Le mythe qui tue
Par Karim B. – La mer vient encore d’avaler des jeunes qui rêvaient de l’Eldorado. Ils ont été ravis aux leurs après que l’embarcation qui devait les emmener sur le rivage nord de la Méditerranée a chaviré, offrant leur chair aux poissons carnivores. Quel gâchis ! Des jeunes à la force de l’âge qui couraient derrière les chimères que leur envoient ceux qui les ont précédés à l’émigration clandestine et qui ont pu atteindre leur but : celui de se retrouver en France d’où ils font miroiter des mirages à ceux qui se surprennent encore à les croire.
L’Eldorado en France ? Ah bon ! Suivons le parcours typique d’un de ces jeunes qui risquent leur vie en déboursant jusqu’à plus d’un million de dinars – ils ne sont donc pas dans le besoin – pour se retrouver dans les quartiers les plus malfamés de Paris à vendre des cigarettes à la sauvette à Barbès, à la sortie du métro de Montreuil ou dans le 93, cette fameuse banlieue nord de la capitale française où est concentrée une forte communauté algérienne si pauvre qu’elle est proche du dénuement.
Entre les images factices de confort et de richesse que reçoivent nos jeunes mal informés de la part de ceux qui ont choisi de vivre dans le mythe et l’illusion et la réalité, il y a un gap si grand qu’il en est incommensurable. Se filmer sous un morceau de fer boulonné, en vérité d’une laideur repoussante, pointant vers le ciel, appelé Tour Eiffel, qui n’a de beau que ce que les Français en ont fabulé pour contrefaire une merveille du monde, une canette de bière à la main en guise de «liberté» et d’«intégration» n’est que pure mythomanie. Car, dans la vie de tous les jours, les plus chanceux de ces harraga rêvent de rentrer au pays mais éprouvent un sentiment de honte de ce que de leurs fantasmes et de leurs utopies, ils n’auront récolté qu’une roupie de sansonnet.
Harraga traîne-savates à Paris, Marseille et ailleurs, arrêtez donc d’entraîner notre jeunesse dans votre ruine matérielle et morale totale, parce que vous vous rendez coupables de la mort des dupes qui gobent vos fables. L’enfer du Nord, restez-y si cela vous chante, mais ne contez pas fleurette à ceux qui briguent l’aisance outre-mer mais qui auront pour seule consolation – quand ils n’auront pas fini leur traversée dans le ventre d’un requin – le regroupement de pitoyables qui atténue un tant soit peu la douleur de l’échec et de l’éloignement.
K. B.
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