’ordinaire, pour sauvegarder leur dignité familiale souillée, les enfants de criminels rompent définitivement leurs relations avec le parent coupable, voire d’identité, de pays, afin de tourner cette page sombre et continuer à vivre normalement et discrètement parmi la population.
Et pourtant, les enfants de harkis, cette entité maraudeuse, sans scrupules ni remords, ils l’ont réalisée. Officiellement enregistrée auprès de l’Etat français. Depuis plus d’un demi-siècle, cette entité bénéficie même de lois d’exception. De protection. De subventions. D’exemptions fiscales. De traitement différencié. D’hommages. De cérémonies. De dédommagements itératifs. De pensions intergénérationnelles ad vitam æternam. Désormais, ces êtres hybrides ont érigé la honteuse et lucrative harkité en fierté identitaire communautaire. En carte d’identité. En carte de visite. En passe-droit. Cessibles de génération en génération.
K. M.
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