Les sept fautes majeures des Frères musulmans
Contribution de René Naba – En un invraisemblable égarement, les Frères musulmans se sont distingués lors de la séquence dite du «printemps arabe» par sept fautes majeures qui ont favorisé sa répression par l’Egypte, sa criminalisation par l’Arabie Saoudite et la désaffection de bon nombre de ses sympathisants à travers le monde et, partant, son tragique isolement.
Le déboulonnement lors de la chute de Tripoli, en 2011, de la statue de Nasser, artisan de la première nationalisation réussie du tiers monde, le Canal de Suez et, à ce titre, cible d’une triple agression de la France et de la Grande-Bretagne et d’Israël, c’est-à-dire des deux puissances coloniales de l’époque et leur créature, complétée onze ans plus tard par une nouvelle agression, en 1967, avec les encouragements des monarchies pro-américaines, le chah d’Iran, le roi Hussein de Jordanie et le roi Faysal d’Arabie.
La tenue à Paris, en juillet 2011, d’un congrès de l’opposition syrienne, sous l’égide des Frères musulmans et de Bernard Henry Lévy, le fer de lance de la stratégie médiatique israélienne sur le théâtre européen, dont le parrainage fut désastreux pour la crédibilité de l’opposition syrienne, avec, en corollaire, la militarisation du conflit syrien, plongeant la Syrie, voie de ravitaillement stratégique du Hezbollah libanais face à Israël, dans une guerre sans fin, faisant le jeu des pétromonarchies du Golfe, en détournant quelque peu le groupe contestataire à l’hégémonie israélo-américaine dans la zone, écartant durablement toute transition démocratique dans ce pays, en lui substituant un conflit inter-étatique visant à déterminer la hiérarchie des puissances dans l’ordre régional.
La fatwa du djihad contre la Syrie décrétée par Mohamad Morsi, avec la caution de 107 oulémas salafistes wahhabites, contre un pays qui a livré en alliance avec l’Egypte quatre guerres contre Israël, gravissime cas de déconnexion mentale jamais égalée dans le monde.
La supplique de Youssef Al-Qaradawi, le milliardaire mufti du Qatar, demandant à l’OTAN de bombarder la Syrie, seul pays du champ de bataille avec le Liban à n’avoir pas signé un traité de paix avec Israël.
La trahison de Khaled Mecha’al, chef du bureau politique du Hamas, en 2011, et son ralliement sur une base sectaire à la coalition islamo-atlantiste dans sa guerre contre la Syrie, un pays qui lui avait offert l’asile politique pendant quatorze ans après avoir échappé à une tentative d’empoisonnement en Jordanie de la part des services israéliens. Une faute impardonnable, s’il en est, qui lui vaudra son exfiltration du commandement de son mouvement et son exil au Qatar.
L’incendie par les islamistes égyptiens de la maison de Mohamad Hassanein Heykal, l’ancien confident de Nasser et ancien directeur du grand journal égyptien Al-Ahram, provoquant la destruction d’une des plus riches bibliothèques du monde arabe, un trésor historique incomparable, dans le prolongement de la pulsion destructrice des islamistes contre les bouddhas de Bamyane et des stèles de l’islam noir de Tombouctou (Mali).
Enfin et dernier, et non le moindre, la caution donnée par le chef du Parti de la justice et du développement du Maroc, Abdel Ilah Benkirane, à une normalisation des relations entre Israël et le Maroc.
La position du Parti de la justice et du développement du Maroc à l’égard de la normalisation israélo-marocaine : un scandale politique et moral.
A ce propos, Al-Akhbar indique que la réaction de Rached Ghannouchi, le chef d’Ennahda tunisien, un admirateur du président turc, Recep Tayyib Erdogan, à la normalisation des relations entre le Maroc et Israël a été d’une «grande timidité» et, à ce titre, «choquante».
«Si la Tunisie ne s’est pas engagée sur la voie de la normalisation avec Israël, ce n’est pas tant en raison de la position timorée d’Ennahda, mais grâce à la ferme position du président Kais Saied, hostile à toute forme de normalisation».
De même, la position du Parti de la justice et du développement, la branche marocaine de la confrérie, a constitué un «scandale politique et moral» à l’effet de provoquer un «séisme parmi ses adhérents», d’autant plus manifeste que le roi Mohammed VI du Maroc, commandeur des croyants, est président du Comité Al-Qods, chargé théoriquement de la protection de ce troisième haut lieu de l’islam.
Machiavélisme suprême ou summum de la perfidie ? Dans ce royaume aux mœurs florentines, le monarque a assigné «la sale besogne» à son Premier ministre, Saâd Eddine Al-Othmani d’apposer sa signature sur le document de normalisation entre le Maroc et Israël, maintenant les mains souveraines dans une blancheur immaculée de cette souillure dont l’opprobre rejaillira immanquablement sur son féal islamiste, au-delà, sur la mouvance confrériste dans son ensemble.
Une normalisation qui officialisait, enfin, au grand jour la connivence souterraine de la monarchie chérifienne et Israël d’un demi-siècle marqué, notamment, par l’assassinat de Mehdi Ben Barka, le chef charismatique de l’opposition marocaine et l’espionnage au profit de l’Etat hébreu du Sommet arabe de Casablanca (1964).
Sur le plan protocolaire, le cosignataire marocain de l’accord israélo-marocain aurait dû être un membre de l’appareil sécuritaire marocain (le directeur du renseignement militaire, voire le directeur de la Sûreté générale marocaine ou encore le chef des services de renseignement), équivalent du signataire israélien, Meir Ben Shabbat, conseiller à la Sécurité du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou.
Sur les tortuosités du régime marocain, voir le lien sur les services de renseignement marocains qui continuent au grand jour de bafouer les libertés individuelles. Les opposants tenaces sont englués dans des scandales sexuels fabriqués de toutes pièces. Voilà de retour l’«Etat policier», ranimé par l’état d’urgence sanitaire.
Echange de bons procédés entre Mohammed VI et Donald Trump
Suprême infamie : le président sortant Donald Trump a gratifié le roi du Maroc de la prestigieuse Légion du mérite des Etats-Unis pour son «impact positif» sur le paysage politique du Moyen-Orient.
La Légion du mérite est une médaille militaire remise pour un fait d’armes exceptionnel ou à des responsables étrangers, qui ne peut être accordée que par le Président.
En retour, le président américain a reçu la plus haute distinction du royaume chérifien, notamment pour son travail dans la promotion de l’accord de normalisation avec Israël. Lors d’une cérémonie privée au bureau ovale, la princesse Lalla Joumala Alaoui, ambassadrice du Maroc aux Etats-Unis, a remis à Donald Trump l’«Ordre de Mohammed», une récompense décernée uniquement aux chefs d’Etat.
Dans un pays médiatisé à l’extrême, la cérémonie s’est déroulée à huis clos, comme s’il s’agissait d’un geste honteux. Les médias n’ont pas été en effet autorisés à assister à la cérémonie de remise des prix, sans doute pour ne pas immortaliser la vilenie de conférer une distinction honorifique à un président ayant fait l’objet d’une double procédure de destitution, de surcroît l’«Ordre de Mohammed» à l’artisan du «Muslim Ban».
Chapeau bas au «commandeur des croyants», sans doute la meilleure martingale du «président du Comité Al-Qods» pour la cause palestinienne. A n’y prendre garde, à force de faire un usage inconsidéré de l’«Ordre de Mohammed», l’on risque de déconsidérer le prénom porteur de l’ordre, qui est tout de même celui du Prophète de l’islam.
«Faute d’une attitude nette à l’égard de la normalisation avec Israël se posera le problème de la crédibilité de la confrérie des Frères musulmans et, partant, de son aptitude à diriger un véritable mouvement d’indépendance national. Et accréditer l’idée d’un groupement mû par la conquête du pouvoir et ses avantages», en déduit Al-Akhbar.
L’impasse idéologique des Frères musulmans face à l’intégration d’Israël dans le Centcom
Tuile supplémentaire : l’intégration d’Israël dans le dispositif militaire régional américain du Centcom, basé au Qatar, a projeté la confrérie dans une impasse idéologique absolue en ce qu’il signe, dans l’ordre symbolique, l’alignement des parrains des frérots à la stratégique israélo-américaine.
La réconciliation des frères ennemis du wahhabisme (Arabie Saoudite-Qatar) sous l’égide de Jared Kushner, gendre du président Trump et membre influent du lobby juif américain, doit être vue dans cette optique.
Le Centcom (commandement central) est le maillon intermédiaire du dispositif stratégique américain à travers le monde, assurant la jonction entre l’Otan (Atlantique Nord) et l’Otase (l’Otan de l’Asie du Sud-Est). Sa zone de compétence s’étend de l’Afghanistan au Maroc. Jusqu’à présent, Israël était rattaché au dispositif européen de l’Otan.
Son intégration au Centcom (Moyen-Orient) est une conséquence directe de la normalisation collective arabe avec Israël à l’automne 2020, dans une alliance contre l’Iran. Au total, six pays arabes, l’Egypte, la Jordanie, les Emirats arabes unis, Bahreïn, le Soudan et le Maroc, ont reconnu l’Etat hébreu.
Cette décision de Donald Trump a été prise le 13 janvier, à une semaine de la fin du mandat du factieux Président américain. Par ses effets désastreux sur la crédibilité de la confrérie des Frères musulmans, elle apparaît comme l’ultime coup de poignard de l’Amérique à ses anciens servants.
Ah les ravages de la servilité à tout crin pour solde de tout compte d’un vestige de la guerre froide !
R. N.
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