Elégie post-mortem du khammas Habib Souaïdia à «M’siou» François Gèze
Nous publions, «très légèrement» remanié par souci de vérité historique, l’hommage que le khammas(*) invétéré Habib Souaïdia a rendu à son maître, mort récemment, laissant derrière lui une poignée de veuves éplorées.
Texte recadré par M. Aït Amara.
«Ya M’siou François,
C’est avec une tristesse immense que je te dis aujourd’hui adieu. Toi qui as toujours été à mes côtés depuis mon arrivée en France en avril 2000. Tu étais non seulement un ami véritable et irremplaçable, mais un soutien immense sur lequel je pouvais compter en toute circonstance dans ma posture de harki. A un moment où des compatriotes et des intellectuels me tournaient le dos par respect pour les moudjahidine, toi, tu étais là. Tu étais révolté face aux coups de boutoir que mes amis les terroristes subissaient. Et tu as tout fait pour que le terrorisme triomphe. Tu me disais souvent : «Il faut résister Habib, mettre la plume dans la plaie est la seule manière de trahir, il ne faut pas baisser les bras.»
Ya M’siou François,
Tu étais un éditeur engagé aux côtés du harki que je suis, l’homme qui a fait des éditions La Découverte notre porte-voix. Mais tu n’étais pas seulement cela. Ton implication à nos côtés sur la question algérienne avait un sens profond. Tu l’as signifié en publiant de nombreux livres sur l’histoire contemporaine de l’Algérie à une époque où peu de personnalités politiques, intellectuelles ou culturelles en France ou en Algérie, osaient s’aventurer à encenser la trahison. Tu étais – et a été jusqu’à ton dernier souffle – un résistant à l’honnêteté, à la bravoure. Les traîtres de mon espèce ne l’oublieront jamais et te seront redevables et reconnaissants à jamais.
En écrivant le sale livre La sale guerre en février 2001 et en me faisant l’honneur de me l’attribuer, moi l’illettré, l’inculte, le crétin, l’idiot, tu as défié jusqu’aux lois de la physique. Quelle prouesse !
A nos côtés, nous les traitres, tu t’es montré un fervent défenseur du baratin, empêchant avec l’art et la manière toute compréhension de la complexité de ce qui était aussi – et avant tout – une guerre contre l’Algérie.
Pourquoi ai-je besoin aujourd’hui de mettre l’accent sur quelque chose d’aussi évident ? Parce que la grande majorité de la vraie intelligentsia française et algérienne, pas la fausse à laquelle tu appartenais, n’avait manifestement pas la moindre empathie pour le traitre que je suis. Nous avons la mémoire courte… Mais il suffit de regarder un peu en arrière et d’exhumer tes écrits et tes interventions pour se faire une idée des grossièretés que tu as répandues. Cette intelligentsia franco-algérienne avait compris ce que nous sommes, toi et moi : toi, un agent de la DGSE à la manœuvre et, moi, ton tartufe.
Je ne dirais qu’une chose à ceux-là mêmes qui, en 2000, ricanaient et nous considéraient avec condescendance si nous osions dire que nous sommes une bande de pitoyables. Tu ne t’es pas gêné, ya M’siou François, pour le crier haut et fort, sans complexe aucun : il existait bien une véritable machine de propagande et de manipulation que tu as réussi avec talent à tramer. Quand, en 2019, a surgi le Hirak et que cet immense mouvement populaire a été détourné par mes acolytes de Rachad, il nous a mis, nous les traitres, davantage sous les feux de la rampe, et les renégats de mon espèce, si prudents au début, sont, grâce à ta perspicacité, sortis des égouts parisiens.
Ya M’siou François,
Tu savais si bien tout cela. L’histoire de l’Algérie depuis l’indépendance s’est écrite au rythme d’une musique de gloire et de sacrifice sur laquelle je ne sais pas danser, ma danse à moi étant celle du ventre dont mon alter ego Hichem Aboud a montré toute la maîtrise dans la ville occupée de Laâyoune. Certains s’obstinent néanmoins à appeler cette fable «opposition». Cette supercherie bien rémunérée tant et tant de journalistes et d’intellectuels algériens l’avaient parfaitement comprise, cependant que tu t’appliquais, toi, à tourner en bourrique tes concitoyens, en publiant notamment des manuscrits permettant de maintenir leur cerveau sous anesthésie.
Seulement voilà, quand on s’échine à mentir sans arrêt, la divine providence agit. Une première fois, le 25 avril 2002, le général-major Khaled Nezzar, le grand moudjahid, après avoir quitté la France pour éviter d’être la source d’une crise diplomatique entre Alger et Paris, décidera de porter plainte contre moi, le lâche, pour diffamation car, sous ton éclairée orientation, j’ai continué à mentir et à trahir mon pays.
Ya M’siou François,
Tu savais parfaitement – inutile de le préciser – que le général disposait d’infiniment plus de courage et d’honnêteté que nous : il pouvait compter sur le soutien moral des Républicains. Moi, je vivais à l’époque dans la dèche à Paris, avant que tu ne me gratifies du titre d’écrivain et que tu me graisses la patte avec l’argent sale acquis grâce à ton livre tout aussi sale.
Toi, ya M’siou François, tu nous as adoptés, nous les nouveaux harkis. C’est peu banal. C’est précieux. Merci pour tout, ya M’siou François.
Habib Souaïdia»
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