Cameroun : la parité pour changer le monde

Le changement social est la chose la plus difficile qui soit pour un peuple, pour tous les peuples. Un homme a dit ça quelque part. Alors, imaginez ce qu’une femme pourrait en penser. Car cela fait tout de même plus de trois mille ans que les hommes dirigent les communautés humaines : ils appellent cela «faire la politique». Habituellement l’idée est qu’ils ont exclu les femmes du champ politique. Il y aurait eu comme une division sexuelle – naturelle – du travail. Les hommes au dehors, pour affronter tous les dangers et les femmes aux foyers pour assurer le repos du guerrier. Déconstruction d’un mythe.
Trois mille ans de pouvoir
Trois mille ans au Pouvoir ça donne des tics, ou, si vous préférez, des réflexes. Appelez ça l’expérience. Même là, ils vous diront c’est comme donner un peigne à un chauve. Mais c’est surtout une capacité, une expertise (comme on dit maintenant) pour conserver ce pouvoir. Alors ils ont inventé des principes : liberté, égalité, fraternité et bien d’autres. Cela fait trois cents ans qu’on s’y réfère. Les Français ont même coupé la tête à un roi au nom de cette sacro-sainte trilogie.
Trois siècles après, le monde peine toujours à s’humaniser. Pourtant ils ont réussi à imposer cette devise de la République à la Terre entière. Mais tous les hommes de ce monde, et ceux-là en tête, continuent de pratiquer ce qui fût la règle de l’Ancien Régime : celui non pas des primitifs mais des rois.
Esclavage, supériorité raciale et haine de l’Autre. Car jamais, au grand jamais, un noble au sang bleu n’aurait osé prononcer de telles ignominies. Avant le Code Napoléon, on ne parlait que de servage, de noblesse et à la limite, du Tiers-Etat. Pour les «sujets» de Sa Majesté, les femmes servaient de décorum à la Cour, accessoirement dans les alcôves quand elles n’étaient pas assignées à nourrir les bébés – nobles – loin de la Cour. Il fallait cacher ces seins… nourriciers. Quant aux sauvages, ils mirent du temps à leur reconnaître une âme. Les Américains «blancs» et protestants étaient terrorisés à l’idée de lâcher tous ces barbares dans la nature. Lincoln eu le dernier mot…
Ils ont avalé les couleuvres et aboli l’esclavage. Il fallut alors des mécanismes pour s’en protéger. On partit en croisade et on prit un siècle pour civiliser les Nègres… Après le Tiers-Etat, le Tiers-monde fit son apparition : la Bible d’une main, le sabre dans l’autre, on découvrit l’Amérique mais on pacifia l’Afrique. Citadelle imprenable, l’Asie résista tant que Mao fût. Le Pouvoir se transforma en instruments de domination. Et la femme de Mao – qui se souvient d’elle, de son nom ? – fut jugée par… la Révolution culturelle. Il y eut des Constitutions, des gouvernements, et mêmes des assemblées nationales. Tocqueville fonda la démocratie en Amérique où le commerce triangulaire bâtait son plein. Ce fut le règne du libéralisme. On ne va pas refaire l’Histoire : la leur est connue. La nôtre, celle des femmes, à peine.
Quel conflit de générations ?
C’est que le Cameroun par exemple sort de terre au Traité de Versailles. Deux cents tribus qu’il fallut unir pour mieux les tenir, seule garantie si l’on voulait continuer à produire toutes sortes de drogues – les douces et les plus dures – du cacao pour adoucir leurs mœurs et toutes sortes de matières premières mais surtout continuer à pomper du pétrole… en douce. Il fallait y aller progressivement, d’abord les mettre sous-tutelle des Nations unies, puis la Mère Patrie qui avait elle, l’expérience de gestion d’un empire colonial (leurs ancêtres les Romains étaient passés par là) évaluerait régulièrement les progrès accomplis. Ahidjo fût donc préféré à Um Nyobe (le communiste !). Pour le reste du continent, Houphouët tenta en vain d’effacer le «NON» de Sékou Touré – francophilie oblige ! – Il leur fallait quelqu’un de plus «africain» et c’est Bongo qu’ils ont trouvé pour verrouiller définitivement la politique africaine de la France : la FrançAfrique.
Une jeune femme ne sera jamais un homme, même chez les… Masaï. Un jeune Beti me le rappelait crument un jour dans les locaux de l’UNIFEM ( !) à Yaoundé : «Le pipi d’une femme ne peut pas traverser un tronc d’arbre !» Alors de quel conflit de générations parlez-vous ? Quand ils bourraient les urnes en 1947, pour faire d’ Hamadou Ahidjo le futur premier président du Cameroun, il n’avait que… 23 ans ! Vous avez déjà vu une femme au pouvoir ? Je ne parle même pas de l’Afrique. Où ce miracle a-t-il eu lieu ? Je ne parle pas de ces femmes – alibi qu’ils mettent à la tête des gouvernements quand ils ont l’embarras du choix parmi leurs énarques sortis de Polytechnique.
Depuis la monarchie constitutionnelle, quelle femme y a-t-il eu au pouvoir en Angleterre avant Tatcher ? Quel nom de femme vous avez retenu dans l’équipe de Hitler ? Quelle femme y –a-t-il eu aux affaires du Monde chez nous avant Foning ? Les suffragettes qui lancèrent le féminisme ? Angela Davis qui fût la femme la plus «wanted» des USA ? Même la Lagarde au long cou n’y a fait son apparition que grâce à l’affaire DSK… Les révolutionnaires français ont été jusqu’à couper la tête à cette jeune femme qui failli leur ravir la vedette en proposant la Déclaration universelle des droits de la femme et du citoyen ! Nos ancêtres d’amazones c’est de l’ordre de la mythologie comme le matriarcat du même nom et tout ce qui nous concerne…
Joyce pleurait l’autre jour, à 5 ans, parce que maman ne me met jamais les robes de fille ! Voilà où en est le féminisme aujourd’hui ! Et pourtant, elles ont commencé par arracher soutifs et grosses culottes : elles voulaient être libres. Le téton au vent et le string de rigueur : la souveraineté passait par nos corps avant d’arriver en politique… Ils ont parlé d’émancipation. Quand elles ont enfilé le pantalon, ils ont crié haro sur l’égalité ! Les plus pervers parlaient anglais : ils en ont fait une question de «gender». C’est comme ça que la lutte pour le pouvoir est devenue une affaire de genre. Et en français facile cela faisait du coup mauvais genre.
Alors ils ont ramené la politique «au développement d’abord». Cinq décennies que nous avons mis à passer de l’humanisation de la colonisation au développement à visage humain ! Que de projets, que de milliards dépensés sur le dos et au nom des femmes… Tout ce tapage médiatique pour n’accoucher que d’une souris nommée «équité sociale». Cette dernière a même eu ses spécialistes : depuis les départements d’études féministes jusqu’aux ONG, sur le terrain des petits projets de femmes ! Nous les avons planifiés, suivis, évalués : des séminaires à n’en plus finir. Nous ne devions pas faire la politique pour rester objectifs !
Changer la face du monde
Tant de subterfuges justes parce que les féministes ont dit que la politique ce n’est pas le pouvoir. Que la politique ce n’est ni le confisquer ni le donner. Mais non, les femmes ne veulent pas «arracher» le pouvoir. Nous avons une expérience autre du pouvoir : trois mille ans que nous donnons la vie, cela laisse des traces. Trois mille ans que nous gérons des milliards de foyers cela donne du pouvoir, le vrai : celui de faire avec… Vous avez entendu une femme dire qu’elle confisque la vie ? D’ailleurs comment ferait-elle ? Il y a un cycle de la vie. De toute vie… Vous aviez choisi le dehors…Vous avez choisi les biens, la richesse, la puissance et la gloire. Combien de femmes ont leur nom dans votre histoire ? Inimaginable «la vielle négresse et la médaille»… Nous viendrons au Pouvoir comme nous venons au monde : pour servir, pour humaniser le monde. Ils nous disent ça comme une blague : on ne va pas refaire le monde ! Mais si, les femmes veulent refaire le monde. Changer le visage hideux de « votre » monde. Y inscrire comme disait Olympe de Gouges, l’Amour, le Courage et la Beauté.
Cela fait trois mille ans et même plus que les femmes retiennent votre monde au bord de l’abîme, du fait de votre cupidité. Du pouvoir, toujours du pouvoir encore et encore du pouvoir ! Ce que les féministes disent c’est juste que les communautés humaines peuvent être gérées autrement. Même ce slogan : «faire la politique autrement», notre slogan, vous l’avez confisqué. Chacun se lève pour taper la bouche avec, comme des perroquets ! Des hommes qui n’ont aucune idée du courage que cela prend de consacrer sa vie à quelqu’un. De prendre soin de l’humanité, une attention permanente à un embryon de vie jusqu’à en faire une personne humaine libre, égale. Donner un sens à la fraternité (d’accord ce n’est pas facile à dire «sororité»). Ils ont été jusqu’ à inventer le complexe d’Œdipe : que le fils doit tuer le père pour s’en libérer : une histoire incroyable qui se répète chaque jour sous nos yeux, en Afrique! La violence, la cruauté, inscrite, institutionnalisée jusqu’ au firmament : irréparable ! Vous voyez ça d’ici, une fille tuant sa mère pour survivre, et pouvoir enfin faire la politique ?
Comme tout mouvement social, le féminisme a une histoire. Celle-ci ne peut se réduire ni à un conflit de générations ni à une histoire de sexe. Ça c’est le discours des hommes. Quand une femme se lève – même du haut de son 1m10 les bras levés – pour dire moi aussi je peux diriger notre pays, ils en font un porte étendard… pour dévaloriser le discours des femmes, pour que l’on ne voit plus les autres femmes, surtout pas les pionnières : il faut les oublier, les ramener à une portion incongrue : trois femmes sur…40, 50 candidats ! On ne sort pas du statut d’accompagnatrices… d’une voix dans le désert, parce qu’ils ont une telle peur des femmes que cette peur se transforme souvent en haine des femmes. Alors ils prennent plaisir à exhiber celles qui «ne dérangent pas». Faute de pouvoir nous guillotiner… ils rêvent de nous parquer toutes dans des harems afin que ceux qui n’en n’ont pas les moyens puissent se contenter des troisièmes bureaux : il s’agit de nous tenir à distance et du plaisir et… du Pouvoir !
Trois mille ans que les hommes massacrent les femmes – au propre et au figuré – de la tête aux pieds – bandés – en passant par des tonnes de clitos coupés dans nos contrés. Ils appellent ça l’élégance… On est revenu aux talons aiguilles, de vraies échasses : au moins nos filles n’auront pas besoin d’installer toute une machinerie pour se mettre à niveau pour parler à leurs concitoyens où à leurs invités comme ce fut le cas au Gabon… une humanité souffrante, monstrueuse. Alors de plus en plus de femmes diront «non» : il n’y a pas de conflit de générations de femmes en politique parce qu’il n’y a jamais eu de femme au Pouvoir – selon les femmes – pas plus ici qu’ailleurs.
Il n’y a pas de lutte entre les femmes en politique parce que la politique pour nous n’est ni une question de taille ni une affaire de hiérarchie, et encore moins de positionnement : se déclarer candidate un an avant… les autres ! Mais c’est qui ces autres ? Tant de femmes qui donnent la vie, leur vie ? Mais chacune a son histoire, son expérience de vie, irréductible. Ils ont été jusqu’à inventer la polygamie pour banaliser les femmes, j’en ai deux comme toi à la maison ! Ils aiment ça être au centre de nos jalousies, se repaître de notre oppression, pendant que le pays est confisqué… pendant que le pays se meure parce qu’ils ont confisqué toute la richesse, pendant qu’ils bousillent nos enfants, les privant d’avenir !
Alors une femme s’est levée pour la première fois au Cameroun en 2004. Elle a dit moi aussi je peux être président du Cameroun. Panique dans leurs rangs. Il a fallu à tout prix étouffer ça ! Trouvez n’importe quel prétexte pour refuser sa candidature. Pas avant la France tout de même… Une deuxième candidature a été fabriquée sur le champ : ils ont été à la bonne école depuis 1947 à Maroua… Les journaux ont crié au loup, à la misogynie ; elle a même tenté de porter plainte aux Nations-Unies pour discrimination, atteinte aux droits de la personne, et crime contre l’humanité des 12 millions de femmes camerounaises. Rien n’y a fait. Cela n’a même pas empêché l’exécuteur de cette basse manœuvre de la menacer publiquement devant toute la classe politique réunie… au Palais des congrès à Yaoundé ! Elle avait beau jurer la main sur le cœur que faire la politique pour les femmes ne signifie pas la haine des hommes.
Nous voulons juste sortir d’un régime politique, cette façon totalitaire de faire la politique, qui nous est imposée depuis 50, 60 ans et qui consiste même à confisquer les citoyennes-femmes, à s’en servir comme des « vedettes américaines » avant les vraies «choses» ! Elle a même écrit et publié depuis 10 ans, un des rares vrais livres(1) qui analyse en long et en large ce régime politique, sa nature, son fonctionnement, et comment ce régime nous anéantit chaque jour, en détruisant notre capacité à avoir des droits inaliénables – ils ne connaissent pas ce mot ! – nos capacités d’agir… et jusqu’ à l’identité de chaque citoyen. Les Camerounais ferment les yeux et les oreilles très forts. Ils ne veulent rien entendre, ils ne la voient pas. On lui dit «mais on ne vous entend plus ces derniers temps», sous-entendu depuis… que d’autres femmes sont candidates !
Alors je souris. Et je leur dis tendrement… d’autres gens, les vrais gens m’entendent eux ! Ils ont été pondre un livre équivalent certes à trois, un amoncellement de faits historiques(2) juste pour me répondre… Mais ils oublient que Tumi et moi, nous avons lu Hannah Arendt bien avant pour savoir que «la véritable compréhension nécessite une perspective critique, celle qui remonte toujours aux jugements et aux présupposés qui ont précédé et inspiré l’enquête strictement scientifique.»(3) Quand il dit qu’un véritable espace de débat politique doit donc s’ouvrir…C’est tout un programme politique. Quand nous réclamons cette Assemblée des peuples camerounais depuis 2007, quand le peuple camerounais a refusé de voter par une abstention record, historique et que cette fois-ci encore, en 2011, malgré des subterfuges inimaginables, ce même peuple a refusé de s’inscrire sur les listes électorales, est-ce un Congrès ordinaire ou extraordinaire qui aurait réglé le problème ?
Le jour où nous arriverons à inscrire cet autre façon de faire la politique dans notre réalité sociale, sans écraser personne, sans massacrer des enfants, sans anéantir qui que ce soit – pas même nos adversaires – ce jour-là sera un jour de libération pour notre peuple tout entier parce que les femmes, et quelques rares hommes évidemment, ont plus de trois mille ans d’expérience de la gestion plurielle de la vie. Nous aurons montré la voie pour changer le monde. C’est cela la Parité.
Marie Louise Eteki-Otabela
Présidente de la Coordination des Forces Alternatives, parti politique féministe, légalisé depuis 1997
Première femme camerounaise à se porter candidate à la présidence de la République au Cameroun en 2004

1) Eteki-Otabela Marie Louise : Le totalitarisme des Etats africains, le cas du Cameroun, l’Harmattan-Paris, 2001.
2) TH. Deltombe, M. Domergue, J. Tatsitsa : Kamerun ! Une guerre aux origines de la Françafrique (1948-1971) cf. page 116 : comment Hamadou Ahidjo est entré en politique… en 1947 à Maroua !
3) Hannah Arendt : La nature du totalitarisme 1990 p. 44

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