Reportage en Tunisie : la société résiste à la tentation islamiste

Hocine, le chauffeur de taxi, est convaincu que «tout ceci est un coup des Israéliens et du Qatar». S’il y a une chose qui n’a pas changé chez les Tunisiens, après leur «révolution», c’est leur sens du discernement. «Il y a beaucoup de facteurs qui ont poussé les Tunisiens à se soulever, mais il va de soi que cette révolution est loin d’être spontanée». Hocine n’est pas sorti d’une grande université tunisienne pour comprendre que «quelque chose ne tourne pas rond» dans son pays. Pour autant, il est difficile de constater les changements opérés depuis la chute de Ben Ali, sinon la disparition de ses portraits, sourire aux lèvres, la main sur le cœur, qui «peuplaient» les grands boulevards de la capitale et de toutes les autres villes du pays ; symbole commun à toutes les «monarchies républicaines» arabes. Une pratique que quelques clients du sérail avaient tenté, au début du mandat de Bouteflika, d’importer en Algérie. Mais l’échec d’une telle bassesse était évident. «Avant, il y avait une dictature politique et une liberté sociale, aujourd’hui il y a une liberté politique mais les libertés sociales risquent de se rétrécir comme une peau de chagrin», craint cet autre Tunisien, cadre de son état. Quelques jours passés en Tunisie, le temps d’un reportage, ne suffisent pas à rendre compte de la véritable situation qui prévaut dans ce pays dont une partie de la population s’enorgueillit d’avoir ouvert la voie aux soulèvements dans d’autres pays arabes, «sauf en Algérie où (votre) peuple a su battre en brèche toutes les tentatives de déstabilisation», souligne Hocine, notre chauffeur de taxi, qui regrette le temps où la Tunisie «était un exemple de propreté et de civisme». Pessimiste, Hocine doit voir des choses que nous ne voyons pas, lui qui sillonne les rues de Tunis du matin au soir, tous les jours que Dieu fait, pour gagner sa vie en ces temps de disette. Une disette passagère, à vrai dire, tant les Tunisiens ne sont pas connus pour être des tire-au-flanc.
Une société vivante
L’apparition des hommes en kamis et des femmes en voile intégral ne change rien au fait que la Tunisie reste une société ouverte et moderne. Les longues années de «démocratie du comportement» instituée par Bourguiba, et respectée sous Ben Ali, a forgé chez les Tunisiens une acceptation de l’autre, renforcée par la nature même de l’économie de ce pays qui vit quasi exclusivement du tourisme. La présence ininterrompue d’Européens de l’Ouest a, d’année en année, introduit dans le modèle tunisien une part d’européanisme qu’il sera difficile aux islamistes d’annihiler de sitôt. Où que vous alliez, les femmes sont toujours aussi présentes, libres comme le vent, participant à toutes les tâches, décomplexées et, surtout, prêtes à tout pour défendre leurs acquis. «Les islamistes ne changeront rien à nos habitudes. Certes, des femmes ont choisi de porter le voile, d’autres ont été forcées par leurs maris ou leurs parents, mais cela reste une exception pour le moment», lance, sereine, une jeune fille employée dans un hypermarché français. Le changement intervenu en Tunisie a ceci de particulier qu’il permet d’expliquer la montée aussi rapide que fulgurante de l’extrémisme islamiste en Algérie. Il est aussi un paramètre à l’aune duquel on peut mesurer les changements qui vont survenir dans un pays comme la Libye, dont les ressortissants ont envahi ce voisin du nord, pauvre en ressources naturelles, mais dont les riches infrastructures hôtelières et surtout sanitaires permettent aux nombreux réfugiés et blessés de guerre de venir s’y installer et s’y soigner. Comme dans les années noires en Algérie, où les Algériens avaient besoin de ce havre de paix pour s’en servir comme exutoire, les Libyens se rendent nombreux en Tunisie où ils se sentent chez eux, au regard des nombreux investissements libyens antérieurs dans les domaines du tourisme, de la santé et des hydrocarbures, pour ne citer que ceux-là. Les Tunisiens ont besoin de rentrées en devises et ils savent où les trouver : chez leurs voisins de l’ouest et du sud. Même si des voix s’élèvent pour dénoncer cette «invasion» qui risque de faire fuir les «bons touristes», c’est-à-dire les Européens, comme [nous] a qualifiés un député, vite rappelé à l’ordre par un membre du gouvernement, visiblement bien plus au fait de la très fragile situation économique du pays pour permettre un tel écart de langage.
De Tunis, Lina S.
 

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