«Dé-moukhabaratiser» le politique, préalable à la reconstruction d’un consensus national !

L'Algérie vit depuis cinquante ans dans une instabilité politique structurelle. Administrée, très mal administrée, elle n’a jamais été réellement gouvernée. Le système de pouvoir qui s'est imposé par la force à la nation dès les premières heures de l'indépendance a brisé l'élan libérateur du peuple algérien et perverti la dynamique novembriste de construction d'un Etat démocratique et social. La maladie politique de notre pays est liée à l'incapacité du système à secréter un processus de constitutionnalisation et d’institutionnalisation du pouvoir politique. Reposant sur deux principes, la collégialité et l'opacité, l'exercice du pouvoir échappe aux institutions, réduites à servir de caisse de résonance aux luttes de factions gravitant autour de l'élite militaro-sécuritaire. Les différentes constitutions n’ont jamais été l’expression des rapports de force au sein de la société, elles ne font que sanctionner des équilibres conjoncturels au sein du vrai pouvoir.
Le pouvoir personnel n'est pas la présidentialisation du régime
L’histoire politique de l'Algérie indépendante est une succession de coups de force qui assurent à l'élite militaro-sécuritaire une position hégémonique. Le système de pouvoir algérien ne correspond dans sa typologie ni à une dictature militaire classique ni à une autocratie. C’est un autoritarisme géré «collégialement» dans l’opacité la plus totale. Depuis l'indépendance, les «présidents» n'exercent le pouvoir que par procuration délivrée par un «collège» organisé autour de l'élite militaro-sécuritaire disposant d'un puissant appareil exerçant un contrôle absolu sur le pays. Une constitution peut octroyer d'importants pouvoirs au «président» mais ils demeurent purement formels dès lors que le processus décisionnel échappe aux mécanismes institutionnels. Aussi, s’engager, comme le font certains partis dits d’opposition dans le faux débat sur la «révision constitutionnelle» revient à maintenir l’illusion d’une vie politique et institutionnelle et à nourrir les leurres et les diversions.
Les années Bouteflika ne dérogent à cette implacable logique. A cette seule exception que celui-ci a bénéficié d'une conjoncture favorable liée à une envolée des revenus générés par l'exportation des hydrocarbures. Cette conjoncture «heureuse» aurait pu, aurait dû permettre à notre pays d'engager une transition démocratique «paisible et tranquille» qui réhabilite les institutions du pays. Au lieu d'adopter une attitude réellement patriotique en engageant des réformes radicales pour remettre le pays sur les rails du développement, le «pôle présidentiel» s'est attelé à renforcer sa position au sein du «collège» et à favoriser, en généralisant la corruption, le renforcement de nouvelles couches prédatrices, antinationales. Les fraudes successives ont fini par discréditer une «représentation nationale» délégitimée par des mécanismes de sélection basés sur la cooptation et le clientélisme.
Le réveil des atavismes
La conséquence est qu’aujourd’hui l'Algérie est plongée dans une totale paralysie et ne dispose pas d'une autorité politique légitime capable de la propulser dans le IIIe millénaire. Une situation d'autant dramatique et périlleuse que l'accélération du «temps mondial» et les dynamiques dé-structurantes libérées par la globalisation risquent de précipiter notre pays dans les abîmes, achevant ainsi la déconstruction du projet national qui visait, à travers la lutte révolutionnaire anticoloniale, à forcer l’ouverture des portes d'accès de l’Algérie à la modernité politique. A l'heure où un nouveau monde, porté par la «révolution technologique de l’information et de la communication», s'installe sur les débris de la guerre froide, bouleversant les structures politiques, économiques culturelles et familiales selon une ampleur au moins équivalente à celle provoquée par la «révolution industrielle» du XVIIIe siècle, les atavismes se réveillent et les vieux démons de l'ethno-tribalisme prêts à ressurgir à la vitesse du XXIe siècle.
L’échec de Bouteflika ?
A entendre des personnalités et des partis se réclamant de l'opposition, le départ de Bouteflika provoquerait quasi-mécaniquement un changement politique majeur. L'état de déliquescence politique extrême peut nourrir cette illusion, l'Algérie n'ayant jamais connu, en effet, pire situation. Mais il ne s'agit pas simplement de tourner la page tragico-ubuesque des années Bouteflika, mais de rompre avec cinquante ans de confiscation politique et du viol du droit fondamental pour lequel le peuple algérien a consenti d’immenses sacrifices : le droit à l’autodétermination politique, collectif et individuel. Bouteflika n'est en définitive que l'expression pathologique et dégénérée d'un système imposé par la violence en 1962 et dans la genèse remonte à l’assassinat politique d’Abane Ramdane.
L'élite militaro-sécuritaire a aujourd'hui plus qu'hier la responsabilité historique de briser le cercle infernal de l'instabilité politique. Se mettre au service de l'Algérie, lever les obstacles à la réhabilitation des institutions de l'Etat, unique voie assurant la stabilité du pays à l'heure des tourmentes géopolitiques régionales, est un impératif de sécurité nationale. L’ambition de l’Algérie, telle qu’incarnée par les pionniers du mouvement national, n’est ni d’être le sous-traitant régional de la doctrine américaine de la «guerre contre le terrorisme», ni de devenir une «Corée du Nord» sans l’arme nucléaire comme le voudrait une chef trotskyste. Les élites militaro-sécuritaires ne peuvent plus décider de tout et ne rien assumer !
Rompre avec la pensée coloniale
Cet impératif suppose une «révolution culturelle», une décolonisation des mentalités et des pratiques.
Si le peuple algérien a vaincu le colonialisme, la pensée coloniale, quant à elle, a largement imprégné les élites dirigeantes. Lorsqu'un ministre justifie la répression en invoquant le «tempérament anarchique» des Algériens, il ne fait reproduire les clichés idéologiques contenus dans le discours accompagnant la colonisation. Il résume ce rapport pouvoir/peuple construit sur l’«inaptitude» de ce dernier à vivre en liberté et en démocratie. Un «ghachi» pour reprendre la formule d’un intellectuel organique. Dans la «culture politique» des dirigeants du pays, le peuple demeure une masse amorphe sans conscience et sans existence politiques. L'individu-citoyen, jouissant de ses droits politiques et civiques, est niée au nom d'une communauté nationale cimentée par une «fraternité mythico-religieuse» qui ne supporte pas le pluralisme politique, culturel et linguistique, source de divisions, de Fitna.
Cette «révolution culturelle», véritable rupture avec une conception prémoderne de l'autorité politique, est ce qui permettra de réconcilier l'Armée avec son peuple et posera les bases d'une véritable réconciliation historique.
Construire l'alternative politique
Les élites algériennes, politiques, économiques, médiatiques, syndicales ou associatives, quel que soient leurs penchants philosophico-idéologiques, doivent se libérer de cette espèce de fascination, faite selon les conjonctures d'attraction ou de répulsion, qu'exerce sur elles l'élite militaro-sécuritaire. Les forces démocratiques en particulier doivent orienter leur action pour mobiliser pacifiquement les Algériens et les Algériennes, pour arracher la jeunesse algérienne des griffes d’obscurs prédicateurs religieux, encouragés et manipulés par le système. L’Algérie a besoin d’une grande force politique alternative et non pas d’un «groupe de pression» plaidant sa cause auprès d’introuvables courants modernistes au sein de l’Armée.
La rupture avec un système basé sur la subordination du politique au militaire impose aux forces du changement démocratique de réhabiliter le projet national revu et corrigé lors du congrès de la Soummam. Ni logique d'affrontement, notre pays ayant payé un lourd tribut, ni tentation aventurière à l’heure où des forces extérieures, relayées de l’intérieur, cherchent à régler des comptes avec l’Algérie. Mais une ferme détermination à poser comme préalable à tout engagement dans une quelconque bataille électorale, l’abandon par l'élite militaro-sécuritaire de son rôle de police politique pour se consacrer aux missions dévolues à tout «service de renseignement» soumis à l’Etat de droit. La sauvegarde de l'Algérie passe par la fin de cet «état d'exception» qui bloque tout processus d'autonomisation du politique.
Samir Bouakouir
 

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