L’humour désarme le discours de haine en Egypte

Dans un dessin humoristique publié à la fin du mois de septembre dans le journal égyptien Al-Watan, un homme tient un journal en l'air. «Ils m'ont vendu un faux numéro, crie-t-il à son ami. Se peut-il vraiment qu'aujourd'hui, aucun pays, aucun film, aucun dessin humoristique n'insulte l'islam ?»

Dans un dessin humoristique publié à la fin du mois de septembre dans le journal égyptien Al-Watan, un homme tient un journal en l'air. «Ils m'ont vendu un faux numéro, crie-t-il à son ami. Se peut-il vraiment qu'aujourd'hui, aucun pays, aucun film, aucun dessin humoristique n'insulte l'islam ?»
Le mois de septembre a été éprouvant pour les musulmans du monde entier. Tout d'abord, une vidéo de YouTube insultant le prophète Mohamed a été publiée le 11 septembre dernier et a fait circuler des propos outrageants à travers le monde musulman. Puis, après plusieurs manifestations très localisées mais violentes s'insurgeant contre ces manœuvres dans le monde musulman, le magazine satirique français Charlie Hebdo a publié un dessin représentant un musulman dans un fauteuil roulant poussé par un juif orthodoxe. Le dessin reprend le titre du film français à grand succès Les Intouchables dont les personnages principaux sont un homme blanc handicapé et son aide noir –l'ironie, c'est qu'il s'agit d'une belle comédie qui brise les stéréotypes en France – pour insinuer que la religion ne peut pas faire l'objet de critiques. Toutefois, ce qui est certainement apparu aux yeux d'un public occidental comme une déclaration sur la question délicate de la religion a été perçu par la plupart des musulmans non occidentaux, qui n'avaient probablement pas vu le film, comme une nouvelle façon de dénigrer leur religion.Une fois de plus, deux blocs monolithiques imaginaires s'affrontent : le monde musulman et le monde occidental. Tandis que dans les médias les journalistes ont, à juste titre, débattu de la distinction subtile entre liberté d'expression et discours de haine, les actes de quelques extrémistes ou irresponsables tombent dans deux types de stéréotypes totalement dénués de fondement : ceux qui affirment que l'Occident mène une campagne contre l'islam et que les musulmans sont en colère. Les seules personnes qui devraient tirer profit de cette situation sont les extrémistes de toutes confessions religieuses.Tout cela paraît ridicule et déprimant. Pourtant, au beau milieu des idées fausses, il y a aussi des initiatives créatives développées par des personnes intelligentes qui viennent démentir ces stéréotypes et susciter un débat positif sur l'utilisation responsable de la liberté d'expression. En voici deux – la première en Occident et la seconde dans le monde musulman – qui méritent d'être soulignés.
Après les grands journalistes qui, en Egypte tout au moins, ont souligné une opposition généralisée aux violentes manifestations organisées contre la vidéo injurieuse, mon initiative préférée est la campagne pacifique et sarcastique menée par les médias sociaux en réponse à la couverture du magazine Newsweek portant sur les récentes manifestations et sur laquelle figurent le titre «La rage des musulmans» et une image stéréotypée d'un homme en colère, barbu et – oui – enturbanné.
Dans son article intitulé Treize images fortes sur la rage des musulmans publié sur le site de divertissement et d'actualités Gawker.com, le blogueur américain Max Read a posté les images suivantes : un Egyptien sur une chaise lisant le journal, une jeune Jordanienne sur une balançoire, un Irakien exécutant un plongeon dans une piscine à bulles, des amoureux en Iran et une toute petite fille vêtue d'une veste rose vif serrant un drapeau égyptien. «Folle rage musulmane», indique la légende. On ne saurait être plus doux à leur égard. Si Max Read a désarmé une image négative en présentant plusieurs images représentatives, en Egypte, le journal libéral Al-Watan a répondu aux dessins par des dessins. Cependant, ils n'étaient pas vindicatifs.
En effet, la série, publiée le 24 septembre dernier, s'est révélée être un commentaire intelligent sur les préjugés culturels, la représentation dans les médias et les mesures à deux vitesses. Le dessin décrit au début de cet article fait partie de ceux-là. Un autre dépeint un homme barbu vêtu d'une longue robe blanche moyen-orientale et un punk. «Comme il porte d'étranges habits !» pense chacun d'eux lorsqu'ils se croisent. Dans un troisième dessin, un homme avec un chapeau voit un homme avec une barbe longue et touffue. «Un terroriste barbu !» crie-t-il avant d'apercevoir l'étoile de David sur la casquette. «Désolé, je n'avais pas bien vu !» dit-il tout en lui offrant une fleur. Le plus évocateur sans doute montre deux portraits : ceux d'un homme devant une mosquée et d'un autre à la barbe et aux dents de sauvage, enturbanné, un couteau ensanglanté à la main avec des volutes de fumée derrière lui. Une lampe de poche peinte avec des étoiles et rayures américaines éclaire la deuxième image et laisse la première dans le noir. Sur la lampe de poche, le dessinateur aurait très bien pu écrire : médias.
L'humour est un grand outil pour souligner les faiblesses des médias mais un journalisme plus responsable, mettant l'accent sur la diversité d'opinion au sein d'un groupe religieux ou culturel qui pourrait, en premier lieu, contribuer à réduire les stéréotypes.
Alice Hackman, journaliste indépendante installée au Caire

 

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