Après la Chine et la Russie : l’Allemagne est-elle dans le collimateur américain ?
Une contribution d’Ali Akika – Est-il paradoxal de voir l’Allemagne rejoindre la Russie et la Chine dans la ligne de mire des Américains ? Pas vraiment car l’Allemagne «énerve» l’Oncle Sam et ce dernier la punit en faisant sauter les deux gazoducs Stream 1 et 2. Seymour Hersh, un grand journaliste américain, vient de révéler les auteurs de cet attentat portant la marque des services secrets américains. Disons que l’Allemagne est potentiellement puissance économique concurrente et que ses relations économiques avec la Russie peuvent contrarier l’objectif de l’Oncle Sam de demeurer le maître du monde. Le jeu et les actes des Etats-Unis bénéficient de l’indulgence de la presse occidentale, «symbole» de la liberté d’expression. Il est vrai que le brouillard de la guerre (formule de Clausewitz) et la complexité de la géopolitique mondiale ne facilitent pas, pour les citoyens lambda que nous sommes, la lecture et l’analyse de situations conflictuelles. Essayons de comprendre pourquoi l’Allemagne, amie et alliée des Etats-Unis, est sur la liste à surveiller de la part de la NSA/CIA qui, rappelons-le, écoutait l’ex-chancelière Merkel. Ne comptons surtout pas sur la presse «nobélisée pour sa servilité» pour nous expliquer ce genre de paradoxe.
Petite parenthèse sur ces «experts» qui découvrent des vérités qu’ils cachaient jadis. Ainsi, les stocks d’armement des pays de l’OTAN souffriraient de la stupide promesse de Fabius, qui annonça le règne de la paix après la disparition de l’URSS. Si on ajoute la non moins idiotie de «la fin de l’histoire» de Fukuyama qui se prenait à la fois pour Machiavel, Marx et Clausewitz, la boucle est bouclée sur la «profondeur de la Pensée» qui dirige le monde. Nous n’avons besoin de ces petites révélations car la pensée et les valeurs sont enregistrées par l’Histoire avec un H majuscule. On y apprend que les exploits de cette «Pensée» avec ses cortèges d’esclaves, ses cimetières de massacres collectifs, ses refugiés produits par des guerres au nom de «valeurs» qui seraient des totems intouchables.
Mais revenons à la paradoxale «liste» Chine-Russie-Allemagne.
Pour que l’Allemagne soit victime d’un attentat contre ses gazoducs, poumons de son industrie, c’est que son alliance avec les Etats-Unis recouvre un rapport dominant/dominé. En vérité, l’Allemagne est sous un régime de surveillance depuis sa capitulation de la Seconde Guerre mondiale. Et ce régime lui interdit, entre autres, la possession de l’arme nucléaire que des bases américaines surveillent ce pays pour détecter toute velléité de violer cette interdiction.
Mais avant de m’étendre sur les raisons concrètes qui ont poussé les Etats-Unis à se comporter d’une façon cavalière avec l’Allemagne, une ou deux phrases sur la Chine et la Russie qui subissent frontalement et plus brutalement encore la politique américaine dont l’ivresse de la puissance ne semble pas avoir de limite. J’avais noté dans Algeriepatriotique la tentative des Etats-Unis de neutraliser les rapports URSS/Chine à l’époque où les Etats-Unis étaient embourbés au Vietnam. Aujourd’hui, cette tentative/tentation s’est muée en obsession pour casser carrément les rapports solides entre la Chine et la Russie (1). Inutile de rappeler les exploits de nos «experts» qui bassinaient l’opinion avec leur vision riquiqui et imbécile sur les relations Chine-Russie. Ils avaient ainsi pronostiqué que la Chine avec son peuple de «commerçants» n’allait pas sacrifier l’immense marché américain pour faire ami-ami avec la Russie au sujet de la guerre en Ukraine. Leur raisonnement sur la Russie frétille en s’appuyant sur son Produit intérieur brut (PIB) qui serait du niveau de l’Espagne. Ces moukh (puissants cerveaux) oublient que les 6 000 têtes nucléaires, 10 000 chars, 1 500 avions dernier cri et, surtout, les céréales pour se nourrir et le gaz, pour ne pas mourir de froid, permettent à la Russie de résister aux 27 pays européens que la simple augmentation du gaz a mis dans tous leurs états, sans jeu de mots. Pour ces «experts», faire la guerre, et surtout la gagner sans rien payer, fait partie des contes de fée où un prince cherche sa princesse et vice-versa.
Quant à la Chine, «accusée» par nos «experts» de s’intéresser plus au commerce avec l’Occident que de soutenir politiquement la Russie, prouve que ces «spécialistes» sont des ignorants de la philosophie politique chinoise. Manque de pot (pas de chance) pour ces esprits formatés, les Chinois ont hérité de leur premier président Mao, la philosophie qui donne la primauté au politique dans la vie et l’organisation de la société. Réduire donc les Chinois à de simples commerçants, c’est le genre de préjugé, hélas, qui infeste des cerveaux malades…
Passons à l’Allemagne. Ce géant économique joue à maintenir un équilibre dans ses relations internationales pour baisser les tensions avec ses alliés et ne pas se couper du monde en train de s’organiser en dehors des diktat de l’Oncle Sam. Rappelons un fait déjà signalé plus haut, qui a été ignoré et enterré par la presse aux ordres, la destruction des gazoducs Stream 1 et 2. (2). Il me plaît de signaler que c’est Trump, alors président, qui s’est opposé à l’inauguration de Stream 2. Je l’avais écrit pour signifier que ce n’était pas une initiative individuelle mais une décision de l’Etat profond américain. Sa destruction aujourd’hui dont on fait semblant de ne pas connaitre l’auteur. Ce mutisme en dit long sur un monde qui se tire une balle dans le pied. Pourquoi attaquer un gazoduc d’un pays allié ? Pour affaiblir un concurrent particulier ? Pas seulement ! Pour faire d’une pierre deux coups.
Dans l’immédiat, empêcher l’achat du gaz russe pour assécher les ressources de ce pays. A long terme, affaiblir la puissance industrielle allemande qui tient sa compétitivité, outre le talent de ses ingénieurs et la qualité de produits, du gaz russe gaz acheté bon marché et qui, une fois les vannes du gazoduc ouvertes, alimente dans l’heure qui suit les usines et les appartements de toute l’Allemagne. Objectif double des Américains, casser les relations russo-germaniques, réduire l’insolente puissance allemande pour qu’elle ne fasse pas la loi à l’intérieur de l’Union européenne. Face à cette guérilla américaine, l’Allemagne s’organise et noue des relations avec des pays qui ne baissent pas l’échine devant l’Oncle Sam. Le voyage du chancelier allemand en Chine et en Amérique latine (deux continents où la Russie compte de nombreux amis, y compris parmi les BRICS) est un signe que l’Allemagne ne veut pas mettre ses œufs dans un même panier. Au-delà de ces problèmes purement économiques, l’Allemagne regarde vers un horizon plus lointain.
La position de l’Allemagne au centre de l’Europe, ses liens historiques et culturels avec l’Europe de l’Est, y compris la Russie, sont autant d’atouts géopolitiques favorisés et facilités par la proximité géographique que l’Allemagne veut exploiter à son profit. Avec les contraintes de sa capitulation en 1945, elle n’a pas la folie des grandeurs comme certains Etats pour se projeter militairement dans les continents lointains. Avec la Russie, elle a trouvé un terrain d’entente. La Russie lui fournit l’énergie indispensable à son industrie et, en contrepartie, l’Allemagne commerce avec elle et ne s’associe pas à la cohorte des Etats qui veulent l’isoler et qui, à l’occasion de la guerre actuelle, rêvent de la démembrer. La Pologne et les pays baltes sont en première ligne dans cette entreprise que l’ancien président polonais Walesa l’a souhaité avec délectation.
Cette vision historique et géostratégique de l’Allemagne n’est pas le fruit du hasard. L’histoire le lui impose, et cette nécessité exige d’elle de desserrer le poids hérité de la guerre, de maintenir des liens avec son environnement géopolitique et de s’ouvrir au monde pour mieux résister aux bouleversements de la guerre en Ukraine. D’ores et déjà, sa politique intérieure est influencée par la guerre otanienne. La coalition gouvernementale tangue, un candidat socialiste a perdu son siège dans une élection régionale. Et plus grave, la tentative d’un coup d’Etat, il y a quelques mois, n’est-il pas un signe de fissure dans le paysage politique de la société, signe que du travail sur la planche attend l’Etat profond allemand pour éviter que surgisse une sorte de la bande à Bader (2) ?
Un an après le début de la guerre, l’Oncle Sam semble patauger dans des sables mouvants ; plus il avance dans son désir d’affaiblir la Russie (déclaration du patron du Pentagone), plus il s’enfonce dans les sables en question. La dernière rencontre à Munich le 18 février, entre le secrétaire d’Etat américain Blinken et Wang Yi, représentant du Parti communiste chinois, qui s’est conclue sur un échec, est la preuve que l’objectif de briser les relations entre la Chine et la Russie est à ranger dans le grenier des chimères. Ajoutons Wang Yi a été reçu par Poutine et le président chinois est attendu à Moscou. L’inquiétude monte aux Etats-Unis et à l’OTAN qui pensaient acheter la Chine avec les marchés occidentaux. Comme si ces marchés ne dépendaient que de la Chine, qui exporte en Occident tant de produits que les industriels occidentaux, appâtés par les profits, ont préféré transférer leurs usines en Chine. L’Oncle Sam tente de les rapatrier chez lui mais, comme l’argent n’a pas de prix et que le temps chez lui est de la monnaie, il n’est pas certain qu’on écoute notre Oncle Sam…
Quant à la Russie que l’on espérait affaiblir et l’obliger à quémander des négociations, on assiste à l’impatience et même l’énervement des Américains qui ont fait comprendre à leur poulain Zelensky de se préparer à renoncer à 20% de son territoire. De plus, les Etats-Unis, qui voulaient se servir de l’Europe comme point d’appui contre la Russie, voient plutôt surgir des bisbilles entre les pays de l’Union européenne. Les effets de la guerre, inflation et ralentissement de l’économie dû à la hausse de l’énergie, aggravent une situation déjà en mauvaise posture à cause du Covid et du Brexit pour une Angleterre dont l’économie financiarisée est à bout de souffle. Et l’Allemagne, prise entre l’étau de ses remords de la dernière guerre mondiale et les nécessités d’acheter à bon marché son gaz et de continuer à engranger des devises grâce au dynamisme et à la qualité de ses produits à l’étranger, navigue sur un bateau qui tangue. Des observateurs parient sur l’éclatement de la coalition gouvernementale allemande et la ministre «verte» des Affaires étrangères (qui a dit des énormités politiques contre la Russie) se voit déjà Première ministre. Si cela se confirme, la bateau Allemagne ne tanguera plus seulement mais, pris dans la tempête avec une pareille première ministre, ne pourra pas trouver un port d’attache en attendant que la tempête se calme…
Avec un tel bilan, alors que la guerre est entrée dans sa deuxième année, on ne peut que constater que l’ivresse de la puissance trouve ses limites quand les Américains affrontent un pays qui a les moyens de se faire respecter. Et les experts qui tirent des plans sur des comètes avec des mots creux collés à des «idées» sentant la naphtaline et rêvant de tribunaux internationaux, fatigués qu’ils sont, méritent de prendre des vacances.
A. A.
1- Il est cocasse, pour ne pas dire ridicule, de vouloir empêcher la Chine d’aider la Russie à résister devant l’entreprise d’affaiblissement de ce pays. Lequel affaiblissement de la Russie faciliterait la neutralisation de la Chine, objectif des Etats-Unis. Et pour faire plaisir à ces «experts», la Chine devrait attendre tranquillement son tour sans réagir. Tels sont les fruits de cette «Pensée profonde» que les serviles veulent vendre à l’opinion. Quel monde ! Et surtout quelle niaiserie !
2- La presse occidentale a laissé entendre cyniquement et hypocritement que la destruction des gazoducs Stream 1 et 2 était l’œuvre de la Russie. Leurs explications alambiquées révélaient leur servilité et leur bêtise insondable. Heureusement, un célèbre journaliste américain ébranla leur château en carton-pâte et sauva l’honneur des journalistes qui respectent l’éthique de leur profession.
3- La bande à Baader est une organisation allemande qui pratiquait la lutte armée dans les années 1970 pour s’opposer à l’Etat.
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