Visite de Donald Trump dans les pays du Golfe : Israël démonétisé et embourbé
Une contribution d’Ali Akika – Dans une région où le chaos règne et la mort rode, le président américain Trump a entrepris une visite dans certains pays gorgés de pétrodollars sans faire escale en Israël. Que révèle ce genre de périple ? Primo, le bizness, normal pour les Etats-Unis, surtout avec un professionnel des affaires ! Secundo, une petite bascule de la politique américaine quelque peu étonnante, certes, mais pas tant que ça. Car dans la féroce jungle de la vie internationale, il n’est qu’une seule règle, celle des rapports de force. L’histoire est jalonnée d’alliances étonnantes ou des trahisons entre amis ?
A l’évidence, la petite bascule des Etats-Unis à l’encontre d’Israël est motivée par la conduite erratique d’un Netanyahou incompétent dans une pareille guerre dont les annonces répétées de victoire l’ont totalement démonétisé. Les Américains et l’appareil d’Etat israélien lui disent halte au feu car la dynamique en cours mène droit dans le mur. Ce n’est pas du reste la première fois que les Etats-Unis imposent leurs propres raisons à l’agitation et à l’arrogance d’Israël…
1956, Ben Gourion, le fondateur de l’Etat d’Israël profite de l’agression franco-anglaise contre l’Egypte pour occuper le Sinaï, le président américain Eisenhower le somma de se replier dans les 24 heures. 1973, guerre d’octobre en Egypte, Kissinger intime l’ordre à Sharon de retraverser le Nil, en menaçant de ralentir les approvisionnements en armes et en munitions. Goda Meir ordonne à son «illustre» général Sharon d’obéir qui s’exécuta sur-le-champ. Ces deux ultimatums, illustrant les liens entre Israël et les Etats-Unis, correspondent à la dialectique des rapports de force où le maître du moment ne se laisse pas entraîner dans une aventure risquée par un allié agité du bocal pour reprendre le mot d’un très grand écrivain.
Aujourd’hui, c’est au tour de Trump de mettre le holà à l’agitation fiévreuse de Netanyahou car l’Amérique a de grandes et complexes choses à mettre en place pour retrouver la gloire d’un passé récent. Et ce ne sont pas les broutilles d’un Netanyahou accroché à son «trône», déjà isolé et attaqué chez lui, qui vont faire perdre son temps et la boussole à un Trump pressé et impatient de réaliser le rêve de grandeur de son pays. Trump ne s’embarrassa pas du protocole entre Etats, et furieux contre Netanyahou, qui jouait à gagner du temps, le convoqua alors qu’il était en visite en Hongrie. Dans le célèbre Bureau ovale où un certain Zelensky, quelques semaines plutôt, fut douché par Trump, le président américain récidive avec Netanyahou avec plus de «douceur». Il annonça à la manière d’une banale discussion que les Etats-Unis allaient reprendre les négociations sur le nucléaire avec l’Iran.
Le visage fermé de Netanyahou, accompagné d’un lourd silence, traduisait le coup au cœur qui venait de l’ébranler. Allait suivre un deuxième coup de couteau dans le dos : les Américains négociaient sans avertir Israël avec les «terroristes» du Hamas, la libération d’un citoyen américain qui se fera comme par hasard le jour où Trump atterrissait en Arabie saoudite. Troisième pied de nez à Netanyahou, la grande Amérique a signé un cessez-le-feu avec le Yémen pour mettre fin à leurs bombardements mutuels sans intégrer Israël dans cet accord. Celui-ci entra en vigueur le jour où un missile tomba sur l’aéroport de Tel-Aviv, coupant Israël de l’Europe et des Etats-Unis.
De l’enfant gâté à l’état de solitude d’Israël
Ainsi, la guerre en Ukraine suivie par la guerre en Palestine, et en particulier à Gaza, ont créé une situation complexe entravant les plans des Etats-Unis avec l’ennemi potentiel de demain, la Chine. La guerre à Gaza avec sa sauvagerie et son cortège de morts et de désolation ont lézardé l’image d’Israël qui va impacter l’image de tout l’Occident. Jusque-là, l’enfant gâté, en dépit de ses outrances et autres «bêtises», l’Occident laissait faire. Mais son image dévaluée à la pression de l’opinion internationale jeta le trouble dans des Etats pouvant provoquer des conséquences économiques mais aussi sur la politique intérieure des pays occidentaux. Israël, ce bout d’Occident, comme disent les laudateurs de cet Etat perdu au milieu de la «barbarie», devenait quelque peu gênant pour l’Amérique et l’Europe. L’époque «bénie» des extravagances et de l’arrogance qui passaient comme une lettre à la poste est révolue.
De nos jours, la situation au Moyen-Orient a foncièrement changé avec la révolution iranienne, l’invasion de l’Irak, la résistance palestinienne que l’on croyait morte et enterrée, la partition du Yémen et le Liban doté et protégé par le Hezbollah. Les guerres dans la région sont devenues imbriquées sur le plan territorial à cause de l’avidité et l’appétence d’Israël pour la conquête de territoires pour bâtir le «grand Israël», conquête que l’on masque sous le voile hypocrite du «droit à sa défense».
L’arrivée dans la région de la Russie et de la Chine complique les affaires des Etats-Unis déjà occupés par leur préparation à la future confrontation avec la Chine. L’incapacité de vaincre militairement la résistance à Gaza et le refus des populations de quitter leur pays malgré la sauvagerie des bombardements et la famine ont anéanti l’image d’Israël. D’enfant gâté et de son «droit» à se défendre, qui devient une plaisanterie de mauvais goût, Israël est mal vu et considéré non seulement par l’opinion internationale mais aussi par des Etats amis qui expriment leur honte.
Pourquoi le léger basculement de Trump vis-à-vis d’Israël ?
Il y a une chose qui caractérise les deux forces politiques qui dirigent l’Etat américain. Il est interdit de toucher ou de malmener les institutions du pays qui régissent la politique interne. En revanche, grosso modo, sur les intérêts américains à l’extérieur, le consensus est total. Sur le plan interne, Nixon fut mis à la porte, non pas par les manifestations gigantesques contre la guerre du Vietnam mais parce qu’il a espionné le parti démocrate et a menti à la justice. Ainsi, les guerres du Vietnam, l’invasion de Cuba, la guerre en Irak, en Afghanistan, l’assassinat de Kadhafi n’ont jamais menacé les institutions, ni malmené les présidents américains.
Cependant, nous assistons avec Trump qui se dit contre les guerres mais s’attaque aux institutions internes du pays qui peuvent déboucher sur un ébranlement du consensus qui protège les droits des citoyens américains. Le temps passant et l’histoire nous renseigneront sur les conséquences de cette atteinte aux législations internes du pays (immigration, droit du sol pour la nationalité, etc.) Alors, pourquoi le léger basculement de Trump vis-à-vis d’Israël ? Plusieurs facteurs qui se combineraient pourraient expliquer l’audace de Trump. En vérité, Trump est contre Netanyahou et non pas contre Israël. Ses conseillers et certains lobbys américains pro-Israël s’appuyant sur l’opposition des partis en Israël ont incité Trump à se brouiller avec Netanyahou.
Trump sait aussi que Biden a perdu à cause de la réaction des communautés arabes et noires qui ont préféré faire payer à Biden son alignement aveugle à l’égard de Netanyahou. Mais, en dernière analyse, ce sont les intérêts économiques et géostratégiques qui sont derrière la position de Trump comme le montre son premier voyage à l’étranger où se situent deux pays, l’Iran et l’Arabie. Pour avoir les centaines de milliards des pays du Golfe, il faut faire la paix avec l’Iran pour rassurer les pays du Golfe. Eviter une guerre avec l’Iran et encaisser un océan de dollars vaut la peine de chagriner un peu Israël. Netanyahou est furieux car il ne pourra plus attaquer l’Iran en cas d’accord avec l’Iran. Ce qui semble être une issue possible puisque les Etats-Unis ne sont pas contre le nucléaire civil, un droit légitime et reconnu pour tous les pays.
Conclusion. La machine bien huilée de Trump risque cependant de connaître des ratés. Pour l’heure, il s’agit d’identifier et de cerner les problèmes où Trump patine ou, au contraire, triomphe. On a constaté que le président américain, après avoir levé le ton face à la Chine, a dû faire marche arrière au sujet des tarifs douaniers. Il en est de même au sujet de la Russie où la meute habituelle des médias avait pronostiqué que Poutine allait se soumettre au désir de Trump et d’aller à Istanbul. Notons que ces journaleux avaient oublié que Zelensky avait signé un décret qui interdisait à quiconque de négocier avec Poutine, et Zelensky, aux abois, a été le premier à violer son propre décret.
En revanche, au Moyen-Orient, face à des Etats qui ont besoin de fructifier leurs dollars et d’acheter leur sécurité, Trump a triomphé sans peine car il est le détenteur et garant du dollar et des bases militaires qui ceinturent tout le Golfe. Avec le temps, le vent n’est pas à la stabilité dans la région et les rapports avec Israël risquent de s’envenimer. Car Israël aura du mal à sortir du bourbier de Gaza. De plus, il s’est mis dans une situation militaire qui l’oblige d’être à la fois un attaquant et un défenseur sur de multiples fronts : Palestine, Liban, Syrie et Yémen. Alors que son armée souffre d’effectifs après les pertes subies depuis 19 mois et si on ajoute le refus des jeunes religieux et des réservistes de répondre à une nouvelle mobilisation, Israël est dans une situation militaire «inconfortable» face à ses ennemis qui sont loin d’avoir été éradiqués. Il faut noter que Trump a rencontré le nouveau chef du pouvoir à Damas et a levé les sanctions qui frappent la Syrie. En contrepartie, il lui a demandé de garder en prison les partisans de Daech et de lutter contre cette organisation.
Ce soutien au nouveau pouvoir, est-ce un ordre discret à Israël d’arrêter de bombarder la Syrie ? Israël va-t-il obéir ou bien se laisser aller à son penchant naturel de voler les terres d’autrui ? Enfin, Trump va-t-il répondre positivement à la demande du prince d’Arabie de forcer Israël à reconnaître un Etat palestinien ? Autant de questions en Syrie et en Palestine complexes et délicates dont on peut deviner qu’elles vont provoquer de noirs nuages dans le ciel de la région. Un dernier mot, la situation potentiellement explosive est analysée par les «experts» avec des notions de psychologie qui prétendent sonder l’âme de Poutine et de Trump. Encore une fois, «nos» spécialistes sont victimes de leurs suffisances qui leur font oublier que ce sont les rapports de force et le choc des intérêts contradictoires qui accouchent de l’histoire et non la psychologie qui apaise les âmes fragiles.
A. A.