Une moitié d’histoire

Macron 8 mai
Le 8 mai, les officiels français épinglent leurs cocardes. D. R.

Par A Boumezrag – Paris, 8 mai. Les officiels épinglent leurs cocardes, les Champs-Elysées s’alignent au garde-à-vous sous les pas d’une République qui célèbre, encore et toujours, sa victoire sur le mal absolu. Cérémonies, hymnes, drapeaux. Bleu, blanc, rouge. Le mythe continue de flotter. Impeccable. Intouchable. Inoxydable. Et pourtant.

Si on tend l’oreille au-delà des trompettes militaires et des tweet-hommages d’apparat, on entend autre chose. Le grincement des dents de l’histoire, la respiration lourde d’une mémoire enfouie, celle qu’on évite, qu’on maquille, qu’on classe «hors sujet».

Le bleu du drapeau ? Ce n’est plus celui de l’espérance ou de la liberté. Non. En ce jour de commémoration, c’est plutôt le bleu de l’oubli soigneusement entretenu. Celui qui peint un ciel sans nuages au-dessus d’une République qui préfère regarder Auschwitz plutôt que Sétif. La victoire de 1945 ? Une fresque impeccable… du point de vue de l’Europe. Mais les Algériens, eux, ne dansaient pas ce jour-là. Ils saignaient.

Le blanc ? Jadis symbole de pureté, il est aujourd’hui le blanc de l’alibi. Celui que la France agite comme un mouchoir de déni. «Nous avons libéré l’Europe», dit-on, comme pour mieux dissimuler qu’en même temps, la France réprimait dans ses colonies. On ne peut pas être à la fois libérateur et oppresseur, si ? Bien sûr que si. Il suffit d’avoir une bonne dose d’hypocrisie, une armée disciplinée, et un récit bien huilé.

Et le rouge, alors ? Ce rouge tant célébré dans La Marseillaise ? En ce 8 mai, c’est le rouge du sang des Algériens fusillés, mutilés, jetés dans les ravins à Sétif, Guelma, Kherrata. Mais, chut ! Ne gâchons pas la fête. La mémoire officielle préfère les bouquets de fleurs aux éclaboussures de sang.

Il y a ceux qui ont le droit à des statues et ceux qui n’ont même pas eu droit à un enterrement.

Il y a ceux que la République remercie à la tribune et ceux qu’elle a ignorés, réprimés, niés. Les tirailleurs «oubliés», les résistants indigènes «invisibles», les civils massacrés pour avoir cru – naïvement – que liberté-égalité-fraternité valait aussi pour eux.

Le 8 mai, la France se regarde dans le miroir et se trouve toujours aussi belle. Même avec le rouge au coin des lèvres, le blanc dans les yeux et le bleu au front.

80 ans après, on continue à fêter une victoire à sens unique, comme un film qu’on repasserait sans jamais montrer l’envers du décor. Mais il serait peut-être temps d’éteindre le projecteur et d’allumer la lumière. De regarder le drapeau en face, pas comme une icône sacrée, mais comme un tissu chargé d’ambiguïtés, de taches et de non-dits.

Car tant que la France ne reconnaîtra pas que son drapeau a aussi couvert des charniers, sa mémoire restera bancale, sélective, cyniquement confortable.

Et l’histoire, elle, continuera d’écrire : «Victoire proclamée à Paris. Silence imposé à Sétif. L’oubli, élevé au rang de vertu nationale.»

On nous répète que le devoir de mémoire est sacré. Mais sacré pour qui ? Sacré pour quoi ?

Quand la mémoire devient vitrine et que l’oubli devient politique, on ne commémore plus. On met en scène, on trie les souvenirs, on repeint les tombes, on polit les médailles et on efface les cris.

En 2025, la France sait parfaitement honorer ses héros, mais a toujours autant de mal à regarder ses victimes. La République sait produire des cérémonies, mais pas des excuses. Elle sait fleurir les Champs-Elysées, mais elle ne sait pas reconnaître les fosses communes de mai 1945 en Algérie.

Car, oui, la répression de Sétif, Guelma et Kherrata n’est pas une bavure, mais un massacre d’Etat. Un massacre qui, jusqu’à récemment, n’était qu’une note de bas de page dans les manuels d’histoire – quand il y figurait. Et ce silence-là, ce n’est pas un oubli innocent. C’est une stratégie.

Le bleu-blanc-rouge a flotté sur les champs de bataille en Europe comme sur les terres colonisées. Il a été brandi comme étendard de liberté, mais aussi planté comme drapeau de conquête. On l’agite dans les écoles, on le brode sur les uniformes, on le projette en façade sur les monuments. Mais quand viendra le moment de le retourner, de le lire à l’envers, de le regarder en face ?

Ce drapeau est à la fois orgueil et camouflage, fierté et écran de fumée. Il incarne la grandeur française, certes. Mais aussi ses oublis, ses mensonges, ses crimes. Et si, cette année, le 8 mai 2025 devenait enfin le jour où l’on cessera de colorer la mémoire en bleu-blanc-oubli ?

«L’histoire est écrite par les vainqueurs», dit-on. Encore faut-il savoir qui a réellement gagné.

Le 8 mai reste pour la France une date sacrée, une victoire éclatante, un récit soigneusement balisé. Mais derrière le bleu glorieux, le blanc aveuglant et le rouge patriotique, se cache une autre histoire, celle des silences imposés, des massacres effacés et des mémoires piétinées.

Tant que la France n’aura pas le courage de regarder tous ses 8 mai, elle continuera de commémorer en boitant, un drapeau dans une main, un œil fermé sur l’autre moitié de son histoire.

Un empire peut tomber sous les coups d’ennemis, mais une mémoire sélective le maintient debout dans le mensonge.

A. B.

Comment (2)

    Philo
    8 mai 2025 - 12 h 03 min

    avoir sa cocarde existe depuis 1859 ,autre manière de parler de l’ivresse, en effet combien de cocardes (décoration) et cocardes ivresse du sang versé des innocents par les soudards tricolore au nom des bouchers de l’empire.

    Diplomate
    8 mai 2025 - 6 h 46 min

    Il y a quelque chose que beaucoup d’Algériens veulent ignorer: la France officielle ne peut reconnaître ce qu’elle est prête à refaire à tout moment.
    Ce déni de réalité des Algériens est inquiétant et ne peut s’expliquer par le fait que nombre d’entre-eux veulent défendre leur nationalité française s’ils sont binationaux.
    La France ne peut ce repentir de ce qu’elle est.
    l’Algérie devrait également regarder son histoire de face et cesser de tout cacher ou de tout interdire en ce qui concerne l’histoire.

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