La gifle

Bien moins de la moitié des électeurs ont «accompli leur devoir de citoyen», pour reprendre la formule consacrée dans ces occasions par une langue de bois qui répugne à utiliser le verbe «voter», comme si mettre une enveloppe dans l’urne après le passage à l’isoloir signifiait autre chose. Il s’agissait bien d’une opération de vote, pour l’appeler par son vrai nom, et la preuve en est donnée par les incidents qui accompagnent toujours ce type d’exercice, avec en plus quelques particularités propres à notre terroir. Comme, par exemple, l’absence de bulletins de vote, les fausses procurations, les urnes mal scellées, les pressions sur les électeurs et surtout le fameux vote des militaires (les corps constitués, en général) qui pose toujours problème. Il permet, à coup sûr, de gonfler le taux de participation mais les jeunes ne l’entendent pas de cette oreille et y voient une façon de favoriser des candidats et donc de fausser la consultation électorale. Des bureaux de vote ont failli être fermés pour cette raison. Ceux qui ne croient toujours pas aux élections – y compris quand elles portent un enjeu local, qui les intéressent directement – ne sont pas allés «accomplir leur devoir de citoyen». Ils sont plus nombreux que ceux qui l’ont fait. Ce n’est pas une surprise : l’abstention avait été prévue par tous les intervenants lors de la préparation du scrutin du 29 novembre, c'est-à-dire essentiellement l’administration et les partis politiques en lice. A quoi sert-il de s'empêtrer dans une succession de chiffres dont les seuls significatifs sont, en fait, ceux de l'abstention. Ce que l'on peut retenir, c'est que, certainement selon une coutume ancestrale, qui veut que l’ancien adversaire (voire ennemi) soit préférable au nouvel ami, c’est le FLN, héritier du parti unique, tant décrié et qui a valu à l’Algérie une sanglante révolte en octobre 1988, qui l’emporte, comme aux législatives. Son dirigeant du jour, Abdelaziz Belkhadem, l’avait prédit. Signe particulier de ce scrutin : l’abstentionnisme d’Alger, la capitale, ressemble à une gifle, car rien d’autre que la désaffection de sa population ne peut l’expliquer, la météo ayant réduit sa pression jeudi, avec même quelques belles apparitions du soleil pour inciter les gens à «accomplir leur devoir de citoyen». En vain.
Cherif Brahmi